L’indépendance et l’impartialité du juge constitutionnel congolais.par Jean-Dieudonné Divin BOSAGA SUMAILI Université Protestante au Congo - Graduat en droit 2018 |
2. Création de la Cour constitutionnelle par la Constitution du 1er août 1964Après avoir renvoyé le Parlement, le Président Joseph Kasa-Vubu mettra sur pied une commission constitutionnelle chargée d'élaborer le projet de Constitution qui fut soumis plus tard au référendum.29(*) Nous pouvons affirmerque, de commun accordavec le Professeur Vunduawe te Pemako, dès lors que le peuple souverain est intervenu pour l'adopter, aucun reproche ne peut lui être fait car son pouvoir est inconditionnel et inconditionné.30(*) C'est le lieu de dire que c'est par les articles 53 et 165 de la Constitution du 1er août 1964 que la Cour constitutionnelle a été, à nouveau, instituée dans l'histoire de notre pays. Le mémoire explicatif nous donne les raisons de sa création. On peut donc lire que « le problème de la constitutionnalité des actes législatifs, celui de l'interprétation de la Constitution et celui du jugement des autorités gouvernementales accusées de haute trahison et de violation intentionnelle de la Constitution, ont retenu l'attention de la Commission.Ayantrejeté le projet de la sous-commission judiciaire désignant la Cour suprême de justice comme juridiction compétente pour connaître de ces affaires, elle a estimé que l'appréciation de la constitutionnalité des lois, l'interprétation de la Constitution et le jugement des autoritésgouvernementales étaient des questions présentant un caractère politique trop accentué pour être examinées par une juridiction de l'ordre judiciaire. C'est pourquoi elle a prévu l'institution d'une juridiction spéciale dénommée Cour constitutionnelle »31(*). Par ailleurs, l'article 167 de la Constitution dite de Luluabourg définit la compétence de la Cour constitutionnelle en ces termes : « la Cour constitutionnelle est compétente pour connaître : 1° des recours en appréciation de la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi ; 2° des recours en interprétation de la présente Constitution, (...) ; 3° de toutes les affaires à l'égard desquelles la présente Constitution lui attribue compétence ; 4° de toutes les affaires à l'égard desquelles la législation nationale lui attribue compétence. La Cour constitutionnelle veille à la régularité de l'élection du Président de la République et des Gouverneurs de province (...). La Cour statue, en cas de contestation, sur la régularité des élections des membres du parlement et des assemblées provinciales (...). Elle veille à la régularité des opérations de référendum (...) ».32(*) De l'analyse de cette disposition, l'on peut dire que la Cour constitutionnelle ainsi instituée est une juridiction spécialisée qui dispose du monopole de l'exercice de la justice constitutionnelle. A l'instar de celui de 2006, le constituant du 1er août 1964 a donc opté pour un système centralisé de contrôle de constitutionnalité, suivant le modèle européen inspiré, comme on le sait déjà, de l'Ecole de Vienne dirigée par l'éminent juriste autrichien Hans Kelsen. La Cour constitutionnelle congolaise devait donc remplir trois des quatre missions principales reconnues à une juridiction constitutionnelle en droit comparé, à savoir : le contrôle de constitutionnalité des actes législatifs33(*), le contentieux des élections et des consultations populaires34(*) et le contentieux de la division verticale des pouvoirs.35(*) Le seul principal contentieux existant en droit comparé36(*), depuis quelque temps d'ailleurs, au niveau de la juridiction constitutionnelle, qui ne fut pas organisé par la Constitution sous revue est celui des libertés et droits fondamentaux, qui lui faisait de la juridiction constitutionnelle « gardienne des droits et libertésfondamentaux » notamment contre la volonté législative d'une majorité gouvernementale.37(*) Ceci induit que le droit de saisine soit élargi.38(*) Notons que, faute de texte d'organisation prévu pourtant à l'article 165, alinéa 7, de la Constitution qui devait fixer la procédure à suivre devant la Cour constitutionnelle, cette dernière n'a jamais été opérationnelle. Par ailleurs, l'article 