L’indépendance et l’impartialité du juge constitutionnel congolais.par Jean-Dieudonné Divin BOSAGA SUMAILI Université Protestante au Congo - Graduat en droit 2018 |
2. L'impartialité du jugeLes Chrétiens trouvent dans la bible (Deutéronome 1, 17) la source de l'impartialité du juge : '' Vous ne devez pas avoir de partialité dans le jugement. Vous entendrez le petit comme le grand. Il ne faut pas que vous preniez peur à cause d'un homme, car le jugement appartient à Dieu''. 69(*) Selon le dictionnaire de droit public international, l'impartialité n'est rien d'autre que l'absence de partie pris, de préjugé et de conflit d'intérêt.70(*) En effet, la justice constitutionnelle, comme toute justice71(*), est soumise à l'exigence d'impartialité. A son époque, Charles Eisenmann soulignait au sujet de la Haute Cour constitutionnelle d'Autriche qu'« appelée à jouer dans une certaine mesure le rôle d'arbitre entre les parties, à assurer le règne du droit jusque dans le domaine politique, l'impartialité de ses membres apparaît d'autant plus nécessaire qu'ils ont à se prononcer sur des questions plus brûlantes ».72(*) Mais l'impartialité est une qualité subjective et il n'est jamais possible d'être certain de l'impartialité d'un juge avant que celui-ci n'ait statué.73(*) Examinant cette question, la Cour Européenne a estimé que, lorsqu'il s'agit de se prononcer sur l'impartialité d'un tribunal, il faut, d'une part, tenir compte de la conviction et du comportement personnel du juge (démarche subjective) et, d'autre part, chercher si ce juge offrirait des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime à cet égard (démarche objective)74(*) une pensée qui fut d'ailleurs opinée du bonnet par la Cour suprême de justice Congolaise toutes sections confondues en son temps qui pensa aussi que les simples apparences ne suffisent pas. Notons aussi, de commun accord avec MATADI NENGA, la justice ne doit pas être rendue pour le plaisir de l'être comme cela devient courant au Congo : l'essentiel c'est de disposer contre son adversaire d'une décision de justice et chacun fait `'tout'' pour obtenir une décision en sa faveur. Les méthodes utilisées pour y amener le juge font très souvent violer ce dernier l'obligation de l'impartialité qui est une garantie pour toutes les parties en cause. Or, il ne suffit pas que la justice soit rendue, il faut que chacun se rende compte qu'elle l'a été (justice must not onlybedone, it must alsobeseen to bedone).75(*) En droit congolais, nous disposons de deux techniques qui permettent, quoi que de façon imparfaite, le contrôle de l'impartialité. L'une est la récusation76(*), en amont, et l'autre est la prise à partie pour dol. On peut inclure à ces techniques, le pourvoi en cassation, particulièrement fondé sur la fausse application ou la fausse interprétation de la règle de droit car la partialité du juge du fond suit généralement ce cheminement. Soulignons que l'action du juge partial peut se caractériser par l'absence de motivation.77(*) En conclusion, nous adhérons à la réflexion de Charles Eisenmann qui pensa en son temps que « ce n'est donc pas l'impartialité des juges que doit chercher à garantir le droit positif : sur cette qualité intellectuelle et d'ailleurs difficilement définissable [...] le droit n'a pas d'action directe, les moyens juridiques n'ont pas de prise. Ce qu'il faut à tout prix garantir, c'est l'indépendance des juges, qui est la condition, sinon suffisante, du moins nécessaire de l'impartialité, celle qui fera, non pas que les juges soient impartiaux, mais qu'ils ne soient pas empêchés de l'être, s'il est en eux de l'être »78(*). `'L'indépendance du juge paraît alors comme un moyen d'atteindre l'impartialité de l'organe chargé de rendre la justice''. Le juge Lamer, juge de la Cour suprême du Canada, qui rédigea l'opinion de la Cour dans l'arrêt « La Reine c. Lippé de 1991 », soulignait que « la garantie d'indépendance judiciaire vise dans l'ensemble à assurer une perception raisonnable d'impartialité ; l'indépendance judiciaire n'est qu'un `moyen' pour atteindre cette `fin'. Si les juges pouvaient être perçus comme `impartiaux' sans l'indépendance judiciaire, l'exigence d' `indépendance' serait inutile.79(*) L'indépendance est la pierre angulaire, une condition préalable de l'impartialité judiciaire ».80(*) Ces exigences prennent une ampleur particulière lorsqu'il s'agit du juge constitutionnel. En effet, comme remarquait Hans Kelsen « son indépendance vis-à-vis du Parlement comme vis-à-vis du gouvernement est un postulat évident. Car ce sont précisément le Parlement et le gouvernement qui doiventêtre, en tant qu'organes participant à la procédure législative, contrôlés par la juridiction constitutionnelle »81(*). Or l'indépendance est essentiellement la conséquence du statut de la juridiction et de ses membres. Charles Eisenmann a ainsi souligné que « l'indépendance -qualité juridique- ne tient pas tant au mode de nomination qu'au statut des juges une fois nommés : ce qui importe -même s'ils sont désignés (ce qu'on ne pourra pas toujours, peut-être jamais, éviter) par un organe politique, Parlement ou chef de l'Etat- c'est qu'ils échappent à toute influence de l'autorité qui les a choisis, qu'ils n'aient plus rien à craindre ni à attendre d'elle ».82(*) * 69 Idem, p. 48. * 70 Selon le dictionnaire de Droit International Public, op. cit., p. 562 et 570. * 71 « De la justice de classe, fustigée par La Fontaine [...] à la justice actuelle soupçonnée aussi bien d'être `'aux ordres'' du pouvoir que d'être parfois trop influencée par la presse ou l'opinion publique et les effets possibles de ses décisions sur celles-ci, les critiques les plus acerbes formulées contre les décisions des institutions juridictionnelles ont trait à leur impartialité. C'est dire combien la nécessité d'un tribunal impartial est ressentie comme étant de l'essence même de la justice, ce qui fait de l'impartialité un composant majeur de l'éthique des juges » (Pierre CROCQ, « Le droit à un tribunal impartial », Droits et libertés fondamentaux, sous la dir. de Remy CABRILLAC, Marie-Anne FRISON-ROCHE et Thierry REVET, Paris, Dalloz, 9ème éd., 2003, p. 412). Cité Emmanuel TAWIL dans sa communication présentée aux VIème congrès de l'association française des constitutionnalistes lors de l'Atelier 5 sur le thème : `'Où en est le juge constitutionnel ?'' Traitant sur L'organe de justice constitutionnelle - aspects statutaires, Montpellier, Juin 2005, p. 1. * 72 Charles EISENMANN, La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d'Autriche, Paris, 1928, rééd. Paris, Economica, 1986, p. 175. * 73 Emmanuel TAWIL, op. cit. * 74 MATADI NENGA GAMANDA, Le droit à un procès équitable, op. cit., p. 48. * 75 MATADI NENGA GAMANDA, Le droit à un procès équitable, op. cit., p. 49. * 76 Lire l'art. 71 du code d'OFCJ. * 77 MATADI NENGA GAMANDA, Le droit à un procès équitable, op. cit., p. 50. * 78 Charles EISENMANN, op. cit., p. 176. * 79 Lire Emmanuel TAWIL, op. cit., p. 1, * 80 La Reine c. Lippé [1991], 2 R.C.S. 114. Cité par Emmanuel TAWIL * 81 Hans KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la Constitution », R.D.P. 1928, p. 225-226. * 82 Charles EISENMANN, La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d'Autriche, op.cit., p. 176-177. |
|