Comment choisir un thème d'étude sur lequel on
va travailler et construire un objet sociologique en partant de ce thème
initial ? Tel est, selon Serge PAUGAM3, le genre de question que
doit se poser l'étudiant en sociologie avant d'entreprendre une
quelconque recherche. Le choix d'un sujet de recherche n'est jamais anodin, il
est souvent le résultat des motivations, sensibilité
(personnelle), dans certains cas inconscientes ou tout au moins peux
explicitées. Comme celui d'Emile DURKHEIM, qui a travaillé sur le
suicide parce qu'il se considérait lui-même comme un «
neurasthénique4 ».
En effet, pour le cas de notre recherche, le choix du rapport
au savoir comme objet d'étude peut aller de soi ; du fait qu'il a
été retenu à cause notre proximité avec la
communauté Babongo dès la petite enfance. Ainsi, le fait social
selon Emile DURKHEIM « consiste en des manières d'agir, de penser
et de sentir, extérieur à l'individu, et qui sont douées
d'un pouvoir de coercition en vertu duquel il s'impose à lui5
».Le fait social obéit à trois caractéristiques que
sont : la récurrence, l'extériorité et la contrainte. Par
suite, il ne saurait se confondre avec les phénomènes organiques,
puisqu'il consiste en représentation et en action ; ni avec les
phénomènes psychique, lesquels n'ont l'existence que dans la
conscience individuelle et par elle.
3 Serge. Paugam, (2010), L'enquête
sociologique, Paris PUF, p.7-8
4 Selon le petit Larousse, la neurasthénie
est un état durable d'abattement et de tristesse. 5Dans
le cadre de la collection : `'les classiques des sciences sociales»
Site web :
http://www.
Uqac.uquebec.ca/zone30/classique des sciences
sociales/index.html
6
En outre, un objet d'étude peut se définir
comme `'ce sur quoi porte la recherche». Il traite du
phénomène social étudié par le chercheur : il est
d'abord social et, après avoir été soumis aux faits, il
devient un objet sociologique. Aussi, le chercheur construit son objet
d'étude dans le but d'avoir une idée plus ou moins précise
sur l'objet.
Il est primordial alors de définir notre objet
d'étude « rapport au savoir ». La notion de « rapport au
savoir » a été développée dans deux champs
théoriques : le champ de la recherche clinique par Jacky BEILLEROT et le
champ de la sociologie par Bernard CHARLOT.
Selon Jacky BEILLEROT, le rapport au savoir se définit
comme : « un processus par lequel un sujet, à partir des
savoirs acquis, produit des nouveaux savoirs singuliers lui permettant de
penser, transformer et sentir le monde naturel et social
6».Le rapport au savoir est un rapport à son propre
désir, désir de savoir ou comme le dit Freud, apprendre c'est
investir un désir dans un objet de savoir. C'est-à-dire que le
rapport au savoir est avant tout un processus jamais figé, qui
évolue tout le long de la vie, à partir de ce que nous savons ou
non, de façon dont nous nous situons par rapport à ces savoirs et
au fait même de savoir ou de ne pas savoir.
Ainsi, le rapport au savoir est toujours singulier, il se
construit en fonction de l'histoire de chacun et chacune et s'insère
donc dans une dynamique familiale, sociale et historique.
Pour le champ de la sociologie, Bernard CHARLOT
définit ainsi le rapport au savoir : « le rapport au savoir est
un rapport au monde, à l'autre et à soi-même d'un sujet
confronté à la nécessité d'apprendre ; le rapport
au savoir est l'ensemble des relations qu'un sujet entretient avec tout ce qui
relève de « l'apprendre et du savoir ». C'est aussi «un
ensemble d'images, d'attentes et de jugement qui porte à la fois sur le
sens et la fonction sociale du savoir et de l'école, sur la discipline
enseignée, sur la situation d'apprentissage et sur soi-même
»7. Enfin, le rapport au savoir est donc « l'ensemble
(organisé) de relations qu'un sujet humain (donc singulier et social)
entretient avec tout ce qui relève de `'l'apprendre» et
6 Jacky Beillerot, (1996), Pour une clinique du
rapport au savoir, Paris, L' harmattan.
7 Bernard Charlot, (1997), Du rapport au
savoir, Elément pour une théorie, Paris Anthropos
7
8
du `'savoir» : objet, contenu de pensée,
activité ; relation personnelle, lieu, personne, situation, occasion,
obligation, etc., liés en quelques façons à l'apprendre et
au savoir »8.
