Impact de la digitalisation des entreprises sur le contrôle de gestion.par Youssef Hatim Université Mohammed 5 de Rabat - Master Spécialisé en Gestion Financière, Comptable et Fiscale 2019 |
2.2 L'innovation managériale et le contrôle de gestionAvant d'aborder les effets de l'innovation managériale sur le contrôle de gestion, il convient d'abord de maitriser le concept d'innovation managériale et comment les limites des outils traditionnels du contrôle de gestion ont stimulé cette innovation. 2.2.1 Définition de l'innovation managériale Il semble très difficile d'identifier les innovations managériales que les innovations technologiques parce qu'elles sont beaucoup plus implicites et ne font pas l'objet de brevets et leurs formes ne sont pas faciles à identifier. Certaines d'entre elles peuvent être formalisés tandis que d'autres ne le sont pas (Roy, Robert, et Giuliani 2013). Selon Birkinshaw et al (2008) : « L'innovation managériale est l'invention et la mise en oeuvre d'une pratique, d'un processus, d'une structure ou d'une technique de management nouveaux par rapport à ce qui est connu dans l'objectif de mieux atteindre les buts de l'organisation. ». Un autre élément clé a été introduit par les mêmes auteurs ultérieurement, ils considèrent que la recherche de l'amélioration de la performance constitue le moteur de l'innovation managériale, « L'innovation managériale est l'introduction de pratiques de management nouvelles pour l'entreprise dans l'intention d'augmenter la performance de l'entreprise. » (Birkinshaw et al 2008). 34 Alcouffe et al (2003) définissent l'innovation managériale comme « un produit, un programme ou une technique perçu comme nouveau par l'acteur individuel ou le groupe d'individus qui contre-minent son adoption, et qui, au sein de l'entreprise où il est mis en oeuvre, affecte la nature, la qualité et la quantité des informations disponibles pour la prise de décision ». Cette définition ajoute une dimension significative qui n'avait pas été abordée auparavant : l'importance de l'information, et on sait déjà que le contrôle de gestion est considéré comme le centre d'échange d'informations, donc cette définition montre qu'il existe un lien étroit entre l'innovation managériale et le contrôle de gestion par l'information et la gestion de cette information. 2.2.2 Remise en cause des outils traditionnels du contrôle de gestion Nous avons vu dans la conception classique du contrôle de gestion que celui-ci est basé sur une approche de modélisation d'activité afin de pouvoir budgétiser les plans d'actions en amont et l'analyse des écarts en aval, nous allons montrer que ce processus présente plusieurs limites. L'agilité et la créativité sont deux leviers fondamentaux qui garantissent la pérennité de l'entreprise dans un nouveau monde d'affaires en évolution continue, et cette créativité doit toucher en profondeur ses processus métier notamment le contrôle de gestion. Actuellement il semble nécessaire de changer la façon dont s'exerce le contrôle de gestion, de nouveaux besoins apparaissent remettant ainsi en question l'efficacité de ses outils traditionnels et son capacité à atteindre les objectifs de l'entreprise, en effet, les systèmes de contrôle de gestion actuel s'appuient essentiellement sur la comptabilité analytique dont les informations nécessaires sont fournies par la comptabilité générale, cette source est destinée à produire les états financiers ce qui néglige le potentiel de l'entreprise fondé sur son cycle d'exploitation (Simons 1987). Les systèmes de comptabilité analytique classiques font l'objet d'une production des rapports et des tableaux de suivi qui prennent beaucoup de temps pour leur conception et n'apportent pas une réelle valeur ajoutée pour la prise de décision, ils sont uniquement conçus pour répondre aux obligations formelles de présentation des données (Boutgayout et El Ghazali 2020). La comptabilité de gestion se base sur le calcul et l'analyse des coûts, les principales méthodes sont : la méthode du coût complet, la méthode du coût direct, l'imputation rationnelle des coûts de structure. Ces méthodes présentent certaines lacunes, d'abord ces coûts sont directement liés à la production du bien ou du service sans prendre en considération les autres composantes qui 35 participent au processus de production, en second lieu la répartition des charges indirectes est souvent non pertinente et arbitraire (Boutgayout et El Ghazali 2020). L'investissement en recherche et développement et l'usage de la technologie ont participé à la modernisation des procédés de production, et par conséquent les méthodes que nous avons mentionnées ne sont plus adaptées. La technologie a remplacé les unités de main d'oeuvre par des actifs immatériels qui contribuent à la valorisation des coûts de production (Boutgayout et El Ghazali 2020) La nouvelle ère de la digitalisation se caractérise par l'intensité de la concurrence et l'émergence de nouveaux business models basés sur l'automatisation et les technologies d'information, dans ce contexte les entreprises sont dans l'obligation de modifier la méthodologie d'analyse des coûts pour être plus compétitives, donc la nouvelle orientation est l'analyse d'information avec le juste à temps plutôt qu'une allocation de frais généraux liés à un niveau d'activité (Mancini et al. 2017). 