196 (dispositions transitoires) avait prévu qu'en attendant cette installation, la Cour d'appel de Léopoldville, actuel Kinshasa, exercera les attributions dévolues par la Constitution à la Cour constitutionnelle. C'est ce qui justifie qu'en tant que juge constitutionnel, la Cour d'appel de Léopoldville a eu à connaître du contentieux électoral dans l'affaire qui avait opposé Monsieur Bomboko et consorts contre la République. La contestation était en rapport avec les élections législatives pluralistes organisées en 1964 par le gouvernement Moïse Tshombe. Il faut cependant dire que ce transfert de compétence de juridiction constitutionnelle à une Cour d'appel ne devrait pas être érigé en principe. Le pays sorti de perturbations aussi intenses que cruelles que l'on connaît avait-il réellement les moyens de sa politique ? Au-delà du catéchisme constitutionnel occidental en vogue à cette époque, le juge constitutionnel était-il un besoin social ressenti par les congolais ? Rien n'est moins sûr. La solution pragmatique était de confier cette fonction à un seul juge. La Cour suprême de justice jouera désormais le rôle de juge constitutionnel en remplaçant la Cour Constitutionnelle proprement dite. Cette dernière n'a jamais connu d'installation en raison de circonstances politiques de l'époque.39(*) Soulignons enfin que, au-delà des guerres, des sécessions et des rebellions qui ont émaillé les quatre premières années de l'indépendance, il eut aussi l'absence phénoménale de juristes congolais formés pour siéger à une si haute instance. Une chose est de prévoir un mécanisme, une autreest de trouver des personnalités aptes à l'animer dit-on. Comme on le verra, à l'installation de la Cour suprême de justice, le pays a dû recourir à des non magistrats et à des juristes étrangers.40(*) * 29 La commission constitutionnelle a été mise sur pied par l'ordonnance n° 226 du 29 septembre 1963 clôturant la session parlementaire et instituant une commission d'élaboration d'un projet de Constitution. * 30 VUNDUAWE te PEMAKO (F.), Traité de droit administratif, Bruxelles, Larcier, Kinshasa, Afrique-Editions, 2007, p.101. * 31Voy Mémoire explicatif de la Constitution du 1er août 1964, M.C., numéro spécial, 1er août 1964, pp.117-118. * 32 Voir M.C., n° spécial, 1er août 1964, p.28. * 33 Voir article 167, alinéa 1er, 1°, de la Constitution du 1er août 1964. * 34 Voir article 167, alinéas 2,3 et 4, de la Constitution du 1er août 1964. * 35 Voir article 167, alinéa 1er, 2°, de la Constitution du 1er août 1964. * 36 Aux Etats-Unis après la seconde guerre mondiale, en France depuis 1971 et en Belgique depuis la réforme de 1989 ; voy FAVOREU (L.), Les cours constitutionnelles, 3ème édition, Coll. Que sais-je ? Paris, PUF, 1996, p. 45. Cité par Dieudonné KALUBA DIBWA. * 37 ROUSSEAU (D.), Droit du contentieux constitutionnel, 6ème édition, Paris, Montchrestien, 2001, p.69. * 38 En France aujourd'hui, 60 députés ou 60 sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel. En Belgique, la Cour constitutionnelle peut être saisie par toute personne justifiant d'un intérêt ou son avocat (voir article 142, alinéa 3 de la Constitution belge et 5 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage). * 39 Lire, pour s'imprégner de ces circonstances, VANDERLINDEN (J.), (sous la direction de), Du Congo au Zaïre. 1960-1980, Bruxelles, CRISP, s.d: KAMUKUNY MUKINAY (A.), Contribution à l'étude de la fraude en droit constitutionnel congolais, Thèse de doctorat en droit public, Université de Kinshasa, Faculté de Droit, 28 juillet 2007 ; KITETE KEKUMBA OMOMBO, Autonomie Politique et Constitutionnelle du Zaïre. Essai de solution à l'inadéquation institutionnelle du Zaïre, Thèse de doctorat d'Etat en Droit public, Université de Droit et sciences sociales de Paris I, 1980 ; YOUNG (C.), Introduction à la politique congolaise, Kinshasa, Kisangani, Lubumbashi, Bruxelles, CRISP, 1968. Toutes cités par Dieudonné KALUBA DIBWA dans sa thèse de doctorat. * 40 Des personnalités comme Marcel Antoine LIHAU, Emile LAMY, Guy BOUCHOMS ou José Patrick NIMY MAYIDIKA NGIMBI émanaient soit de l'enseignement universitaire soit du Barreau. |
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