Chapitre V
LES POLITIQUES EDUCATIVES EN MILIEU RURAL
Le présent chapitre aborde la question de l'offre
scolaire en milieu rural gabonais en général et en particulier
celui du village Nzingui où les enfants Babongo de Matagamatsengue sont
pour le grand nombre inscrits. Ainsi pour mieux cerner les politiques
éducatives en milieu rural, nous nous appuyons sur la loi n°21/2011
du 14 février 2012 portant organisation générale de
l'éducation, de la formation et de la recherche. Celle-ci énonce
dans les articles 2, 5 et 6 que l'éducation et la formation au Gabon
sont obligatoires. De ce fait, l'accès à l'éducation et la
formation est assurée à tous les jeunes gabonais ou
étrangers résidant au Gabon, âgés de 3 à 16
ans.
En outre, parmi les missions générales de celle-ci,
il y a notamment:
- ancrer les apprenants dans leurs racines multi culturelles
tout en les ouvrant au savoir et au savoir-faire moderne,
- de promouvoir les langues locales, véhicule essentiel
de la culture et des valeurs de chaque civilisation, ainsi que les technologies
de l'information et de la communication,
- les infrastructures et les équipements
d'enseignements et de formation doivent, à cet effet permettre, selon
les niveaux, l'appropriation des connaissances et des compétences en
matière : la langue locale, (...).
Ce bref retour sur la loi n°21/2011 nous permet de voir
que celle-ci fait l'éloge d'une école de qualité au Gabon.
Nous entendons par `'école de qualité», une école qui
offre à tous jeunes résidant sur le territoire gabonais les
mêmes possibilités d'accès à la formation, à
l'instruction et à l'éducation.
Cependant, peut-on parler d'une adéquation entre la loi
n°21/2011 et les réalités scolaires en milieu rural ?
Autrement dit, y a-t-il un équilibre entre la théorie, les
pratiques pédagogiques et le comportement du gouvernement en termes
d'investissement et de planification dans le cadre de l'éducation et la
formation au primaire ?
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Dans l'objectif de cerner la réalité du contexte
scolaire rural, nous avons été dans deux villages voisins
(Mbelnaltembe et Mbinambi) pour une observation plus large et effectué
des entretiens avec les enseignants des écoles de ces différents
villages.
Ce chapitre consiste donc à mettre en évidence
les réalités scolaires en milieu rural gabonais. Dans un premier
temps, il est question d'un regard critique à partir des observations de
terrain sur l'offre scolaire. Notre regard a porté sur trois aspects que
nous estimons comme fondamental pour un système éducatif qui se
veut égalitaire: les pratiques pédagogiques, le rythme scolaire
et l'accès à la formation ou l'éducation (section 1). Et
dans un second temps, nous exposons les incidences de cette offre scolaire. Il
est question de démontrer que les insuffisances des politiques
éducatives en milieu rural font de cette école, une école
ou l'on apprend pour abandonner demain (section 2).
Section 1 : Pratique pédagogique, rythme
scolaire autonome et inégal accès à la formation ou
à l'éducation
1.1. Des programmes pédagogique et rythmes scolaire
autonome
A l'école publique de Nzingui, il n'y a pas une
organisation précise sur la progression pédagogique tout au long
de l'année. Pour le cas de la 4ème et
5ème année, les cours sont faits sur la base des
« notions qui reviennent le plus souvent aux examens de fin
d'année ». Cette autonomie de programme se vérifie par
l'absence de manuel au programme. Les enseignants ne disposent pas des manuels
ou de tous autres outils au programme, ce qui implique que la
préparation des cours et les évaluations se font à
l'ancienne : c'est-à-dire que chaque enseignant est totalement libre et
responsable de la production des savoirs. Ce qui compterait pour les
autorités du secteur éducatif ce sont les résultats ;
c'est dans cette perspective que le directeur de l'école de Nzingui nous
confit :
« (...) les inspecteurs viennent faire de la
comédie, ils connaissent les conditions dans lesquelles nous
travaillons. Ce qu'ils réclament ce sont les résultats et les bon
résultats peut importe comment on travaille. Mais personne ne fait rien
pour que ça marche c'est une vrai comédie. C'est la raison pour
laquelle chacun évalue à sa manière.
