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En Europe, la traçabilité des produits de la mer permet-elle de contribuer à  lutter contre les pêches illicites?


par Bruno MORIN
Université de Nantes - Master en droit des activités maritimes et océaniques 2015
  

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2 - Les moyens européens déployés pour lutter contre ces pêches pirates

L'Union Européenne, est membre de droit de nombreuses ORGP car, dans le cadre de la pêche, et conformément au traité sur le fonctionnement de l'UE23, elle défend les intérêts de l'Europe auprès des États Tiers et des ORGP. Ce volet de politique extérieure de l'Union, prévu et détaillé dans le règlement portant politique commune de la pêche24, permet la mise en place de liens forts avec les partenaires internationaux pour lutter contre les pêches illicites.

En effet, les Organisations Régionales de Gestion des Pêches ont établi des listes de navires de pêche INN suite aux divers constats effectués dans leurs zones de compétences. Fort de cela, l'Union Européenne a permis d'intégrer directement ces listes de navires sur les listes du Règlement INN25 et d'appliquer ainsi l'ensemble des mesures coercitives prévues par les textes. La mise en place de cette mesure se traduit par la parution au journal officiel de l'Union Européenne d'un règlement établissant la liste des navires INN. Le dernier règlement paru a été établi en 201026 et une mise à jour est en cours d'élaboration. Les navires ainsi identifiés font l'objet d'une exclusion des eaux de l'UE et ne peuvent accéder aux ports des États membres, bénéficier de services portuaires ou débarquer dans ces ports, nonobstant bien sûr, les cas de force majeure ou de détresse prévus par la CNUDM27.

Cette disposition, simple dans sa forme, revêt un endroit juridique très important. En effet, ce modus opérandi permet d'intégrer des infractions constatées par des navires de contrôle d'États membre d'une ORGP dans le droit de l'Union. Ainsi, un navire de contrôle, battant pavillon de la République de Madagascar, qui contrôlerait un navire en infraction aux règles de gestion édictées par la Commission des Thons de l'Océan Indien (CTOI)28, pourrait faire inscrire le navire contrevenant sur la liste INN de la CTOI. Cette liste étant intégrée dans la réglementation de l'Union Européenne, ce navire serait classé INN dans les eaux Européennes. Donc, l'action coercitive d'un État, non membre de l'UE, peut indirectement

23 : Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, Article 43, paragraphe 2 - http://eur-lex.europa.eu

24 :Règlement UE 1380/2013 du 11 décembre 2013 Partie VI ( http://eur-lex.europa.eu)

25 : Règlement (CE) n° 1005/ 2008 article 30 ( http://eur-lex.europa.eu)

26 : Règlement (UE) n° 468/2010 de la commission du 28 mai 2010 établissant la liste de l'UE des bateaux engagés dans des activités de pêche illicite, non déclarée et non réglementée

27 : Convention de Montego Bay -CNUDM- article 18

28 : CTOI - ORGP couvrant les thons de l'océan Indien - site : www.iotc.org

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être validée par le droit de l'Union Européenne. Cette démarche d'intégration de ces listes au sein du droit européen démontre la volonté forte de l'Union d'utiliser tous les outils possibles pour lutter activement contre ces pêches illégales.

Les principales ORGP ont également un système d'échange de liste de ces navires, ce qui permet ainsi une lutte active mondiale contre les navires pêchant de façon illicite.

En sus de la liste de navires INN, l'union a également classé certains pays comme non coopérant. Ce classement a pour effet de suspendre tout commerce de produits de la mer et de navires de pêche avec ces États afin de les inciter à adopter des pratiques de pêche conformes aux règles soit de l'Union, soit des ORGP de leurs eaux de capture. Lors d'une décision en date du 24 mars 201429, le Conseil a classé le Belize, la République du Cambodge et la Guinée comme État non coopérant et lors de sa décision du 27 janvier 201530 a ajouté le Sri Lanka à cette liste et certains Etats, comme la République des Philippines, ont reçu une décision valant avertissement31 .

Cependant, l'Union ne voulant pas stigmatiser un État tiers de par son actuel comportement complaisant au regard de la pêche INN, la réglementation, continue d'inciter cet État à mettre en place une gestion cohérente avec les politiques internationales et européennes de bonne gestion des ressources halieutique. Ainsi, lorsqu'un État apporte « la preuve qu'il a remédié à la situation ayant justifié son inscription sur la liste »32, l'UE pourra lever ce classement INN et éventuellement inscrire cet État dans un partenariat commercial.

