La problématique du statut de réfugiés ressortissants des pays membres de la CEPGL.par AgnàƒÂ¨s Clémentine MUSABIYINEMA Université de Nantes - Master 2 droit international et européen des droits fondamentaux 2012 |
PARTIE I : SITUATION EMBARRASSANTE DE LA PROTECTION INTERNATIONALE, REGIONALE ET NATIONALE DES REFUGIES DE LA CEPGLChapitre introductif : La conceptualisation et la mise en contexte du problème desréfugiés de la région des grands lacs.La région des grands lacs n'est pas la seule région du continent africain à vivre l'horreur des guerres civiles, non plus ce n'est pas la première fois qu'elle vive une telle situation conflictuelle ; mais ces deux décennies 1990-2012 sont du pire, elle a été le théâtre des déchirements ethniques et politique, une véritable crise de droits humains, ce qui a mis sur le chemin de l'exil un nombre illimité de réfugiés. Le fait de créer une Communauté Economique des Pays des Grands Lacs le 20 septembre 197630 dont le souci premier d'intégration régionale est d'assurer la sécurité des Etats membres et de leurs populations, ne leur fut pas une garantie de sécurité. Le bilan de deux décennies de son existence s'est avéré largement négatif. Les ambitions de bon voisinage, de paix sont loin d'avoir été atteintes au regard de la détérioration de la situation sécuritaire et humanitaire des Etats membres et de leurs populations. Des conflits qui consacrent des rapports en dents de scie, viennent dès lors envenimer des relations interétatiques ou ultra-étatiques31. Dans ce chapitre introductif, nous présenterons au lecteur quelques causes de l'exil, des réalités internes des pays ainsi que les influences externes qui génèrent des guerres dévastatrices de la région qui s'enracinent dans le passé historique sociopolitique et économique de ces pays. A. Les causes de l'exil des réfugiés rwandais, Burundais et Congolais.Les trois pays le Rwanda, le Burundi et la RDC (ex Zaïre) partagent un même passé socio-économique, politico-juridique32 qu'ils ont hérité soit des faits migratoires de leurs peuples, soit de la colonisation belge, à tel enseigne que les heurs ou les malheurs des uns se percutent à ceux des autres. Le seuil et le lendemain de leurs indépendances respectives le 30 juin 1960 pour la 30 Journal officiel sur la CEPGL, publication annuelle, 1984, n° VI, 5è année, amendement à la Convention du 20 septembre 1976, p. 20. 31 Tiré de : Le rôle de la société civile, cahiers des droits et de la paix en région des grands lacs, volume 1, n°1, 2004, pp. 116127, cité par MUTABAZI (N), Politique d'intégration économique des pays des grands lacs : lecture d'un échec, in Reconstruction de la RDC, mémoire online sur les perspectives d'une paix durable dans la région des grands lacs. L'interview du Général Paul Kagamé à Washington Post du 9 juillet 1997, montre les objectifs de son intervention au Congo-Zaïre dont le démantèlement des camps des réfugiés hutu, les ramener à l'intérieur pour les affronter sur place ou pour les disperser et enfin renverser Mobutu, cité par BULAMBO, op.cit. p.16. 32 A l'époque coloniale, les actes législatifs et d'administration prennent leur source dans la Constitution belge, le roi est le législateur ordinaire alors que le Gouverneur Général du Congo, le Vice-gouverneur Général du Ruanda-Urundi sont des législateurs exceptionnels. Ainsi la loi du 21 août 1925 qui fixe les modalités du mandat belge et l'Arrêté royal du 11 janvier 1926 pour son exécution sont les sources essentielles du droit constitutionnel colonial pour le Rwanda et le Burundi jusqu'à leurs indépendances. C'est dans ce sens que la loi du 18 octobre 1908 sur le gouvernement du Congo Belge est également applicable au Ruanda-Urundi, puisque cette loi organique de 1925 soumet le territoire sous mandat au régime des congolaises issues des délibérations du Parlement belge, article 2 de cette loi. 9 RDC et le 1er juillet 196233 pour le Rwanda et le Burundi sont marqués par une situation tumultueuse clé d'un mouvement balancier des réfugiés de la région et les causes sont variées34. 1. Des crises ethniques, conflits armés et crimes contre l'humanitéCette situation conflictuelle a été un véritable spectacle d'horreur et de désolation des civils en général, des réfugiés des grands lacs en particulier.