2.2.3 L'innovation managériale dans le contrôle de gestion Nous présentons deux innovations qui ont donnée l'impulsion à l'évolution du contrôle de gestion qui sont : la méthode ABC et le tableau de bord prospectif. ? La méthode ABC-ABM (la gestion par les activités) La méthode ABC ou Activity-Based Costing (coût basé sur les activités), est née au début des années 80 par CAM-I15, cette méthode a pour objectif l'analyse de la performance et le pilotage des coûts d'une entreprise par activité. La méthode ABC est en quelque sorte basée sur le concept de chaîne de valeur de Michael Porter, pour utiliser la chaîne de valeur il faut identifier chaque composante des différentes activités de l'entreprise, la méthode ABC part du même principe en mettant en évidence la consommation des ressources nécessaires à la fabrication du produit ou de service. Cette consommation est exprimée en termes d'unités de travail qui peuvent être des heures ou une quantité de matières premières. Un coût est déterminé pour chaque unité de travail, ce qui permet de calculer le coût global de l'activité sur la base de la consommation nécessaire pour fabriquer le produit final (Kefi 2020). 15 Consortium for Advanced Management - International Selon Chauvey et Naro (2004) : « la méthode ABC offre une alternative aux systèmes traditionnels de comptabilité de gestion, qui avaient perdu de leur pertinence », en effet, elle a permis de combler les insuffisances des méthodes classiques et d'apporter les réponses à ses limites. Elle implique une identification des liens de causalité entre les inducteurs de coûts et les activités y relatives ce qui permet une allocation optimale des ressources, comme Philippe Lorino (1991) l'indique « c'est une technique efficace d'allocation des coûts aux produits et un moyen utile de lutter contre le gaspillage ». La méthode ABC a autre volet qui est l'ABM ou Activity-Based Management, qui aide au pilotage de la performance à travers sa capacité à bien identifier les ressources utilisées, le coût de l'activité et les différents intervenants dans la chaîne de valeur, ce qui permet une meilleure optimisation de la performance. Cette méthode sert à restructurer les activités en éliminant les processus qui consomment des ressources et n'ont aucune valeur ajoutée et à minimiser les coûts afin d'accroitre l'efficience des activités (Boutgayout et El Ghazali 2020). ? Le tableau de Bord prospectif (Balanced Scorecard) Le tableau de bord prospectif appelé également le tableau de bord stratégique ou équilibré, est un tableau conçu par Kaplan et Norton qui décline la stratégie de l'entreprise en un ensemble d'indicateurs mesurant ainsi sa performance16, ce n'est pas un outil standard pour mesurer la performance organisationnelle dans son ensemble c'est plutôt un système global permettant de clarifier la stratégie afin de la mettre en oeuvre d'une manière efficace et permettant aussi aux entreprise de diversifier leurs critères d'analyse. Le tableau de bord prospectif mesure la performance de l'entreprise sur la base de quatre perspectives équilibrées comme le montre le schéma ci-dessous : 36 16 https://www.compta-facile.com/tableau-de-bord-prospectif-balanced-scorecard/ 37 Figure 4 : les 4 perspectives du tableau de bord équilibré Source : https://www.piloter.org/balanced-scorecard/index.htm ? Perspective financière : il s'agit de mesurer la performance financière de l'entreprise via ses apports aux actionnaires et de s'assurer de l'utilisation efficiente de ses ressources financières. ? Perspective client : c'est la perception du client envers la performance de l'entreprise, elle peut être mesurée avec le taux de satisfaction ou de fidélisation, avec quelques années d'expérience cette perspective peut s'étendre aux différentes parties prenantes de l'entreprise. ? Perspective processus internes : ce sont les processus clés dont l'entreprise doit exceller pour arriver à l'efficacité et la qualité. ? Perspective apprentissage organisationnel : c'est la capacité de l'entreprise à être agile, flexible et son aptitude à changer ses processus et s'améliorer afin de devenir une organisation apprenante. Nous remarquons que ces quatre perspectives représentent les concepts clés et les fondements du contrôle de gestion, ils reflètent également l'évolution des systèmes de contrôle de gestion c'est pour cela que le tableau de bord prospectif est une innovation managériale privilégiée impactant positivement l'entreprise en général et le contrôle de gestion en particulier. 38 Nous pouvons conclure que les changements organisationnels jouent un rôle important dans l'évolution du contrôle de gestion dans le but d'optimiser la performance des entreprises, cependant il existe un autre impact qui se manifeste par les changements technologiques. |
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