En Europe, la traçabilité des produits de la mer permet-elle de contribuer à lutter contre les pêches illicites?par Bruno MORIN Université de Nantes - Master en droit des activités maritimes et océaniques 2015 |
B - Certifier l'origine d'un produit, les responsabilités de chacunPage : 46 1- Le portage de responsabilités des différents opérateurs du marchéLa filière de commercialisation des produits de la mer est forte de plusieurs types d'opérateurs, allant du producteur et de l'importateur au détaillant en passant par les halles à marée, les grossistes, les conserveries et les grandes et moyennes surfaces dotées de centrale d'achat. Ce vaste réseau commercial doit donc s'accorder avec les règles en matière de traçabilité sanitaire, de contrôle de la bonne origine et respecter l'étiquetage des produits. En matière sanitaire, la responsabilité de l'opérateur est pleine et entière. Comme cela a déjà a été mentionné précédemment, un opérateur mettant sur le marché des denrées alimentaires porte la responsabilité du bon état sanitaire de la chose vendue. En effet, le règlement européen n° 178/2002 édicte le fait que « Les exploitants du secteur alimentaire et du secteur de l'alimentation animale veillent, à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution dans les entreprises placées sous leur contrôle, à ce que les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux répondent aux prescriptions de la législation alimentaire applicables à leurs activités et vérifient le respect de ces prescriptions90 ». Cette obligation, reprise par le paquet hygiène de 2004 et reprise en droit national par le code rural et de la pêche maritime, est une obligation de résultat que seul l'opérateur porte. En cas de défectuosité qualitative de la denrée alimentaire, l'opérateur devra la retirer du marché, voire mettre en place un rappel de produit. Cependant, la trace sanitaire devra être remontée pour comprendre et faire cesser la cause de la corruption du lot incriminé. Dans ce cas, la responsabilité de l'opérateur portera sur le résultat et non sur l'origine. Ainsi, un exploitant vendant des denrées altérées, portera une responsabilité en cas de dommage causé à des tiers, aura l'obligation de rappeler les produits incriminés, mais ne sera pas forcement tenu pour responsable de la chose si lui-même a été victime de son fournisseur. En outre, un retrait de produits demandé par l'autorité sanitaire ne pourra permettre à l'opérateur de justifier une diminution de ses effectifs sociaux et il devra 90 : Règlement (CE) No 178/2002 du parlement européen et du conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires - article 17 ( www.eurlex.eu) La traçabilité des produits de la mer permet-elle de lutter contre les pêches INN ? Master 2 DSAMO - 2015 Page : 47 assumer cette perte financière91. Ce portage plein et entier de responsabilité civile incitera donc les opérateurs à contracter des assurances de perte d'exploitation pour prévenir ce risque. Ces exploitants ont donc un intérêt particulier à respecter les normes sanitaires et la traçabilité attachée à celle-ci afin de ne pas, en sus de la responsabilité qu'ils portent, perdre des parts de marché. De même, les informations en matière d'étiquetage, à destination des consommateurs, relèvent également de la responsabilité pleine et entière de l'opérateur. Ces informations, dont le cadre général est couvert par un règlement européen commun à toutes les denrées alimentaires92 et dont les spécificités en matière halieutique sont régies par le règlement européen portant organisation commune des marchés, doivent être portées à la connaissance de l'acheteur. L'incomplétude ou l'absence de ces mentions seront directement opposable à l'operateur qui s'exposerait à des poursuites pénales en vertu du code de la consommation93. Ces mentions ont pour objectif de permettre au consommateur de mieux choisir le produit acheté, dans un univers ou la médiatisation de l'appauvrissement des océans en ressources halieutiques est souvent un sujet d'actualité, voir l'objet de reportages ou de films cinématographiques. Cependant l'intégralité des mentions exigées, comme le nom vernaculaire et commun de l'espèce ainsi que la zone et le type de production, ne peuvent exister que si une trace de l'origine du produit existe. Les manquements en la matière doivent inciter les services de contrôle à investiguer pour identifier l'origine de ce manquement, c'est-à-dire soit une défaillance de l'opérateur, qui sera donc pénalement responsable, soit, si celui-ci a acheté de bonne foi ce produit, une possible vente de produits d'origine illicites. Concernant l'origine du produit vendu, les opérateurs doivent être capables de fournir les données de traçabilité externe, ou « contrôle », de la chose vendue. Le règlement « contrôle » leur confère cette responsabilité mais en l'état actuel du système français, l'application de l'article 58 du règlement n° 1224/2009 est en attente de la mise en place du système SALTO. La note de la DPMA du 6 novembre 2014 permet aux opérateurs de fournir les données de traçabilité soit sous forme électronique, si l'opérateur en question est doté d'un tel système, soit sous forme documentaire. Un délai de 24 heures est octroyé aux 91 : Cours de cassation - Chambre sociale - audience publique du mercredi 20 octobre 1999 - N° de pourvoi: 97-42820 92 : Règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires 93 : Code de la consommation - article R214-13 La traçabilité des produits de la mer permet-elle de lutter contre les pêches INN ? Master 2 DSAMO - 2015 Page : 48 opérateurs pour fournir les documents de traçabilité externe demandés lors d'une inspection avec la possibilité de consigner les produits en attente de ces informations. Ce délai, accordé par l'administration française peut être interprété comme non conforme au règlement « contrôle » qui impose dans son article 58 une transmission immédiate de ces informations. Une application stricto sensu de cet article engagerait ainsi la responsabilité de l'opérateur alors que le système national n'est toujours pas opérant. Le modus operandi accordé pour permettre aux opérateurs de réunir et communiquer les informations nécessaires aux fins de contrôle de la traçabilité externe édictée par la DPMA permet ainsi aux exploitants de ne pas porter la responsabilité de la carence d'informations immédiates sur ce sujet. Cet engagement de l'administration française parait logique car les opérateurs, même s'ils sont collaborateurs de la création du système SALTO, ne peuvent porter la responsabilité du retard de mise en place de ce système. Donc, les opérateurs sont responsables de fournir les données de traçabilité externe lors d'un contrôle, mais dispose d'un délai pour cela afin de collecter les documents demandés. Cette disposition particulière prendra normalement fin lors de la mise en place de la base de données SALTO, prévue dans les prochains mois. Lorsque ces produits sont issus de l'importation, le certificat de capture, sera de fait la forme documentaire de la traçabilité externe de ces produits. Le système de traçabilité externe ou de contrôle prend donc la forme du schéma suivant : Source : DPMA - Cahier des charges du volet Traçabilité du Règlement « Contrôle » Ainsi le lot « X », lors d'un contrôle, et dans l'attente du système informatique SALTO, devra être accompagné des documents de traçabilité permettant de remonter aux trois navires La traçabilité des produits de la mer permet-elle de lutter contre les pêches INN ? Master 2 DSAMO - 2015 FRA1, FRA2 et FRA3 soit une masse documentaire très importante et complexe à vérifier pour les services d'inspections. Si les services d'inspections veulent vérifier les documents de traçabilité externe des espèces figurant sur la photo ci-dessous, transmis sous forme de document accompagnant la marchandise, cela s'avérera extrêmement difficile et chronophage. En effet, si l'on prend l'exemple précédent d'un lot avec trois navires à l'origine du lot et donc trois historiques de traçabilité externe à vérifier et qu'on le multiplie par le nombre d'espèces de l'illustration suivante, soit une douzaine, les services d'inspection devraient vérifier 36 origines différentes pour un seul étal. Source : photo du site « mes courses à la loupe » avec leur autorisation L'informatisation et l'électronisation de cette traçabilité externe apparait donc être une condition sinequanon à la bonne réalisation de la surveillance du commerce des produits de la mer quant à la vérification de l'origine des lots. Page : 49 La traçabilité des produits de la mer permet-elle de lutter contre les pêches INN ? Master 2 DSAMO - 2015 Page : 50 |
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