En Europe, la traçabilité des produits de la mer permet-elle de contribuer à lutter contre les pêches illicites?par Bruno MORIN Université de Nantes - Master en droit des activités maritimes et océaniques 2015 |
3 - La fraude Américaine peut-elle exister en Europe ?En février 2013, l'organisation non gouvernementale OCEANA38 a rendu un rapport concernant une étude sur le marché américain en analysant, selon une méthode d'échantillonnage scientifique basée sur l'analyse ADN des produits de la mer commercialisés sur le marché des USA. Cette étude portait sur 1251 échantillons de poissons collectés dans 674 points de vente sur le sol américain. L'objectif de cette ONG était de vérifier l'adéquation entre l'origine des produits proposés à la vente et l'étiquetage de ces produits. Pour établir l'origine de ces ressources halieutiques, OCEANA s'est basée sur une analyse comparative entre l'ADN des poissons collectés et une base de données publique. Ces données publiques ont été collectées via un système de plate-forme collaborative internationale, initié en 2003 par Paul Hebert, chercheur à l'Université de Guelph, dans l'Ontario (CANADA). Cette base de donnée, nommée BOL (Barcode Of Life) 39 est incrémentée par les données ADN fournies par plusieurs laboratoires d'analyses internationaux, en partenariat avec le « DNA Data Bank of Japan » Japonais, le « GenBank » Américain et le « European molecular Biology Lab » européen. A ce jour, plus de 350 000 espèces et sous espèces animales ont été répertoriées dont les principales espèces halieutiques commerciales (Soles, Cabillaud, Thons, Vivaneaux,...), et l'intégralité des informations ADN de ces spécimens sont accessibles au public. Le projet BOL a pour vocation de créer une base de données mondiale accessible à tous, et permettant de conserver les codes ADN de toute la vie sur notre planète. Ainsi, outre les prélèvements effectués sur les espèces vivantes, le système Barcode DATA40 collecte également les données issues des Muséums d'Histoire Naturelle, ou tous les tissus cellulaires d'espèces disparues mais dont on peut encore extraire de l'ADN. 38 : ONG financée par Pex Charitable Trust - site : www.oceana.org 39 : Site : http://www.boldsystems.org 40 : Site : http://www.barcodeoflife.org La traçabilité des produits de la mer permet-elle de lutter contre les pêches INN ? Master 2 DSAMO - 2015 Page : 24 L'étude d'OCEANA, utilisant ce système a donc pu vérifier l'origine d'un produit et comparer la véracité des éléments d'étiquetage présents. Ainsi, cette ONG a pu démontrer qu'environ 33 % des espèces commercialisées sur le sol américain possédaient un étiquetage frauduleux41. Cette vaste fraude sur l'origine des produits de la mer concernait aussi bien des poissons d'élevage que des espèces surexploitées. De plus, certaines espèces, dont la teneur en mercure était élevée et déconseillée aux enfants et aux femmes enceintes, selon l'agence américaine des produits alimentaires et des médicaments (FDA)42 ont fait l'objet d'une substitution d'étiquetage, comme le bar, avec les risques sanitaires et sur la santé que cela entraînait. Cette fraude aux origines a donc eu un impact médiatique fort et le gouvernement américain, fort de ce constat, a mis en place une politique de lutte contre le marché du poisson d'origine frauduleuse. Le 18 juin 2014, le bureau du secrétaire de la Maison-Blanche a publié une fiche d'information sur la protection des océans et des zones côtières. Lors d'une déclaration, Barack Obama, Président des États Unis d'Amérique, en date du 17 juin 2014, a donné des instructions 43 aux agences fédérales afin d'élaborer un programme global visant à contrecarrer la pêche illicite et la fraude à l`étiquetage. Cette prise de conscience américaine sur les risques liés aux pratiques des pêches INN est assez novatrice dans la méthode de détection du problème, car elle est à l'initiative d'une ONG et est axé sur les problématiques liées à l'incidence du non-respect des origines des produits commercialisés sur la santé et le commerce et non dans une approche sur la pêche durable ou, à minima, respectueuse des règles internationales. D'après l'administration américaine, ces commerces illégaux, sont « évalués à 20 % des prises de poisson à l'état sauvage et coûterait 23 milliards de dollars par an aux entreprises de pêche légitimes dans le monde ». De l'autre côté de l'océan Atlantique, l'Europe a plutôt axé ses moyens de lutte contre les pêches INN sur le débarquement et la certification de l'origine d'un produit par un État tiers. Cette nouvelle approche de l'identification de l'origine d'un produit par des méthodes autres 41 : Rapport « Oceana Study reveals Seafood Fraud Naton wide » - février 2013 (auteurs : Kimberly Warner, Ph.D., Walker Timme, Beth Lowell et Michael Hishfield, Ph.D) - site : www.oceana.org 42 : FDA Food and Drug Administration - site : http://www.fda.gov 43 : Cette déclaration se trouve sur le site : http://iipdigital.usembassy.gov La traçabilité des produits de la mer permet-elle de lutter contre les pêches INN ? Master 2 DSAMO - 2015 Page : 25 que la certification administrative pourrait être transposé dans le système européen, car l'objectif premier de la politique commune de la pêche est de « garantir que les activités de pêche soient durables à long terme sur le plan environnemental et gérées en cohérence avec les objectifs visant à obtenir des retombées positives économiques, sociales et en matière d'emploi et à contribuer à la sécurité de l'approvisionnement alimentaire ». À travers cet objectif principal, et afin de ne pas se retrouver dans une situation similaire aux fraudes constatées sur le marché américain, garantir une bonne origine des produits commercialisés sur le marché européen paraît devenir un enjeu important. |
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