L’indépendance et l’impartialité du juge constitutionnel congolais.par Jean-Dieudonné Divin BOSAGA SUMAILI Université Protestante au Congo - Graduat en droit 2018 |
§2. Notions sur les principes d'indépendance et d'impartialité du jugeCes deux principes sont tellement difficiles à cerner et à distinguer qu'on finit par les coudre dans le même sac : on dit au bout du compte « indépendance et impartialité », comme s'il s'agissait d'une institution unique45(*). Suite à ce, nous parlerons de manière précise et concise des principesd'indépendance (point 1) et d'impartialité (point 2) et en donnerons la distinction à retenir entre. 1. L'indépendance du jugeCe droit ne se discute pas, ne se discute plus. C'est aux constitutions qu'il appartient de le proclamer46(*). Le postulat de base est que l'indépendance de la magistrature est garantie par l'État et énoncée dans la Constitution ou la législation du pays47(*). Le bon fonctionnement de la justice, comme nous le disent BAYONA BA MEYA et LUZOLO BAMBI, requiert que les quatre organes qui concourent à l'administration de la justice, chacun dans sa sphère, soient indépendants48(*). Toutes les constitutions qu'a connues la République Démocratique du Congo ont consacré, d'une manière ou d'une autre, l'indépendance de la justice. L'indépendance, poursuivent-ils, ne signifie pas « séparation », car la justice doit compter sur la coopération avec les autres pouvoirs49(*) ; nous comprenons donc que l'indépendance ne doit pas être absolue, car ce qui importe ce qu'ils n'y aient ni pression ni entrave encore moins d'ingérence dans les missions propres de l'organe juridictionnel. Selon le Dictionnaire de Droit International Public, l'« indépendance » est le fait pour une personne ou une entité de ne dépendre d'aucune autre autorité que la sienne propre ou, à tout le moins, de ne pas dépendre de l'Etat sur le territoire duquel elle exerce ses fonctions.50(*) A ce sujet, HENKIN51(*) révèle que, même aux Etats-Unis, où l'indépendance des trois pouvoirs classiques semble prononcée, il reste difficile de la traduire en termes véritables de séparation des pouvoirs. Les trois pouvoirs s'interpénètrent pour s'équilibrer par le système « checks-and-balances ». Il découle de ce qui précède que, dans les Etats modernes, la question qui se pose n'est plus celle de la séparation des pouvoirs, ce qui est impossible, mais plutôt celle de savoir : comment sauvegarder le difficile équilibre des fonctions de l'Etat.52(*) Abordant le sujet de l'indépendance en droit congolais, le Professeur MATADI NENGA, pour sa part, distingue : L'indépendance du tribunal ; l'indépendance par rapport au pouvoir exécutif ; l'indépendance par rapport au pouvoir législatif ; l'indépendance vis-à-vis des parties ; l'indépendance vis-à-vis des autres pouvoirs de fait ; l'indépendance du ministère public.53(*) Une distinction que nous opinons du chef. Nous nous proposons alors, dans les lignes qui suivent, d'analyser quelques-unes de ses variantes nous proposées. D'emblée, notons que l'indépendance du tribunal s'analyse en une liberté d'exercice de la fonction juridictionnelle. Elle s'exprime notamment dans `'l'impossibilité juridique d'adresser des injonctions, ou même des recommandations aux membres de l'organe, relatives à leur activité juridictionnelle''54(*). Pour se faire, afin d'assurer cette indépendance, les juges doivent éviter certaines apparences, même si elles ne correspondent pas aux réalités, car elles peuvent créer dans le chef des justiciables des doutes légitimes sur l'indépendance de la juridiction.55(*) B. L'indépendance par rapport au pouvoir exécutif En lisant les constitutions du 01er Aout 196456(*) et du 24 Juin 196757(*), nous pouvons