L'exercice de la contrainte par l'union africaine sur ses états membres.par Aubain Wilfried NGOULOUGOU Université de Douala (Cameroun) - Master 2 recherche en droit public international 2020 |
B. LES FONDEMENTS PRATIQUES DE PERFECTIBILITÉ DES MÉCANISMES D'EXERCICE DE LA CONTRAINTEEn général, la coercition est exercée par la force lorsque les moyens pacifiques279(*) ont été épuisés. Quand elle intervient pour le rétablissement de la paix et de la sécurité, elle est militarisée: on parlera alors des mesures coercitives militaires280(*). Cependant, l'emploi de la force est de la compétence universelle du Conseil de sécurité (CS)281(*)de l'ONU. Il y a d'unepart l'universalité du CS, et d'autre part, l'immaturité du CPS qui limitent la pratique de la coercition militaire africaine. Ceci est à l'origine des interventions des forces extérieures en Afrique (1). Par ailleurs, l'unicité de la compétence de la Cour africaine des droits de l'Homme n'est pas sans impact (2). 1- LES LIMITES DE LA COERCITION MILITAIRE : LES INTERVENTIONS DES FORCES EXTÉRIEURES EN AFRIQUE Des situations troubles ont souvent sévi en Afrique, nécessitant l'intervention du CPS. Celui-ci a très souvent manqué d'efficacité. Selon Samuel NGUEMBOCK « Face aux conflits et au développement du terrorisme, de la Libye au Soudan en passant par le Mali, le Nigéria, la Centrafrique, l'Unionafricaine n'a pas su ou pu faire entendre sa voix »282(*). En conséquence, l'Afrique s'est souvent faite aidée, ou devrait-on dire s'est souvent faite prendre d'assaut par des forces extérieures à l'instar des puissances occidentales et de l'ONU. S'agissant d'abord des puissances occidentales, ce sont évidemment des armées nationales non-africaines dont la France et les États-Unis d'Amérique. La France peut parfois être motivée par ses Accords de défense et de solidarité passés avec ses anciennes colonies283(*).Ceci signifie le fait que le consentement des États troublés n'a pas toujours été requis. Sous le règne de l'UA, laFrance ne dénombre pas moins de 14 interventions en Afrique, entendues entre 2002et 2013284(*). Quant aux États-Unis,StephenBURGESS285(*)fait comprendre queleur investissement militaire en Afrique est indirectet, davantage antiterroriste et contre-terroriste286(*). S'agissant enfin de l'ONU, elle a l'apport le plus importantdans le « militarisme » en Afrique. Cet apport qui s'inscrit dans le cadre des opérations de maintiende la paix est composédes opérations menées par l'ONU elle-même et des opérations menées par d'autres organisations sous mandat de l'ONU287(*). En grosso modo, l'Afrique manque d'indépendance en matière d'intervention militarisée. En parallèle, que peut-on dire au sujet des droits de l'Homme? 2- L'IMPACT DE L'UNICITÉ DE LA COMPÉTENCE DE LA COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME « Jusqu'à nos jours, le seul volet de l'ordre public africain qui dispose d'une protection est celui des droits de l'Homme exercée par la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples. »288(*) . Ce fait ne manque pas de prépondérance sur la quiétude et la certitude de la réalisation des objectifs de l'UA en ce sens que les torsions relevées dans les pratiques africaines ne sont pas sanctionnées. Dans le domaine de la paix et la sécurité par exemple, « La résurgence et la multiplication des « faits illicites de violence grave commis par un individu ou un groupe d'individus, agissant à titre individuel ou avec l'approbation, l'encouragement, la tolérance ou le soutien d'un État, contre des personnes ou des biens, dans la poursuite d'un objectif idéologique, et susceptible de mettre en danger la paix et la sécurité internationales » sur le continent africain depuis le milieu des années 1990 impose à n'en point douter un examen minutieux des mécanismes juridiques de l'UA. »289(*). Dans cet état des choses, la seule protection des droits de l'Homme est de très loin suffisante pour tendre vers l'abolition des illicéités. En récapitulatif, les fondements de perfectibilité des mécanismes d'exercice de la contrainte sont à la fois théories et pratiques. Mais quelles seraient donc les modalités de perfectibilité de ces mécanismes ? * 279 Voir l'article 33 de la Charte de l'ONU : « 1. Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens pacifiques de leur choix.2. Le Conseil de sécurité, s'il le juge nécessaire, invite les parties à régler leur différend par de tels moyens ». * 280 Voir Jean-Paul Baxter BIDIAS À MBASSA, Droit de la sécurité collective, Université de Douala, 2016-2017, 41 pp., (spéc. p 34), inédit. * 281 Voir l'article 24 de la Charte de l'ONU : « Afin d'assurer l'action rapide et efficace de l'Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu'en s'acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité, le Conseil de sécurité agit en leur nom. » ; et l'article 42 : « Si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues à l'article41 seraient inadéquates ou qu'elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d'autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de Membres des Nations Unies. » * 282 Voir Samuel NGUEMBOCK, « L'Union africaine : une puissance diplomatique ? », Après-demain, 2014/3-4 (N ° 31-32, NF), pp. 13-14, spéc, p. 13. * 283 Le principe est celui suivant lequel, un Accord de défense et de solidarité peut servir de fondement d'intervention d'office d'un État dans un autre en situation de guerre civile s'il s'agit du terrorisme ou des assaillants étrangers. Par contre, si les assaillants sont des nationaux, c'est à la demande (avec le consentement) de l'État menacé que l'État partenaire interviendra. * 284Date : 2002 ; Opération : L'opération débute en septembre 2002. 4000 hommes sont déployés dans le cadre d'une force de maintien de la paix. Ils sont chargés d'assurer la protection des ressortissants européens et de s'interposer entre l'armée régulière et les rebelles nordistes ; Lieu : Côte d'Ivoire Chef de l'État : Laurent GBAGBO ; Nom de l'opération : "Licorne". Date : 2003 ; Opération : Opération européenne en Ituri (Nord-Est de la RDC). Les 3/4 des soldats déployés du 6 juin au 6 septembre 2003 sont français. Lieu : République démocratique du Congo (RDC) ; Chef de l'État : Joseph KABILA ; Nom de l'opération : "Artémis". Date : 2004 ; Opération : Destruction des aéronefs de l'armée ivoirienne après le bombardement de Bouaké dans lequel 9 soldats de la force Licorne ont trouvé la mort et 35 autres sont blessés. Évacuation des ressortissants français. Les soldats tirent sur la foule lors de manifestations anti-françaises notamment devant lefameux hôtel Ivoire. L'opération « Licorne » est également entachée par l'affaire Firmin Mahé (torturé jusqu'à ce que mort s'en suive par des militaires français dans une supposée opération de police). La justice française aétésaisie de la mort des soldats français. Lieu : Côte d'Ivoire Chef de l'État : Laurent GBAGBO ; Nom de l'opération : "Licorne". Date : 2006 ; Opération : Soutien à l'armée tchadienne face aux rebelles dans le cadre du dispositif Épervier. L'aviation française intervient, le 16 février 1986, à 250 km de Ndjamena ; Lieu : Tchad Chef de l'État : Idriss DÉBY ITNO ; Nom de l'opération : "Épervier". Date : 2007 ; Opération : Le 3 mars, le camp des militaires français situé au sud de Birao depuis décembre 2006 est attaqué par les rebelles de l'Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR). Plusieurs dizaine de parachutistes sont largués au-dessus de la ville pour défendre le détachement. Les soldats français et les forces armées centrafricaines (FACA) fidèles au Président François BOZIZÉ repoussent les rebelles quelques jours plus tard. Lieu : Centrafrique ; Chef de l'État : François BOZIZÉ. Date : 2008 ; Opération : Protection de l'aéroport de Ndjamena et évacuation des ressortissants français au Tchad. Échange de tirs entre l'armée française et les rebelles près de l'aéroport, soutien à Idriss DEBY ITNO sur fond de l'affaire de l'arche de Zoé. Lieu : Tchad ; Chef de l'État : Idriss DEBY ITNO ; Nom de l'opération : Présence française au Tchad. Date : 2008 ; Opération : Début de l'opération européenne de lutte contre la piraterie dans le golfe d'Aden. Lieu : Djibouti ; Chef de l'État : Ismail Omar GUELLEH ; Nom de