2. L'encadrement du remboursement des avoirs
incriminés
Selon le philosophe Michel FOUCAULT « poser que toute
peine, quelle qu'elle soit, aura un terme, c'est à coup sûr
s'engager sur un chemin d'inquiétude (...), une pénalité
qui prétend prendre effet sur les individus et leur vie ne peut
éviter de se transformer perpétuellement elle-même
»195. Le détournement de deniers ou de « biens
publics est une infraction pouvant être qualifiée de délit
ou de crime selon la fourchette de la valeur des biens objet du
détournement. C'est sans nul doute cette nature criminelle qui explique
à suffisance la réaction virulente de nationalistes qui plaident
en faveur de la rétention d'une telle qualification
»196. En effet, au vue de la gravité de l'infraction, il
est judicieux pour freiner la propagation de la désobéissance
pénale de prévoir la peine privative de liberté, dans le
but de punir le contrevenant et d'en faire un exemple pour ceux qui auraient
muri le désir de limité. Ceci est de plus nécessaire
étant donné qu'il incombe à l'Etat « la tâche
de mettre en oeuvre une violence rationnalisée » aux fins de
répression de l'infraction dont se serait rendu coupable un justiciable.
En jetant un regard sur la pratique de la répression de l'infraction de
détournement de deniers publics au Gabon, la peine privative de
liberté retenue par l'article 141 du Code pénal semble être
difficile à être exécuté. La preuve jusqu'à
lors aucun fonctionnaire n'a fait l'objet d'une condamnation mais des milliards
détournés ne cessent d'être attribuer en trophée
à un tel ministre ou à un tel autre directeur
général. Pour nous, la prison c'est-à-dire la peine
privative de liberté ne devrait plus à elle seule être
retenu comme solution aux fins de résoudre le litige qui pourrait
opposer l'Etat gabonais à un de ses agents publics. Selon la
pensée post-moderne du droit pénal, cette dernière ne se
donne plus pour seul objet de sanctionner celui qui a violé la
règle. La crise de la surpopulation du milieu carcéral est une
des raisons de repenser la politique criminelle. Dans le cas de l'infraction
qui éveil notre attention, certes la prison reste « le centre de
pénalité » mais il laisse baillant le problème des
sommes pharamineuses arrachés à la réalisation du
bien-être des populations. A titre de rappel, « selon nos
estimations, la restitution des avoirs volés par une trentaine de
dirigeants au cours des dernières décennies pourrait
représenter entre 105 et 180 milliards de dollars pour les pays du Sud,
soit plusieurs fois ce qu'ils reçoivent chaque année au titre de
l'aide des pays riches »197. Pour être plus
précis, un chiffre qui équivaut à 20 à 40% des
flux
195 Cfr. Le suicide en prison : mesure, dispositifs de
prévention, évaluation, Min.de la justice, direction de
l'Administration pénitentiaire française, Paris, n°78, 2013,
p.216.
196 E. KENGUEP, E. FOKOU, l'infraction d'atteinte au patrimoine
des entreprises publiques et parapubliques dans l'espace OHADA, l'ERSUMA, 6
janvier 2016, p.169.
197 En 2007, l'aide publique au développement mondiale
atteignait officiellement 103 milliards de dollars, selon l'OCDE, mais l'aide
qui parvient réellement aux pays en développement en
représente moins de la moitié, selon
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LA REPRESSION DU DETOURNEMENT DE DENIERS PUBLICS AU GABON
de l'aide au développement officielle198.
Ahurissant ! Je vous le concède quand on pense aux courbettes
effectuées par nos dirigeants pour avoir accès aux prêts
internationaux de ces pays occidentaux qui « profitent de l'argent d'un
petit nombre de personnes peu soucieuses du bien-être de leur population
»199. La prison oui, mais elle ne règle en rien le
problème de l'argent détourné qui est pour nous une forme
« de crime contre l'humanité ». Le revers d'une
fréquence élevée des détournements des deniers
publics est qu'ils peuvent pousser à la mort des populations
entières. Car certains ne pourront pas se soigner faute de
médicaments. D'autres n'auront pas accès à
l'éducation faute d'école, à l'eau potable etc. Selon
l'article 141 du Code pénal gabonais, l'amende fixée dans le
cadre du détournement de deniers est au « maximum du quart des
restitutions et indemnité et le minimum le douzième ». En
effet, si un agent public détourne 100.000.000 FCFA en sus de la
réclusion criminelle à perpétuité dont il fera
l'objet, il paiera au maximum au Trésor public 2.500.000
FCFA ). Ne serait -il pas plus juteux pour les caisses de
l'Etat de pouvoir
recouvrer en échange de liberté du
prévenu la restitution de la somme querellée ou même la
moitié. Ces avoirs pourront permettre de relancer l'économie et
le processus de développement du pays au lieu de se cantonner à
une peine de prison qui appauvrirait un peu plus l'Etat car les potentiels
prisonniers sont nombreux. Sans cela, il serait opportun d'envisager
l'agrandissement ou la construction de nouvelle prison, là encore pour
les agents publics qui ont déjà fait l'objet d'instruction pour
détournement de deniers publics. Dans ce cas de figure serait encore le
contribuable qui va perdre de l'argent pour la construction de ces nouvelles
prisons. En plus, au regard de la réalité gabonaise, ce sont ceux
qui n'ont pas encore fait l'objet d'instruction qui sont malheureusement les
plus nombreux protégé par des intérêts occultes. La
peine privative de liberté semble ne plus être le meilleur moyen
de résoudre des affaires criminelles au regard de l'évolution de
la criminalité actuelle ou les évasions de prison ne sont pas
à exclure. L'encadrement du recouvrement des deniers publics dont il est
fait allusion, pourra ainsi comporter le remboursement et la perte pour le
prévenu de possibilité d'exercer une fonction publique aux fins
de préserver l'obligation de probité200
consacré par le Statut de la fonction publique. La crise qui frappe le
Gabon à l'heure actuel n'est que la résultante de la gestion
poreuse de l'argent public, qui laisse libre cours aux vices
les travaux de Coordination SUD et AidWatch. Cfr. A. DULIN, J.
MERCKAERT, « Bien mal acquis à qui profite le crime »
édition CCFD- Terre solidaire, 2009, p.15.
198 World Bank, Stolen Asset Recovery (StAR) Initiative:
Challenges, Opportunities, and Action Plan (Washington, DC, 2007), 9. J-P.
BRUN, L. Gray Clive Scott, K.M. Stephenson, Manuel de Recouvrement des Biens
Mal Acquis, The World Bank, 2010, p.18.
199 Préface de G. AURENCHE, in « Bien mal acquis
à qui profite le crime », op. Cit., p.6.
200 Art.43, tiret 6 Loi n°1/2005 du 4 février 2005
portant statut général de la Fonction publique.
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chez les jeunes qui ont du mal à s'émouvoir
après les études fautes d'emploi ou de grèves à
répétition dans le monde éducatif. Dans un tel
environnement, il n'est pas étonnant que le Gabon soit champion
d'Afrique de consommateurs d'alcool par habitant201. Il est
temps de prendre au sérieux les conséquences néfastes de
ses soustractions des fonds publics au sein de l'administration étatique
car aucun pays ne peut se développer sans avoir la maitrise de ses
finances publiques. D'être sûr d'une bonne utilisation des sommes
d'argent qui sortent du Trésor Public programmé pour un but
précis. Le juge quant à lui ne saurait faire son travail comme il
se doit s'il est « oppressé » par l'oeil de l'Exécutif
qui est en même temps le responsable de son organisation. Une telle
situation demande une réorganisation de la justice gabonaise si on veut
arriver à assurer l'indépendance des magistrats.
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