L'Union Africaine face aux graves violations des droits de l'homme.par Paul Sékou YARADOUNO Université générale Lansana Conté Sonfonia-Conakry Guinée - Master droits de l'homme et droits humanitaires 2019 |
Paragraphe 2 : La jurisprudence de la Cour africaine des droits de l'hommeLa Cour africaine des droits de l'homme et des peuples constitue, avec la Cour africaine de justice, le système africain de protection des droits de l'homme. C'est dans ce cadre qu'elle émet ses avis consultatifs (A) et exerce sa compétence contentieuse (B). A - les avis de la Cour africaine de justice et des droits de l'hommeConformément au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, la Cour peut donner un avis sur toute question juridique concernant la Charte africaine ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme. Il précise clairement en son article 4 que « A la demande d'un Etat membre de l'UA, de l'UA, de tout organe de l'UA ou d'une organisation africaine reconnue par l'UA, la Cour peut donner un avis sur toute question juridique concernant la Charte ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme, à la condition que l'objet de l'avis consultatif ne se rapporte pas à une requête pendante devant la Commission. Les avis consultatifs de la Cour sont motivés. Un juge peut y joindre une opinion individuelle ou dissidente. Ceci parait porter du bout des doigts les organisations intergouvernementales comme les Communautés économiques régionales mais, interprétée de manière extensive par la Cour. Cet article autoriserait la demande d'avis consultatif par les ONG. Dès lors, l'UA reconnait à certaines ONG un statut d'observateur. Elles pourraient, au regard de cette interprétation, demander un avis consultatif à la Cour sur une question juridique se rapportant à la Charte africaine ou « tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme ». La jurisprudence de la cour apportera une réponse à cette question. Pour éclairer cette compétence, on peut se rapporter à l'autre organe de l'UA qu'est la Commission africaine qui, au regard de la Charte a également pour fonction de donner son avis sur toute question relative aux instruments de promotion et de protection des droits de l'homme. Ainsi, la Commission a plusieurs fois usé de cette compétence conférée à elle par la Charte pour donner suite à la requête invoquée devant elle par les chefs d'Etat de l'UA. En juin 2006, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a adopté la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ce texte devait être adopté la même année par l'Assemblée générale des Nations unies, mais le groupe africain a soulevé certaines préoccupations concernant la rédaction de quelques dispositions de la Déclaration. Réunis en sommet en janvier 2007 à Addis-Abeba(Ethiopie), les chefs d'Etat ont confirmé leur volonté de retarder l'adoption du texte pour recueillir l'avis de la Commission en vue d'y apporter d'éventuels amendements. La Commission a ainsi produit un avis juridique (rendu public en mai 2007 lors de sa session à Accra, Ghana) sur les dispositions de la Déclaration, répondant point par point aux préoccupations du groupe africain. De ce fait, aucun conflit de compétence ne pourrait exister entre la Commission africaine et la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples concernant les demandes d'avis puisque le Protocole détermine prudemment et expressément que « la Cour peut être saisie d'une demande d'avis consultatif à condition que l'objet de celui-ci ne se rapporte pas à une requête pendante devant la Commission. Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'avis consultatif, la Cour en transmet copie à la Commission. Elle informe également les Etats parties et toute autre entité intéressée qui peuvent soumettre leurs observations écrites sur les dispositions ou les points soulevés par la demande. Et si elle le décide, la cour procédera à une procédure orale, conformément à son règlement intérieur. Les avis rendus sont publics et motivés. L'article 4 du Protocole de Ouagadougou habilite la Cour à donner des avis consultatifs sur toute question juridique et cela, en donnant la possibilité à certaines entités d'exprimer cette demande d'avis telles les Etats parties au Protocole, l'UA elle-même et ses organes, les autres Etats membres de l'UA y compris toute organisation africaine reconnue. Ainsi, la solution que