Les conflits armés de la région, prélude d'un véritable spectacle d'horreur et de désolation des réfugiés des grands lacs. L'exclusion sociale dans la lutte pour les ressources au Rwanda et au Burundi, laquelle est à la base des luttes intra et interethniques conduit à des haines indescriptibles, par conséquent la confrontation ethnique pour le pouvoir se traduit par des 33 Par résolution 174 du 27 juin 1962 (R-U), AGNU décide d'accorder l'indépendance le 1er juillet 1962 au Ruanda-Urundi. 34 RWABAHUNGU (M), op.cit, p. 25. 35 MARYSSE (S), REYNTJENS (F) , l'Afrique des grands lacs, Centre d'étude de la région des grands lacs d'Afrique-Anvers, l'Harmattan, Paris, annuaire 1996-1997. 36 L'exemple historique illustratif au Rwanda est le « coup d'Etat de Rucunshu » (Localité au centre du pays) du fin novembre 1896 fait par le clan tutsi des « Abega » contre l'autre clan tutsi « Abanyiginya » dynastie qui était au pouvoir. Actuellement les tutsi ne veulent plus se remémorer de ce drame. Dans HERMANS (R), op.cit., p. 67. 37 RWABAHUNGU (M), loc.cit. 38 Cet adage latin veut dire que ce qui appartient à une personne morale n'appartient pas à ses membres. 39 Article 3 point 1de l'Accord d'Arusha stipule que « à la période post indépendance tout le long des différents régimes plusieurs phénomènes se sont constamment produits qui ont donné lieu au conflit qui persiste jusqu'à ce jour : massacres délibérés, violences généralisées et exclusion », in Accord d'Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi du 28 août 2000, admitted 1-11-2005, case n° ICTR-98-45-T, p. 16. 40 BERTRAND (J), Rwanda, le piège de l'histoire, L'opposition démocratique avant le génocide (1990-1994), éditions KHARTHALA, Paris, 2000, p.12. 10 massacres à grandes échelles, les violences cycliques comme celles couronnées par l'hécatombe rwandaise41. Au milieu des violences qui secouent tout le pays du Rwanda et des pogroms42 qui s'en suivent en 1963,1964, 1973,1990, 1994,43 l'abolition de l'institution de la monarchie du roi lors de la révolution sociale hutu de 1959 a occasionné la mort de quelques hutu, la mort et l'exil de milliers de tutsi vers les pays limitrophes44, des crimes contre l'humanité sans précédent dans le pays (premier vague des réfugiés de la région). Vers les années 1980, la question des réfugiés est tellement dans l'impasse de règlement que André GUICHAOUA estime que le nombre de réfugiés tutsi en exil du fait de ces événements politiques de 1959 à 1973 atteindrait approximativement 550.000 personnes45, ce qui devait sans doute déstabiliser les zones frontalières du Rwanda. Le Burundi, pays considéré comme le « faux jumeau » du Rwanda, la situation de clivages ethnique du Rwanda ne le laisse pas indifférent. Après l'indépendance, une élite issue de deux ethnies dirige le pays jusqu'au coup d'Etat de 1966 à l'issue duquel l'élite tutsi domine le paysage politique depuis, jusqu'aux élections démocratiques de juin 1993. Dès lors des réfugiés hutu prennent le chemin de l'exil et ce mouvement se poursuit suite aux événements de crises aigues de 1972, 1988, 1991 et 199346. 41 WILLAME (J-C), Aux sources de l'hécatombe rwandaise, cahiers africains n° 14, Bruxelles, 1995. 