Ce partenariat peut être aidé financièrement par l'UE, comme le prévoit le règlement PCP, ce qui a pour effet d'inciter ces États non coopérants à entamer des démarches constructives de lutte contre les pêches INN et d'éviter tout isolement commercial.

Ces accords doivent cependant s'inscrire dans une démarche de « pêche durable », c'est-à-dire une exploitation des ressources halieutiques dans le respect des TAC, voire une recherche du RMD. Ces États peuvent être soutenus dans cette démarche par l'Agence Européenne de Contrôle des Pêches (AECP)33, qui fournit l'expertise technique nécessaire comme prévu par le règlement PCP article 30.

29 : Décision n° 2014/170/UE établissant une liste des pays tiers non coopérants dans le cadre de la lutte contre la pêche INN ( http://old.eur-lex.europa.eu)

30 : Décision n° 2015/200/UE établissant une liste des pays tiers non coopérants dans le cadre de la lutte contre la pêche INN ( http://old.eur-lex.europa.eu)

31 : Décision n° 2014/ c 85/03/UE relative à la notification d'un pays tiers que la Commission pourrait considérer comme pays tiers non coopérant ( http://eur-lex.europa.eu)

32 : Règlement (CE) n° 1005/ 2008 - article 34

33 : http :// efca.europa.eu

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Pour arriver à lutter efficacement contre les pêches illicites, l'Union Européenne, a essentiellement axé son corpus juridique sur l'aspect commercial des flux de produits biologiques de la mer. Dans l'ensemble de la réglementation européenne, les moyens mis en place se focalisent sur les entrants et les sortants. En effet, l'inscription sur une liste des navires pratiquant des pêches INN, ou le classement d'États en États non coopérants, ne sont qu'une partie de la méthode de lutte contre ces modes de production illicites, car, in fine, l'objectif est de garantir que les produits issus de ces pêches ne soient pas mis en vente sur le marché européen. Le règlement INN impose donc des moyens complémentaires à ces listes afin de lutter activement contre ces pratiques.

Dans son chapitre II, le règlement INN prévoit la mise en oeuvre d'inspection au port. Ce régime d'inspection a pour objectif de centraliser sur des points précis les débarquements des produits de la mer des navires en provenance d'états tiers, ou les opérations de transbordement entre un navire provenant de ces États et un navire d'un État membre. Outre ces obligations de débarquement ou transbordement dans des ports dits désignés, devant être clairement identifiés par chaque État membre, une notification préalable à l'accès au port, assortie d'une autorisation, est prévue dans ce règlement. En effet, le territoire de l'Union Européenne est tellement vaste, qu'il paraissait indispensable au législateur de canaliser ces flux entrants de produits dans des points donnés afin de pouvoir mettre en place des contrôles stricts de la marchandise.

Des objectifs quantitatifs de contrôle de débarquement de produits de la mer provenant de navire d'États tiers, à hauteur de 5 %, sont imposés par cette réglementation. Ces contrôles étant axés sur un croisement de données, entre la déclaration des captures effectuées par le capitaine du navire de pêche et les espèces contrôlées par les inspecteurs des pêches. Cet objectif de contrôle est complété par un système de ciblage dont l'objet est essentiellement basé sur les listes INN ou sur la suspicion de pratiques liées à la pêche INN. Ce modus operandi a d'ailleurs été repris en 2009 par la FAO dans le cadre de son accord relatif aux mesures de l'état du port visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche INN34.

34 : Accord approuvé par la résolution n° 12/2009 FAO du 22 novembre 2009 - www.fao.org

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Pour compléter ce dispositif, l'Union Européenne a mis également en place un système de certification des captures pour les importations et exportations des produits de la pêche. Dans son article 12, le règlement INN érige comme élément de base que « l'importation de produits de la pêche INN est interdite ». Partant de cette base, tous les produits de la mer importés, lorsqu'ils touchent le territoire de l'union soit dans un port désigné pour les débarquements, soit via un poste d'inspection frontalier (PIF), doivent être accompagnés d'un certificat de capture. Certaines organisations régionales de gestion des pêches ont édicté également ce système de certification, l'union reconnaît ces certificats comme équivalents aux certificats INN exigés par l'Union35.

