L'Union Africaine face aux graves violations des droits de l'homme.par Paul Sékou YARADOUNO Université générale Lansana Conté Sonfonia-Conakry Guinée - Master droits de l'homme et droits humanitaires 2019 |
B - Le brassage normatif du système africain de protection des droits de l'hommeLa Charte africaine des droits de l'homme et des peuples protège non seulement les droits de la personne humaine mais aussi les droits des peuples, de façon extraordinaire elle a consacré les devoirs de l'individu vis-à-vis de sa communauté57(*). Les droits qu'elle consacre ne sont pas nouveaux par rapport aux instruments internationaux de protection des droits de l'homme tels la DUDH et les pactes internationaux de 196658(*). C'est pourquoi le juge Fatsah OUGUERGOUZ exprime que : « les points de convergence entre celles-ci [Charte et Déclaration Universelle] l'emportent en effet nettement sur leurs différences »59(*). Son opinion a été renchérie par Valère ETEKA-YEMET qui souligne que « la majorité des normes de la charte africaine des droits de l'homme et des peuples est reprise des autres instruments universels et régionaux des droits de l'homme »60(*). Nonobstant le fait que la notion des droits des peuples n'a pu être clairement identifiée dans la Charte africaine, celle-ci renvoie aux droits d'une communauté à déterminer la manière dont elle doit être gouvernée, comment son économie et sa culture doivent être développées et quelle part doit-elle effectivement prendre dans la gestion des affaires publiques de l'Etat au sein duquel elle doit trouver son plein épanouissement. Ces droits englobent tout ce qui touche la vie du peuple dans son ensemble tels que : le droit à un environnement sain, le droit à la paix et à la sécurité. L'expression du droit des peuples est l'originalité normative de la Charte qui tire son essence ou sa source sur l'égalité des peuples et leurs droits à disposer d'eux-mêmes. C'est pourquoi Virally Michel a assimilé le droit des peuples comme faisant partie intégrante du droit international positif61(*). Au-delà, depuis quelques décennies maintenant un certain nombre de résolutions des Nations Unies ont exprimé la préservation des peuples contre les fléaux de la guerre, de la famine malgré que toutes ces propositions importantes n'aient acquis le sens de droit. Le juge Nicolas Valticos partage l'avis selon lequel : « le risque de l'affirmation d'un droit des peuples serait, à certains égards, a-t-on pu objecter, d'entraîner pour le moins l'affaiblissement des droits de la personne humaine »62(*). Donc l'affirmation d'un droit des peuples dans la Charte n'est qu'un moyen d'entamer profondément les droits de la personne humaine. Or, l'expression droit des peuples a une genèse purement sociologique et serait même liée aux racines coloniales en Afrique. Cette remarque est d'ailleurs admise par certains juristes à l'image du juge N'GOM qui, pense que « la seule justification de la présence de la notion de « droits des peuples » dans la Charte africaine est liée à l'existence des derniers bastions coloniaux » 63(*), telle la situation liée à l'apartheid qu'a connu l'Afrique du sud avant la sortie de prison de Nelson Mandela. Dès lors, toute autre interprétation ne ferait qu'engendrer de fâcheuses répercussions extrêmement graves pour les droits des citoyens que la Charte se donne pour préoccupation de protéger du fait de la vicissitude qui pourrait résulter de la faiblesse des souverainetés nationales postcoloniales. Sans nier l'intérêt de l'argumentation suggérée par le Président SENGHOR et développée par Kèba MBAYE64(*), la vraie question que l'on pourrait se poser aujourd'hui est celle de savoir comment s'assurer que les individus africains s'acquitteront de leurs devoirs au titre de la Charte africaine ? Ou bien faut-il simplement en déduire que cette construction normative aléatoire ne témoigne que de la vertu pédagogique de la Charte, en quelque sorte des balises éthiques qui éclairent la conception africaine des droits de l'homme ? C'est pourquoi le doyen Madiot en présentant les deux articles (27 et 28) consacrés aux devoirs de l'individu emploie l'expression ``fades'' et s'interroge enfin sur la place que pourrait avoir par conséquent l'article 29 dans l'ordre juridique africain des droits de l'homme. Il pense que : « l'article 29, en revanche, composé de huit alinéas, est plein de risques. Il met l'individu au service de la communauté et permet de justifier toutes les oppressions. Il aboutit aussi à détruire ou fortement minimiser les droits reconnus à l'homme dans les articles 1 à 18 »65(*). La consécration des devoirs de l'individu dans la Charte serait de l'arbitraire et une justification des doctrines peu soucieuses des droits de l'individu. L'individu serait donc sacrifié au profit soit d'un progrès communautariste illusoire, soit introduit dans l'unanimisme sanguinaire qui a caractérisé la plupart des pouvoirs africains. * 57 BOUKONGOU J.D, « Vie familiale comme lieu d'exercice des droits fondamentaux : lecture des pratiques africaines », in Le défi des droits fondamentaux, sous la dir. de OTIS (G.) et MORIN (J.-Y.), Bruxelles, Bruylant, 2000. », pp.1-22 * 58 VALTICOS. N, a souligné que la Charte africaine consacre des droits que ne connaissent pas d'autres conventions : « Universalité et relativité des droits de l'homme », in Mélanges en hommage à Louis Edmond Pettiti, Bruxelles, Bruylant, 1998, P. 745 * 59 OUGUERGOUZ. F, La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Une approche juridique des droits de l'homme entre tradition et modernité, Paris, PUF, 1993, p. 67 * 60 YEMET V. E, La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, Paris, L'Harmattan, 1996, p.370 * 61 VIRALLY. M, « Panorama du droit international contemporain », Cours général de droit international public ; Recueil des cours de l'Académie de droit international, tome 183, 1983 - V, pp. 7-382, notamment page 60. * 62 VALTICOS. N, « Universalité et relativité des droits de l'homme », op. cit. p. 749. * 63 N'GOM. B, Charte africaine des droits de l'homme et des peuples - Présentation, in Alain FENET (dir.), Droits de l'homme - Droits des peuples, PUF, Paris, 1982, p. 207. * 64 OUGUERGOUZ. F, op. Cit. , pp. 233-234 * 65 MADIOT. Y, Considérations sur les droits et devoirs de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 126 |
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