facilement comprendre la volonté des constituants des deux époques de vouloir parvenir à concrétiser une réelle séparation des pouvoirs au sein de l'Etat. Ce qui devait mener à une indépendance du juge plus ou moins acceptable (bien que cette dernière constitution ait connu une flopée des révisions qui ont finalement menées à l'institutionnalisation du parti unique »MPR », pour en faire l'institution suprême et unique qui détenait tous les pouvoirs et dont leprésident était d'office chef de l'Etat)58(*). Il a fallu attendre 20 ans (1994) pour reparler d'un pouvoir judiciaire à part entière.59(*) L'indépendance du pouvoir judiciaire, nous dit M. Jéol, ·est proclamée dans toutes les constitutions africaines sans que soient prévus les moyens de l'assurer·60(*). C'est le cas de le République Démocratique du Congo qui, malgré l'avènement d'un nouveau pouvoir61(*) et bien que l'article 12 du décret constitutionnel reconnaisse au magistrat l'indépendance de sa fonction, on ne voit pas comment ce dernier l'exercerait effectivement dès lors que l'exécutif est à la fois le ·patron du législatif· (membres nommés par l'exécutif) et du judicaire (qui est en fait totalement dépendant de l'exécutif)62(*) en ce sens que tous les hauts cadres de ce pouvoir sont nommés soit directement, soit indirectement par le pouvoir exécutif (bien que cela soit un droit constitutionnel). On ne peut donc pas dire qu'aujourd'hui dans République Démocratique du Congo, l'indépendance de la fonction juridictionnelle soit institutionnellement garantie. Des efforts doivent être fournis pour que cette indépendance soit réelle car sans elle, il est peu probable qu'un droit à un procès équitable soit garanti à son tour63(*). C. L'indépendance par rapport au pouvoir législatif Puisse que, au niveau actuel du fonctionnement des institutions, le législatif n'est pas lui-même indépendant de l'exécutif, nous pensons, de commun accord avec MATADI NENGA, qu'il n'a pas vraiment d'influence directe sur le pourvoir judiciaire. Sauf que, sur le plan des principes, il faut éviter que le législatif puisse remettre en cause les données d'un procès, les décisions du judiciaire rendues et ayant autorité de la chose jugée. Du point de vue international, il est principalement accepté qu'il n'appartient ni à l'exécutif ni au pouvoir législatif de censurer les décisions des juridictions, de leur adresser des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence.64(*) D. L'indépendance vis-à-vis des parties L'accomplissement parfait du travail de la justice passe immanquablement par une indépendance totale de celle-ci par rapport aux parties au procès. La dépendance pourrait subvenir des liens étroits qu'entretiendrait le juge avec l'une des parties. D'où la possibilité de récusation laissée par la loi.65(*) Il sied de souligner que cette dernière (la récusation) n'est souvent pas, voir jamais, au centre des débats lors des discussions sur la Cour Constitutionnelle. E. L'indépendance du ministère public En droit positif Congolais, précisément en droit privé, il est reconnu au ministère public le droit d'agir par voir d'action principale ; et aussi par voie d'avis obligatoire (dans certaines matières)66(*). En droit constitutionnel (dans la Cour Constitutionnelle), il est, en plus de ses missions originelles, chargé d'assurer le contrôle et la mise en pratique des décisions rendues par la cour.67(*) Soulignons que l'OMP peut, dans l'exercice de ses fonctions ne pas agir en toute indépendance étant donné les liens de subordination qui existent entre sa hiérarchie et lui. Aux termes de l'article 10 du code d'OFCJ, il est placé sous l'autorité du ministère de la justice. Nous conviendrons que : `'qui dit