B. Notion et conception de l'Etat de droit
La conception de l'Etat de droit des
19e-20e siècles dits « positivisme juridique
» est loin de garantir les droits individuels.
1. Positivisme juridique
Monsieur Hans Kelsen précise que l'Etat de droit se
connaît comme « la subordination d'un ordre juridique,
hiérarchique et pyramidale dans lequel les normes s'emboitent et
s'articulent à l'intérieur d'un tout organique
d'hiérarchie des normes »214. Cette
hiérarchie est censée accomplir l'autoproduction et
l'autolimitation hypothétique sur laquelle la garantie des individus ne
peut être fondée, car l'Etat peut en fait conduire au camouflage
du despotisme dans la mesure où ce système aboutit à la
négligence effective de ces individus au profit de l'Etat et de son
administration.
2. Conception française de l'Etat de
droit
La conception française distingue l'Etat de droit de
l'Etat légal qui se différencient en ce fait que dans l'Etat
légal, la loi ne se limite pas seulement d'une part à
l'activité administrative, mais aussi à sa condition. D'autre
part la primauté de la Constitution sur la loi n'est pas assurée
puisque celle-ci ne peut faire objet d'aucun recours ; alors que dans l'Etat de
droit il s'agit plutôt de sauvegarder avant tout les droits
individuels215. Donc le juriste français Carré de
Malberg dénonce la souveraineté parlementaire inhérente au
régime de l'Etat légal alors jugée dangereuse pour les
libertés individuelles, du fait que la IIIe République
ne s'est pas levée jusqu'à la perfection d'Etat de droit par la
déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
212 MBAYE (K), les droits de l'homme en Afrique,
op.cit., p. 67.
213 GABA (L), l'Etat de droit...op.cit. p. 33.
214 KELSEN (H), Théorie pure du droit (traduction
française de la 2e édition de la «Reine
Rchtslebre» 196) par Charles Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962, pp. 147-148,
cité par GABA (L), l'Etat de droit...op.cit. p. 34.
215 CARRE DE MALBERG (R), contribution à la
théorie générale de l'Etat, Paris, Sirey T.I, 1920-22, p.
490, cité par GABA (L), l'Etat de droit...op.cit. p. 35.
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3. Conception actuelle de l'Etat de droit
Les horreurs de la guerre commis au nom d'un Etat de droit qui
ont porté une atteinte grave aux droits individuels, le lendemain de la
2e guerre mondiale, a été un moment d'introspection
des acteurs politiques et auteurs, de privilégier une conception
substantielle ou matérielle de « l'Etat de droit ». L'aspect
formel devient une de ses composantes, l'Etat qui protège les droits et
les libertés par des mécanismes appropriés. De ce fait il
devient l'opposé de la dictature et du totalitarisme, ce qui a conduit
à mettre l'accent sur l'importance des garanties juridictionnelles et
sur la défense des droits de l'homme face à l'Etat.
Cette conception nourrie de débats chez les juristes et
chez les philosophes permet de redéfinir ce concept dans sa perfection
actuelle. Selon Carré de Malberg, « un Etat de droit dans ses
rapports avec ses sujets et pour la garantie de leur statut individuel, se
soumet lui-même à un régime de droit et cela en tant qu'il
enchaîne son action sur eux par des règles, dont les unes
déterminent les droits réservés aux citoyens, dont les
autres fixent par avance les voies et moyens qui pourront être
employés en vue de réaliser les buts
étatiques216».
J.-Y Morin lui, établit les principes témoins de
l'Etat de droit : la justiciabilité des droits fondamentaux et le
recours à l'habeas corpus, c'est à dire le droit à
l'examen juridictionnel de toute privation de liberté ; le procès
équitable implique l'indépendance des juges et
l'impartialité de tribunaux ; le droit à la défense
interdisant l'arrestation ou la détention arbitraire et
établissant la présomption d'innocence ; la réparation des
violations des droits fondamentaux et enfin la nécessité des
dispositions spécifiques en vue de prévenir d'éventuels
excès de pouvoir en cas d'état d'exception. Ces principes peuvent
se résumer en deux éléments essentiels : « La
primauté de droit et l'indépendance du juge ». Sans la
primauté du droit, c'est le règne de la loi du plus fort connue,
celle de la jungle. Sans l'indépendance du juge, c'est l'arbitraire et
l'abus de tout genre et l'on se verse dans la dictature ou le
totalitarisme217. Cette situation semble dominer dans les pays des
grands lacs.
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