Par ailleurs, ces définitions nous montrent que le
rapport au savoir concerne à la fois des processus : l'acte d'apprendre,
les situations d'apprentissages et des produits des savoirs. En effet, le
rapport au savoir est à la fois un rapport de sens et relation de
valeur, c'est-à-dire qu'une personne valorise ce qui a du sens pour
elle, et à l'inverse, elle donne du sens à ce qui
représente de la valeur pour elle. La
·valeur
· et le
·sens
· que donne une personne à un savoir sont
liés à son identité9.
Selon Charlot, « ce qui s'exprime dans le rapport au
savoir, c'est l'identité même de l'individu. Mais cette
identité n'est pas seulement exprimer dans le rapport au savoir, elle y
est aussi en jeu : être confronté à un apprentissage,
à un savoir, à l'école, c'est y engager son
identité et la mettre aussi à l'épreuve10
». On parle donc de rapport identitaire au savoir, quand il s'agit de
comprendre de quelle façon le savoir prend sens pour la personne.
Autrement dit, le rapport identitaire au savoir permet de répondre
à la question : pourquoi apprendre ? Cependant, la question du sens peut
aussi se posée sous la forme : qu'est-ce que apprendre? On parle ainsi
de rapport épistémique au savoir pour s'intéresser
à la nature de l'activité nommée savoir. « Le rapport
épistémique au savoir est cette relation de l'individu à
la nature même de l'acte d'apprendre et au fait de savoir
»11.
En outre, au sens de Bernard Charlot et Jacky Beillerot,
lorsqu'un élève échoue à l'école, la
première question à se poser n'est pas celle des handicaps dont
il est peut-être affecté, elle est de savoir s'il a
travaillé et comment il a travaillé, car s'il ne travaille ou
travaille de façon cognitivement inefficace, il n'est pas
étonnant qu'il échoue. En tant que tel, il construit du sens et
met en oeuvre des activités. Tout individu humain donne sens à ce
qu'il est, à ce qui lui arrive, à la situation dans laquelle il
se trouve, à la société et au monde
8 Bernard Charlot, (1999), Le rapport au
savoir en milieu populaire. Une recherche dans les lycées professionnels
de banlieue. Paris, Edition Economica.
9 Bernard Charlot, (2002), Du rapport au savoir.
Elément pour une théorie. Paris, Editons Economica.
10 Bernard Charlot, E. Bautier, J-Y, (1992),
Ecole et savoir dans les banlieues et ailleurs, Paris, Armand
Colin.
11 E. Bautier, J-Y. Rochex, (1998),
L'expérience scolaire des nouveaux lycéens,
Démocratisation ou massification, Paris, Armand Colin.
9
dans lequel il vit. C'est le cas, notamment, d'un
élève dont l'histoire scolaire n'est pas seulement une
trajectoire, une série de points par lesquels il passe et qui peuvent
être étudiés de l'extérieur, mais elle est aussi une
série d'expériences qu'il vit, qu'il interprète et
auxquelles il donne sens.
En définitive, nous notons que le rapport au savoir
« ne se réduit pas aux relations que nous entretenons avec des
apprentissages ou avec des savoirs. Il se construit également à
travers nos projets d'avenir, nos aspirations professionnelles et sociales, nos
réponses à des sollicitations de l'entourages,
etc.»12. Il n'y a de rapport au savoir que d'un sujet, et il
n'y a de sujet que désirant.
Toute notre vie, nous entretenons avec le savoir un certain
type de relation qui peut influencer et marquer nos trajectoires. Si le rapport
au savoir semble avant tout une question individuelle et singulière, on
peut aussi parler du rapport au savoir d'un groupe, dès lors qu'il
existe des représentations collectives et de valeur collective (de
groupe communautaire). Par ailleurs, c'est dans ce cadre que nous parlerons du
rapport au savoir des élèves Babongo du village Matagamatsengue.
C'est-à-dire de la relation que ces élèves d'origine
Babongo entretiennent avec le fait d'aller à l'école et d'y
apprendre des choses. Car il n'y a pas d'un côté l'identité
du sujet et l'autre son être social, les deux sont inséparables ;
le rapport au savoir est indissociablement social et singulier.