42 Selon le dictionnaire Larousse, op.cit., p.621 c'est une agression meurtrière d'une communauté ethnique ou religieuse. Ces agressions répétées criminelles sont à la base de l'exil des Rwandais et des Burundais, http://www.refugees.org/article.aspx?id=2114&subm=179&area=Investigate [archive], consulté le 4 février 2013. 43 En 1963-1965, des pays limitrophes, les réfugiés tutsi tentent de déstabiliser la jeune république par des attaques armées au sud et à l'ouest du pays, au Bugesera, au Nshili et à Bweyeye. Bien sûr que la perte de vies humaines est à signaler. En 1973 un coup d'Etat porte le général major Juvénal HABYARIMANA au pouvoir. Quand bien même ce coup a été qualifié de « non sanglant », des troubles ont été signalés dans des écoles secondaires du pays. Des personnes ont été tués et d'autres ont fui à l'étranger, RWABAHUNGU, op.cit., p. 16. En 1990 les exilés tutsi formés en Ouganda prennent les armes pour satisfaire leurs revendications de droit de rentrer au Rwanda et y établir un régime démocratique, dit-on, ce qui marque le début de la déstabilisation de plusieurs pays de la région des grands lacs. En 1991, un massacre de quelque 300 tutsi « Bagogwe » est perpétré contre ces victimes civiles au nord ouest du pays, MEHDI BA, pp. 6,15. En 1994 c'est la tragédie rwandaise, un génocide du XXe siècle est consommé, plus de 800.000 tutsi périssent et plus d'un million de hutu s'exilent. 44 LOGIEST, op.cit., p. 191-199. 45 GUICHAOUA (A), les crises politiques au Burundi et au Rwanda 1993-1994, Université des Sciences et Technologies de Lille, Faculté des Sciences Economiques et Sociales, Analyses, faits et documents, 2e édition Karthala, 22-24, Boulevard Arago, 75013, Cedex, Paris, 1995. 46 Même en octobre 1965 selon certaines sources, à la suite d'une tentative d'un coup d'Etat contre le roi MWAMBUTSA, un génocide contre les hutu a eu lieu et le bilan varie entre 2.500 à 50.000 de victimes (NTAMAHUNGIRO). En 1972-1973 de nombreux élèves hutus fuient leur pays après arrêt et exécution de leurs collègues par les autorités, RWABAHUNGU dans l'avant-propos et certains qualifient ces crimes de génocide contre les hutu au cours duquel on compte plus de 300.000 morts et d'un demi-million de réfugiés, in www.arib.info./Burundi-Comment-sortir-des-genocides-Joseph-Ntamahungiro-28042012.pdf , p. 4. Les massacres d'une centaine de tutsi entre le 14 et le 16 août 1988 suite à des actes de provocation et la répression aveugle contre les habitants hutu entre le 18 et 24 août 1988 dans les deux communes de Ntega et Marangara qui a coûté la vie à quelques 25.000 hutu expliquant le flot des réfugiés vers le Rwanda voisin, CHRETIEN (J-P), GUICHAOUA (A) et LE JEUNE (G), in Magazine « La crise politico-ethnique de Burundi à
l'ombre de 1972 » , p. 105, Le 21 octobre 1993, le président d'origine hutu démocratiquement élu Melchior NDADAYE est assassiné. Cet assassinat est suivi d'une guerre civile qui fera des milliers de morts dont 72 hutu tués à l'évêché de Ruyigi et 74 élèves tutsi brulés vifs à Kibimba. Des massacres interethniques se poursuivent jusqu'en Janvier- Mai 2011où plus de 300 personnes sont tuées dans le cadre de l'opération Safisha, NTAMAHUNGIRO (J), Loc.cit. 11 Vers la fin octobre 1993, ce qui se remarque pour les deux pays, c'est que l'enjeu de la violence est le pouvoir, que celui-ci soit détenu par une minorité au sein d'une ethnie majoritaire (Rwanda) ou par une minorité au sein d'une ethnie minoritaire (Burundi)47. Ces conflits n'ont jamais connu