autorité, dit subordination`'.68(*) Plus loin, nous reviendrons sur ces analyses afin de les confronter à des réalités et cas pratiques pour en évaluer la teneur. * 45 Lire le document « Trois observations sur l'impartialité et l'indépendance des juridictions internationales » de Carlo SANTULLI. * 46 Lire à ce propos l'Acte du deuxième congrès de l'Association des Hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l'usage du français AHJUCAF Dakar - 7 et 8 novembre 2007, p. 30. * 47 Lire l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime de Vienne : l'ACCÈS À LA JUSTICE sur l'Indépendance, l'Impartialité et l'Intégrité de la magistrature. Compilation d'outils d'évaluation de la justice pénale, NATIONS UNIES, New York, 2008, p. 6. * 48 E.J. LUZOLO BAMBI LESSA et N.A. BAYONA BA MEYA, Manuel de procédure pénale, Kinshasa, Presse Universitaire du Congo, Kinshasa, 2011, p. 85. * 49 Idem, p. 86. * 50 Dictionnaire de Droit International Public, sous la direction de Jean SALMON, Bruyant, Bruxelles, 2001, pp. 570-562, Cité dans l'arrêt de la Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples du 18 Nombre 2016 dans l'affaire opposant l'Action pour la Protection des Droits de l'Homme (APDH) à La République de la Cote d'Ivoire, p. 26. * 51 L. HENKIN, Foreignaffairs and constitution, W. NORTON &company, New York, 1975, pp. 31-32, cité par MATADI NENGA. * 52 MATADI NENGA GAMANDA, La question du pouvoir judiciaire en République Démocratique du Congo : contribution à une théorie de réforme, éd. Droit et idées nouvelles, 2001, p. 395. * 53 MATADI NENGA GAMANDA, Le droit à un procès équitable,Editions Droit et idées nouvelles, 1990, pp. 44-47. * 54 J. VELU et E. RUBENS, La convention européenne des droits de l'homme, Bruylant, Bruxelles, 1990, n°539, cité par MATADI NENGA. * 55Commiss., arrêts Campell et Fell, du 28 Juin 1984, série A, n°80, pp. 39-41 : Srameck, du 22 octobre 1984, série A, n°84, p. 20, par. 42 ; Belilos du 29 avril 1988, Série A, n° 13, p. 30, par 67, cités par J. VELU et E. RUBENS, op. cit. Cité par MATADI NENGA. * 56 Lire la constitution du 01er Aout 1964 en son article 122 : « Le pouvoir judiciaire est indépendant des pouvoirs législatif et exécutif. Il est dévolu aux cours et tribunaux. » En aucun cas le pouvoir judiciaire ne pouvait être exercé par les organes des pouvoirs législatif ou exécutif. * 57 Lire l'article 56 de la constitution du 24 Juin 1967 : « Le pouvoir judiciaire est indépendant des pouvoirs législatifs et exécutifs ». * 58 Cette institutionnalisation a été consacrée par la Loi n°74-020 du 15 Aout 1974. On ne pouvait donc pas parler d'indépendance du juge car, dans l'exercice de son activité juridictionnelle, le juge pouvait se trouver bloquer ou encore voir sa décision être annulée à tout moment car tous les pouvoir émanaient du parti unique chapeauté par son président tout puissant * 59Journal Officiel de la République Démocratique du Congo, numéro spécial, avril, 1994. * 60 JEOL (M.), La réforme de la justice en Afrique noire, édition Pédone, Paris, 1963. * 61 Allusion faite ici à l'avènement de l'AFDL de Mzée Laurent Désiré KABILA qui terrassa le pouvoir du puissant Président MOBUTU. * 62 MATADI NENGA GAMANDA, Le droit à un procès équitable, op. cit., p. 45. * 63 MATADI NENGA GAMANDA, Le droit à un procès équitable, op. cit., pp. 45-46. * 64Idem, p. 45. * 65 Art. 71 de la loi-organique n°13/011-b du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l'ordre judiciaire (code d'OFCJ). * 66 Art. 9 du code d'OFCJ. * 67 Art. 94 de la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle. * 68 MATADI NENGA GAMANDA, Le droit à un procès équitable, op. cit., p. 47. |
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