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Et moi j'estime que les résultats ne sont plus
fiables, au moins avant tout était plus ou moins uniforme. Aujourd'hui
lorsqu'on fait état des conditions matérielles à notre
hiérarchie, ils nous demandent de nous équiper nous-mêmes
et que cela fait partir de la formation » (directeur de
l'école publique de Nzingui).
De plus les enseignants des trois écoles
observées s'accordent sur la non application du programme et du non
utilisation des cahiers de situation cible dans le cadre des
évaluations, ils font «chacun des devoirs comme ils peuvent et
ils notent ». À cet aspect vient s'ajouter celui des
infrastructures défectueux le manque d'équipement d'enseignements
et de formation de première nécessité :
« Déjà il n'y a pas de programme c'est
l'enseignant qui fait lui-même son programme, il n'y a pas de manuel quel
programme alors ? On donne les cours en fonction des nations prioritaire donc
on fait l'essentiel, il y a une masse de notion et des disciplines (...) Comme
difficulté en général les conditions de salles de classe
(tables banc et tableaux défectueux et les murs délabrés),
absence de latrine, des matériaux essentiel tel que la craie et les
manuels... tout ça c'est notre propre argent » (maitresse de
la 1ère année de l'école publique de
Nzingui)
Ainsi, l'Etat peine toujours à améliorer son
offre scolaire par un investissement suffisant en matière
d'infrastructures et en équipement en matériaux d'enseignement
pouvant garantir l'appropriation des connaissances et des compétences
dans des conditions saine et de qualité.
Le constat qui est fait de manière
générale, montre, que les réalités scolaires sont
différentes d'un village à un autre. C'est donc pour dire, qu'en
milieu rural le contexte scolaire est variés et qu'il existe, non
seulement une inégalité entre les élèves qui
évoluent en ville et ceux des villages, mais il y a aussi une
inégalité de chance d'accès et de réussite entre
les différent élèves qui apprennent en milieu rural. Cela
se manifeste par le fait que d'un village à un autre, les
réalités scolaire ne sont pas les mêmes. Tel est le cas des
écoles des trois villages dans lesquels nous nous sommes rendus.
Premièrement l'école primaire de Mbenaltembe :
elle à un bâtiment de trois classe dans lesquelles sont repartie
les cinq niveaux et 3 enseignants.
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Lors de nos différentes visites les trois enseignants
étaient toujours à leur poste de travail. De plus pour palier au
problème de manuel didactique, le directeur de cette école s'est
équipé des outils informatiques (ordinateur portable et
imprimante) et le rythme scolaire est plus ou moins régulier
au-delà des absences de chaque fin de mois lié à la prise
de salaire à la capitale provinciale.
« J'ai été obligé de me
procuré ces deux appareils pour mieux travailler et venir en aide au
collègue et à nos élèves qui manquent un peu de
tout en leur fournissant au moins à chaque foi des documents pour des
exercices de maison » (directeur de l'école primaire de
Mbenaltembe).
Deuxièmement, l'école primaire de Nzingui
quant-à-elle a aussi un bâtiment de 3 salles de classes pour les
cinq(5) niveaux et trois enseignants affecté, mais il n'y a que deux
enseignants qui ont la gestion des cinq(5) niveaux, car le troisième
enseignent après la prise de service n'est plus jamais revenu pour
répondre à son devoir. On note en plus une insuffisance de manuel
au programme. Les deux enseignants ont chacun un manuel « super en
mathématique» qui répond aux normes. Mais la
préparation des cours se fait à l'aide de tous d'autre manuel
pour atteindre l'objectif qui est demandé par leur hiérarchie :
« les résultats peu importe comment on les obtient
».