Ces certificats, devant être communiqués auprès de l'État membre dans lequel le produit est importé, est validé par l'État du pavillon du navire de pêche. Si les produits transitent par un État intermédiaire, ce dernier, en sus du certificat de capture, devra attester que ces produits n'ont pas subi de transformation.

Au regard des quantités importantes importées depuis des pays tiers, et afin de sécuriser au maximum ces circuits d'importation, l'UE a créé un statut d'opérateur économique habilités. Ce statut, créé par le règlement établissant le code des douanes communautaires36 avait à la base pour vocation une simplification des formalités douanières et octroyant à des entreprises une habilitation après vérification du système de gestion interne desdites entreprises et un système de suivi et d'audit interne. Le règlement d'application INN de 2010 a étendu le champ d'habilitation de ces opérateurs économiques à l'importation de produits de la mer. Ainsi, ces opérateurs bénéficient de simplifications douanières et de simplifications administratives pour importer des produits de la mer certifiés.

Cette certification est établie par l'Etat du pavillon du navire de pêche et a pour objectif d'attester l'origine du produit de la mer concerné et certifier que le produit en question a été pêché selon des critères respectant les règles de bonne gestion des stocks halieutiques. Ces critères sont essentiellement liés au respect des TAC dans les ZEE, selon les règles édictées par la CNUDM et par le respect des résolutions, accords ou traités internationaux ou régionaux dans le cas des ORGP. Cette certification, basée sur la confiance de l'UE envers les Etats importateurs, est également régulièrement évaluée par des membres de la Commission Européenne, assisté par des experts de l'Agence Européenne de Contrôle des

35 : Règlement (CE) n° 1005/ 2008 - article 13

36 : Règlement (CE) n° 2454/93 du 2 juillet 1993fixant certaines dispositions d'application du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire

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pêches dans le cadre d'audits. Ces Etats, dont la majeure partie bénéficie d'aides financières prévues par la Politique Commune des Pêches, ont tout intérêt à coopérer lors de ces audits.

En cas de manquements suspectés lors d'une inspection dans un des ports de l'Etat membre, où lors d'un contrôle de certificat d'importation, les éléments de constatation et de preuves peuvent conduire à lancer des investigations de la part de la commission. S'il s'avère qu'un navire ne respecte pas les critères minimaux de capture conformes à la bonne gestion des pêcheries imposés par l'UE, ce navire sera inscrit sur la liste des navires INN avec toutes les conséquences économiques que cela peut entrainer.

Concernant les Etats tiers, si ces derniers ne respectent pas les règles en matière de gestion des ressources halieutiques de leur ZEE en adoptant un régime de lutte contre les pêches INN, ou s'ils ne luttent pas effectivement contre des pratiques INN de la part des navires battant leur pavillon, ces Etats s'exposent à une impossibilité de commerce de produits de la mer, ou de navires de pêche, avec l'Union Européenne.

Cette forme de protectionnisme du marché des produits de la mer européen aurait pu être mal perçue par l'ensemble des Etats de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) car ce système positionne l'Union Européenne en situation de monopole commercial de par le fait que certains Etats ne commercent ces produits qu'avec l'UE. Cependant, ce système ayant des bases fondamentales dans les diverses résolutions et accords internationaux portés par l'Organisation des Nations Unies et la FAO, aucun Etat tiers ne peut s'engager dans une démarche de contestation du système européen d'importation des produits de la mer.

En effet, tous les États ayant des flux commerciaux de ressources halieutiques avec l'UE sont, certes, astreints à un régime de certification, mais sont également aidés et assistés par l'Union pour leur permettre de développer et soutenir une « pêche durable »37 .

La mise en place de ces règlements européens, axés essentiellement sur la maitrise des flux entrant et sortant, a pour objectif d'être en capacité de déterminer si un produit a licitement été capturé. Cette certification de l'origine d'un produit, si elle n'est pas appliquée peut avoir des répercussions économiques fortes et créer une concurrence déloyale auprès des producteurs de l'État d'importation. Une étude récente, réalisée au sein

37 : Règlement INN 1005/2008 - Titre II -art :31 ( http://eur-lex.europa.eu)

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des États Unis d'Amérique a démontré les incidences que peut produire une non-certification des captures.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway