Les droits de défense dans le contentieux fiscal.par Mohamed Heni KHANFIR Faculté de Droit de Sfax - Mastère de recherche en droit public 2018 |
Section 2: L'intégration du principe de la contradiction :Le principe de la contradiction est l'âme de la procédure juridictionnelle. Il est étroitement lié aux droits de la défense131(*) qui sont considérés comme étant des droits naturels, imprescriptibles et inviolables puisse qu'il constitue une garantie de loyauté et d'impartialité de justice. Ainsi, le droit de la contradiction fait non seulement partie de ces droits, mais aussi, il constitue un pilier fondamental sur lequel repose leur effectivité. Dans ce cadre, le principe de la contradiction a une valeur importante notamment dans les procédures juridictionnelles.D'ailleurs, le professeur Gohin considère que « le respect du principe de la contradiction est un titre d'existence d'une justice développée »132(*) ce qui institue forcément l'Etat de droit. Le principe de la contradiction signifie que chaque partie a un droit de regard sur les conclusions et moyens avancés par la partie adverse et la possibilité de les discuter133(*).Il a également la possibilité de les contester; ce qui implique que les parties soient mises en mesure de s'expliquer au cours de la procédure d'instruction, qui doit être écrite, devant les juridictions statuant en matière fiscale et aussi de présenter des observations orales à l'audience134(*). A l'instar du droit à l'information, le droit de disposer d'un délai suffisant pour préparer sa défense, le droit de se faire assister par un avocat, le droit d'être jugé par un juge neutre le droit à une procédure contradictoire permet d'assurer la défense de toute personne. Ainsi, la mise en oeuvre du droit de la contradiction implique la liberté pour chacune des parties de faire connaître tout ce qui est nécessaire au succès de sa demande ou de sa défense. A ce titre, l'importance du droit de la contradiction ne peut être que soulignée. En effet, c'est la mise en oeuvre de ce droit qui permet d'entendre, avec la même attention et avec la même impartialité, les deux parties d'une procédure appelées à s'exprimer et à exposer chacune ses arguments et contre arguments. La contradiction dans le contentieux fiscal ne sera plus écrite et concrétisée par un échange de rapport entre les deux parties à savoir le contribuable et l'administration fiscale lors de l'audience mais elle devient également orale et se déroulera «en privé» dans le bureau d'un juge rapporteur. Ainsi, la contradiction dans le contentieux fiscal passe par deux différentes étapes successives : une première étape lors de la phase de la conciliation (paragraphe 1) et une seconde lors de la phase juridictionnelle (paragraphe 2). Paragraphe 1 : Le respect du principe de la contradiction dans la phase de la conciliation :Pour beaucoup de conflits, faute de pouvoir s'exprimer et se régler par des voies plus directes et peut, être en équité plus féconde, la voie contentieuse constitue malheureusement la seule issue. Toutes les procédures de conciliation sont donc à développer135(*). Elles sont à développer même au sein de l'instance fiscale. C'est dans cette optique qu'une phase de la conciliation a été organisée dans le cadre du procès fiscal par les dispositions des articles 60 et 61 du CDPF136(*). Dans ce cadre, il faut noter que la phase de la conciliation dans les litiges n'est pas une innovation apportée par le CDPF. En effet, l'article 67-I du CIRPPIS prévoyait l'examen du dossier du contribuable par une commission de conciliation. Cette commission était chargée d'établir un rapport écrit qui sera communiqué au contribuable dans un délai de 20 jours à compter de la date de sa réception. Or, cette commission de la conciliation qui devait être saisie avant l'établissement et la notification de l'arrêté de taxation d'office, a échoué dans l'accomplissement de sa mission et ce raison de l'absence de toute impartialité et indépendance dans la composition