« Ici, les enseignants sont constamment absent, ils
viennent sans leur familles, ils peuvent être la durant un moment et
ressortent pour des semaines. C'est le cas de la maitresse de
1ère année qui était sortie pour prendre son
salaire et là on est déjà à une semaine elle n'est
pas toujours revenu ? Vraiment c'est dure chaque année c'est la
même chose » (président de la association des parents
d'élève de école de Nzingui).
« Mon absence s'explique par la prise de salaire et
j'ai profité à faire des achats car ici il y a un problème
de route et le ravitaillent alimentaire (...) en réalité il est
impossible de rattraper les jours perdu, mais pour celui qui a
l'expérience il peut faire la collection des notions prioritaires
» (maitresse de 1ère année, école de
Nzingui),
Et troisièmement l'école de Mbinambi, à 1
bâtiment de trois salles de classes pour 5 niveaux et deux enseignants
dont il n'y a qu'un présent. L'enseignant titulaire (le directeur) est
quant à lui absent depuis près de deux (2) mois et celui qui nous
a reçu a été victime d'un
accident de circulation et bien que présent dans le
village l'école restera fermée le temps de son
rétablissement.
« Mon directeur était là le premier
mois mais cela peut faire deux mois déjà presque qu'il est absent
pour des raisons qui me sont inconnues, (...) l'école est fermée
juste pour le temps de convalescence mais dès que possible tout rentrera
dans l'ordre, sauf si mon directeur revient entre temps (...) en
réalité les outils de travail c'est nous même »
(enseignant à l'école de Mbinambi).
On se rend bien compte, que le rythme scolaire et les
conditions de travail sont belle et bien fonction du lieu où l'on se
trouve. Le calendrier académique tel que conçu de manière
à promouvoir et garantir l'idéal d'une école accessible et
de qualité tant prôné par le politique sont en milieu rural
l'ombre d'eux-mêmes dû à la confrontation aux conditions
géographique qui viennent limités une fois de plus la
démocratisation scolaire des familles.
Dans l'optique d'un prolongement de cette réflexion,
Orphée Martial SOUMAHO MAVIOGA et Dany Daniel BEKALE69 disent
que « la demande scolaire au primaire est caractérisée
par une offre publique insuffisante » et poursuivent en disant que
« l'offre scolaire divise la société gabonaise en classe
et ne garantit pas la mixité sociale. Elle apparait comme une politique
publique éducative qui participe à la ségrégation
sociale et limite l'accès à certains biens et privilèges
sociaux aux enfants issus des quartiers populaires »
Dès lors, plus les contextes scolaires sont
variés, plus ils sont différents et inégaux : certains
favorisent la réussite scolaire et d'autres le décrochage,
l'abandon et donc l'échec scolaire. Cet aspect entraine
nécessairement des inégalités de chance de réussite
au profit des familles qui vivent en ville et qui usent de stratégie en
inscrivant leurs enfants dans les meilleurs contextes que ceux du milieu
rural.
Par conséquent, les raisons du décrochage ou de
l'abandon des élèves Babongo trouvent une part de leur fondement
au sein même de l'établissement (« effet
établissement »70) pour rejoindre Marie
DURU-BELLAT. Car chaque établissement par son
69 Orphée Martial Soumaho Mavioga et Dany
Daniel Békale, (2007), « offre scolaire au Gabon et
problématique de l'égalité des chances dans l'enseignement
primaire », Romaric Franck Quentin de Mongaryas (dir) Refonder
l'école gabonaise : Enjeux et perspectives, Saint-Denis, Publibook,
Pp 23-41
70 Marie Duru-Bellat, « les causes sociale des
inégalités à l'école », Comprendre,
n°4, Octobre 2003
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organisation et son fonctionnement particulier, exerce une
influence sur le rendement scolaire des élèves.
C'est-à-dire sur leur performance ou leur survie dans le monde
scolaire.
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