l'opération : « Atalante ». Date : 2008 ; Opération : Soutien logistique à l'armée djiboutienne à la frontière érythréenne. Lieu : Djibouti ; Chef de l'État : Ismail Omar GUELLEH. Date : 2011 ; Opération : Installation de Alassane Ouattara au pouvoir après le kidnapping de Laurent Gbagbo par les forces spéciales françaises ; Lieu : Côte d'Ivoire ; Chef de l'État : Laurent Gbagbo ; Nom de l'opération : "Licorne". Date : 2011 ; Opération : Contribution française à l'intervention militaire internationale de 2011 en Libye. Les premiers avions interviennent après l'adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU. Lieu : Libye ; Chef de l'État : Mouammar KADHAFI ; Nom de l'opération : "Harmattan". Date : 2013 ; Opération : Paris déploie quelque 600 soldats chargés de protéger les ressortissants français, alors que Bangui est menacé par la coalition rebelle Séléka. Lieu : Centrafrique ; Chef de l'État : François BOZIZÉ ; Nom de l'opération : "Bouali" Date : 2013 ; Opération : L'opération débute le 11 janvier. La veille, plusieurs centaines d'islamistes armés se sont emparés de Konna, petite ville du centre du pays. La France bombarde les positions des djihadistes. Lieu : Mali ; Chef de l'État : Président de l'Assemblée Nationale DIONCOUDA TRAORÉ (intérim) ; Nom de l'opération : "Serval" Date : 2013 ; Opération : La tentative de libération de l'otage français Denis ALLEX (un agent de la DGSE enlevé en mission), retenu depuis juillet 2009 échoue. L'otage aurait officiellement été assassiné par ses geôliers tandis que deux membres du commando français étaient tués par les islamistes somaliens. Lieu : Somalie ; Chef de l'État : Hassan Sheikh MOHAMOUD ; Nom de l'opération : Ce fut un désastre total pour François Hollande. Date : 2013 ; Opération : Soutien à la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA) contre les islamistes de la Séléka. Lieu : Centrafrique ; Chef de l'État : Michel DJOTODIA ; Nom de l'opération : "Sangaris". * 285 Voir Stephen BURGESS, « L'intervention militaire en Afrique : Analyse comparée de la France et des États-Unis », ASPJ Afrique & Francophonie - 2e trimestre 2018. * 286 Voir, Jean-Paul Baxter BIDIAS À MBASSA, « La MINUSMA et le recours à la force dans la lutte contre le terrorisme : hirondelle du printemps ou boîte de pandore ? », RDIDC, 2018, N°4, pp. 408-438 (spéc. p. 415). * 287Dans le cadre des opérations personnellement onusiennes, un distinguo est fait entre les opérations déjà achevées et les opérations encore en cours. À titre d'exemples dans la première catégorie, on peut énumérer : la MINUL (de septembre 2003 à mars 2018) ; l'ONUCI (d'avril 2004 à mai 2017) ; l'ONUB (de juin 2004 à décembre 2006); la MINUS (de mars 2005 à juillet 2011) et la MINURCAT (de septembre 2007 à décembre 2010). Les opérations encore en cours sont entre autres : la MINUAD (depuis juillet 2007) ; la MONUSCO (depuis juillet 2010); la MINUSS (depuis juillet 2011); la FISNUA (depuis juillet 2011); la MINUSMA (depuis juillet 2013) et la MINUSCA (depuis avril 2014). Par contre, dans le cadre des mandats, toutes les opérations ont été achevées. Il s'agissait de l'ARTÉMIS (de juin à septembre 2003) (l'ARTÉMIS fut « la première opération militaire de l'Union européenne réalisée en dehors du périmètre du Vieux Continent et sans le recours aux moyens de l'OTAN ») ; l'EUPOL Kinshasa (d'avril 2005 à décembre 2006) (L'EUPOL Kinshasa fut « Première mission civile de gestion de crise en Afrique s'inscrivant dans le cadre de la PESD ».) et l'EUFOR RDC (période des élections de 2006 en RDC).Cf. Liste des opérations de maintien de la paix, source internet, https://fr. wikipedia.org/w/index.php?title=Liste_des_opérations_de_maintien_de_la_paix&oldid=164245757, (consulté le1er/12/2019). * 288 Voir Théodore POMTE-LE, op. cit., p.264. * 289 Voir Jean-Paul Baxter BIDIAS À MBASSA, « Les institutions de coopération de l'Union africaine dans la lutte contre le terrorisme », in : Aaron LOGMO MBELEK (dir.), L'Union Africaine : entre avancées incontestables et reculs contestables, op. cit., pp. 95-109 (spéc. pp.96-97). |
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