de ses membres137(*). Depuis l'entrée en vigueur du CDPF, la mission de la conciliation est confiée par le président du tribunal qu'il octroi le dossier à un juge rapporteur qui devra faire son mieux pour la mener à terme, dans le cadre d'un arrangement signé par les deux parties. Dans ce cadre, le caractère obligatoire de cette phase de la conciliation dans le procès138(*)garantit le fait qu'un débat entre l'administration fiscale et le contribuable va être soit entamé pour la première fois, soit relancé suite à l'échec de celui qu'il a procédé lors de la vérification fiscale. Ce débat se déroule entre les deux parties, face à un juge qui doit être neutre et n'épargne aucun effort pour les rapprocher, revêt par conséquent une importance extrême. D'où l'interrogation qui se pose concernant le sort du contentieux dans le cas où la phase de la conciliation n'a pas eu lieu. Selon certains auteurs, le jugement rendu malgré le fait qu'une phase de conciliation n'a pas eu lieu doit être infirmé139(*). Selon d'autres, la partie intéressée, soit le contribuable soit l'administration fiscale peut interjeter appel à l'encontre d'un pareil jugement et demander à ce que l'affaire soit renvoyée devant le tribunal de première instance pour un nouveau examen précédé par une phase de conciliation, et ce sur la base de l'article 149 du CPCC140(*). Lors de ce débat de contradictoire qui se déroule sous le regard du juge rapporteur, le contribuable peut se faire assister par une personne de son choix. Ainsi, il a le choix d'assister personnellement et seul à l'audience de la conciliation ou d'être accompagné par une personne qu'il considère être la plus habilitée à défendre ses intérêts face au représentant de l'administration fiscale. Cette personne peut être son avocat, son comptable, son conseiller fiscal, son expert-comptable, son commissaire au compte ou toute autre personne à qui il souhaite confier le soin de le représenter du moment qu'elle est munie d'un mandat à cet effet141(*). Par ailleurs, ledit mandat doit préciser que ce représentant est habilité à signer le procès-verbal de conciliation à la place, faute de quoi ce dernier tient de le signer142(*). En raison de l'importance de la phase de la conciliation dans le contentieux fiscal, le législateur a prévu la possibilité d'organiser plus d'une audience . Ainsi, non seulement le contribuable et le représentant de l'administration ont le droit à une seconde audience si jamais l'un des deux parties est absent143(*).Ils ont aussi le droit à autant d'audience qu'il en faut s'il y a des réels et sérieux efforts des deux parties en litiges afin de parvenir à un arrangement définitif. Dans ce dernier cas, la seule contrainte objective que va connaitre l'organisation de plusieurs audiences de la conciliation est d'ordre temporel et concerne la durée de la phase de la conciliation. En effet, l'article 61 du CDPF dispose à cet effet : « la phase de la conciliation ne peut pas dépasser quatre-vingt jours à compter de la date de la première audience. Le président du tribunal peut proroger cette période de trente jours au maximum suite à la demande du juge rapporteur ce qui donne une garantie au profit du contribuable pour mieux se défendre ». Toutefois, et même si cette phase prend fin sans que ledit arrangement n'ait eu lieu, cela n'exclue pas la possibilité de parvenir ultérieurement pendant le déroulement de l'instance à un compromis entre les parties concrétisées par un procès-verbal de conciliation et ce tant qu'un jugement n'a pas été rendu dans l'affaire. Un pareil arrangement est tout à fait valable et produit tous ses effets entre le contribuable et l'administration fiscale vis-à-vis du juge. Ce dernier doit classer l'affaire une fois qu'un accord concrétisant lui a été présenté144(*). La réussite de la phase de la conciliation dépond également de l'attitude adoptée par le juge rapporteur chargé de veiller au bon déroulement du débat entre les parties en litige. Il est certain