retient le protocole se démarque peu de celle que privilégie la Charte concernant le pouvoir d'interprétation de la Commission africaine. D'autant plus que l'accès à la voie consultative est élargi à tous les Etats membres de l'UA, parties ou non au protocole. Celle-ci s'éloigne également de celle adoptée dans la convention européenne des droits de l'homme qui habilite seulement le Comité des ministres à demander un avis. Par contre, elle se rapporte à celle que l'Organisation des Etats de l'Amérique consacre à travers le système interaméricain où une cour peut être saisie par tous les Etats membres et des organes de celle-ci. Cependant, la distinction réside dans l'imprécision du protocole de Ouagadougou non seulement au niveau des organes habilités à demander l'avis mais du sens donné à l'expression « Organisation africaine reconnue par l'UA ». S'agit-il des communautés économiques régionales seulement ? Les organisations non gouvernementales reconnues par l'UA en font-elles partie ? Et que signifie « reconnues par l'UA » ? Est-ce une simple reconnaissance formelle ou plutôt une reconnaissance perceptible à travers une coopération active entre l'UA et l'organisation en question ? Tant d'interrogations que seul le développement de la jurisprudence pourra éclairer. Toutefois, le Protocole portant statut de la Cour africaine de justice et des droits de l'homme(CAJDH) est précis en son article 53 sur ce point en occultant toute référence à « toute organisation africaine66(*) », en listant nommément les organes habilités à saisir la Cour d'une demande d'avis consultatif67(*). Dès lors, le champ d'application de la compétence consultative tout comme celle contentieuse, est très large. Il englobe à la fois la Charte et tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme, ce qui comprend non seulement tous les traités régionaux et universels qui y sont relatifs, mais aussi les autres instruments non contraignants tels que les résolutions de la Commission de l'UA ou de l'Assemblée générale des Nations Unies. La seule limitation matérielle est que l'avis demandé doit avoir comme sujet une « question juridique68(*) », c'est-à-dire qu'il doit préciser les dispositions pertinentes du texte invoqué. Une autre limite formelle est que l'avis demandé ne doit pas avoir comme objet une question pendante devant la Commission africaine et, l'autre imprécision est liée au champ matériel d'une demande d'avis provenant « d'organisations reconnues par l'UA ». Alors, est-il possible de limiter une telle demande par le principe de spécialité qui fonde les Organisations internationales ? La Charte des Nations Unies précise une limitation qui n'autorise certains organes de l'Organisation à demander un avis à la CIJ qu'en ce qui concerne les questions juridiques « qui se poseraient dans le cadre de leur activité »69(*). C'est également le cas dans le système interaméricain à travers sa convention, l'avis sur les questions juridiques ne peut intervenir que dans « la sphère de leur compétence »70(*). Par ailleurs, il n'y a aucune limitation de ce genre dans le Protocole de Ouagadougou. La jurisprudence ultérieure éclairera ce point. La question de la valeur juridique des avis de la Cour africaine n'a pas été traitée par le Protocole de Ouagadougou. Cependant, on comprend que, comme c'est le cas dans toutes les Cours internationales, l'avis n'a pas de valeur obligatoire. Toutefois, ce caractère non contraignant ne signifie pas qu'il est dépourvu d'effets juridiques, car le raisonnement juridique reflète une opinion autorisée d'une cour sur des questions juridiques importantes.
* 66 Protocole portant statut de la CAJDH, préc., note 11, art. 53. * 67 La Cour africaine peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de la Conférence, du Parlement, du Conseil exécutif, du Conseil de paix et de sécurité, du Conseil économique, social et culturel (ECOSOCC), des institutions financières ou de tout autre organe de l'UA autorisé par la Conférence. * 68 Op.cit note 11, art 53 * 69 Voir la Licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 66, par. 10 : la CIJ a conclu que la demande d'avis présentée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne portait pas sur une question qui se pose dans le contexte de son activité. * 70 Règlement de la Cour interaméricaine des droits de l'Homme, Doc. Off. OEA/ Ser. L./V/I.4rev. 9 (2003), art. 60. |
|