de règlement politique négocié satisfaisant les deux communautés hutu-tutsi, le jeu politique apparent est comme le fait de « déshabiller saint Pierre pour habiller Paul 48». Le Congo (ex-Zaïre) a eu ce goût amer des crises interethniques hutu-tutsi du Rwanda et Burundi suite aux soulèvements des tutsi dits rwandophones « Banyamulenge » installés dans la région du Kivu des faits migratoires d'avant les indépendances, lors de la guerre civile Kabila contre Mobutu en 1996. L'attaque qu'une centaine de ceux-ci ont menée au village de Lemera le 30 septembre 1996 sonna officiellement le début de la guerre qui conduisit au pouvoir Laurent Désiré Kabila49. La question des réfugiés qui nous préoccupe coïncide avec cette période des conflits armés à l'Est de la RDC, quand bien même d'autres conflits l'ont précédé dès les années d'indépendance. Le rapport de l'équipe des Nations Unies fait mention de nombreux massacres des civils perpétrés par les forces armées zaïroises pendant les conflits interethniques déclenchés en 1993, des massacres des réfugiés par les Alliances des forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) et les troupes du Rwanda, des massacres perpétrés par le milices Interahamwe50 depuis 1996 et des crimes contre l'humanité imputables à l'AFDL et ses alliés51. Le rapport de l'organisation américaine « International Rescue Commitee » ((IRC) fait état de 2.600 personnes qui meurent par jour suite à la guerre52. Les cibles de ces meurtres sont invariablement des militaires congolais opposés à la domination tutsi et à l'invasion du Congo par les troupes rwandaises, des réfugiés hutu rwandais, des civils congolais hutu et bien d'autres populations autochtones accusés à tort ou à raison de complicité avec les génocidaires ou d'intelligence avec les Maï-Maï53. Des incitations à la haine ethniques par certains activistes extrémistes s'intensifient par des tracts qui globalisent et considèrent soit tous les hutu comme des Interahamwe ou encore tous les civils du Kivu comme des résistants Maï-Maï, soit tous les tutsi comme des criminels et des militaires dominants54. 47 REYNTJENS (F), Rwanda, trois jours qui ont fait basculer l'histoire, coll. « cahiers africains », 1996. 48 Ce proverbe français s'explique de ce fait de se tirer d'une difficulté en s'en créant une nouvelle parce que la solution n'a pas lié les causes et effets. 49 Cette attaque donne la mort à plusieurs malades et infirmiers de l'hôpital général de Lemera amorce la guerre de l'AFDL et Laurent -Désiré Kabila dans laquelle l'armée patriotique rwandaise avait constitué le fer de lance que Kagamé précisera plus tard. 50 Sont les milices du Parti politique au pouvoir MRND au Rwanda sous le régime de Juvénal HABYARIMANA. 51 Les rapports de M. Roberto GARRETON (CN.4/1997/6, E CN.4/1998/64), cités par BULAMBO, p. 87, font état de deux cents mille réfugiés hutu disparus et de massacres de beaucoup de civils congolais pendant les deux guerres de libération. 52 Paix pour le Congo : « Lettre à M. Louis Michel, ministre belge des affaires étrangères à Bruxelles », 11 juillet 2000, p. 20, Cité par BURAMBO, op.cit., p. 88. 53 Mouvement de résistance armée constitué de plusieurs fractions, les Bangilima, les Katuku, les Batili, Les Babembe et les autres. 54 BURAMBO, op.cit., p. 95. 12 |
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