que ce dernier doit faire non seulement preuve d'une grande patience mais, il doit être aussi actif et conciliant dans l'accomplissement de sa mission afin de rapprocher les points de vue antagonistes. Il doit par ailleurs, n'épargner aucun effort pour amener ces deux parties à discuter et à débattre des différents points du contentieux qui les opposent145(*). En faisant de la phase de la conciliation, une « procédure unique de règlement amiable des différents qui peuvent surgir à l'occasion de l'application de la loi fiscale»146(*). Cette contradiction ainsi conçue ne vise pas à éviter la naissance d'un litige entre les deux parties qui peut se solder par l'établissement d'un arrêté de taxation d'office147(*). D'ailleurs, elle vise plutôt à négocier un arrangement à l'amiable qui peut satisfaire à la fois le contribuable et l'administration fiscale après l'établissement d'un arrêté de taxation d'office exécutoire et dont l'exécution ne peut être suspendue que par le paiement de 10% du montant de l'impôt en principal ou par la production d'une gage bancaire de 15%pour le même montant148(*). Afin de renforcer les droits de la défense dans le contentieux fiscal, le respect de principe de la contradiction ne se limite pas uniquement à la phase de la conciliation mais, s'étend également à la phase juridictionnelle. * 131 Odent (R), Les droits de la défense, EDCE, Paris, 1953, p.55-56. / V.aussi: Puisoye (J), Le respect des droits des défenses devant les juridictions administratives, Sirey, 1962, chapitre 1er, p.1. * 132 Gohin (o), La contradiction dans la procédure administrative contentieuse, Paris, LGDJ, 1988, p.13. * 133 T.A, affaire n°55, 22 mars 1979, rec, p.59 : dans cet arrêt, le T.A a établi une équivalence entre le principe de contradiction et le principe des droits de défense. * 134 Richier (D), op.cit, p.189. * 135 Bertoni (P), «Contribution à l'étude de la pratique administrative du contentieux », in contentieux fiscal : principe et pratique, ouvrage collectif sous la direction de Lamber (T), les éditions S.T.H, Paris, 1989, p. * 136 Article 60 du CDPF modifié par l'article 46 de la loi n°78-2016 datée le 17 décembre 2017 relative à la loi des finances pour l'année 2017. * 137 Dhaouadi (L), « La procédure de conciliation fiscale, Info juridique », n°34 et 35, novembre 2007, p.13. / V. aussi : Werffeli (A), « Etude en droit fiscal », collection l'expert, 2003, p.310.311. * 138 Contrairement au caractère obligatoire de la phase de la phase de conciliation qui est bien affirmé par les dispositions du CDPF, des doutes existaient quant à la saisine de la commission de conciliation. Ces doutes et cette hésitation se reflétaient même dans la jurisprudence du T.A : Besbes (S), Code annoté de l'IRPPIS, documentation de base de la fiscalité tunisienne, 2ème édition, 2001, p.174. * 139 Rezgui (S), Code des Droits et Procédures Fiscaux (commentaire), éd, Imprimerie Officielle de la République Tunisienne, 2003, p.125. * 140 Werffeli (A), op.cit p.312. * 141 Ayari (K), Les procédures contentieuses et d'exécution. Législation et doctrine et jurisprudence, groupement Latrach du livre spécialisé, Tunis, 2007, p.p.165.167. * 142 Ibid, P.167. * 143 Article 60, alinéa 3 du CDPF tel qu'il est modifié par l'article 46 de la loi n°78-2016 datée le 17 décembre 2017 relative à la loi des finances pour l'année 2017. * 144 TPI Sfax, affaire n°73 rendu le 30 octobre 2002 (inédit), «Le juge a classé l'affaire sans suite après qu'un arrangement a eu lieu entre les parties après l'achèvement de la phase de conciliation. Il a considéré que cet arrangement mettait un terme au litige et qu'il n'y avait plus rien à trancher puisque les parties ont renoncé lors de sa conclusion à leurs prétentions respectives ». * 145 Ktata (A), « La conciliation juridictionnelle en matière fiscale », Revue Tunisienne de Fiscalité, n°3, 2005, p.101. * 146 Ibid, p.113. * 147 Ibid, p.p.112.113./ V. aussi: Dhaouadi (L), article précité, p.13. * 148 Article 52 du CDPF. |
|