§.2- Les obstacles externes à une bonne justice
pénale togolaise
Une analyse approfondie de la pratique judiciaire togolaise
permet de constater que le comportement des parties au procès
pénal (A), ainsi que la complexité et/ou la nature de l'affaire
et l'augmentation constante des affaires pénales (B) peuvent expliquer
la lenteur de la justice pénale.
A- L'emprise des parties sur le temps
L'emprise des parties sur le temps pénal implique que
les parties aient une maitrise sur la gestion du procès pénal.
Cette emprise des parties sur le temps est une cause de la lenteur de
116 La loi organique n°2013-007 du 25 février 2013
est venue modifiée la loi organique n°96-11 fixant le statut des
magistrats. Cette loi organique et son décret d'application
n°2013-047/PR ont permis une révision des éléments de
rémunération des magistrats.
117Rapport 2016 sur les droits de l'Homme-Togo, United
States Department of State · ibidem.
SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la
justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page
31
la justice pénale. Elle est relevée à
plusieurs niveaux.
D'abord, dans un procès pénal, l'emprise des
parties sur le temps est souvent relevée lorsque l'une des parties ou
son avocat mettent en oeuvre tous les artifices de procédure possibles
afin que l'issue du procès soit retardée118. Pour se
faire, les parties font recours à des manoeuvres dilatoires dans le but
de ralentir la décision du juge afin de nuire à l'autre partie.
Le temps contentieux est donc instrumentalisé119 à
dessein personnel. Ainsi, les recours et les procédures devant les
tribunaux motivés par la mauvaise foi, constituent des abus de
droit120.
Tout citoyen a le droit fondamental de saisir la justice pour
préserver ses droits et obtenir réparation lorsque ceux-ci ont
été lésés121mais, il ne doit pas en
abuser. Souvent, certains citoyens exercent des actions en justice,
dépourvues de tout fondement. Ces actions sont en réalité
vouées à des fins dilatoires, soit en différant, en
retardant, ou en suspendant l'issue du procès. Il est donc
évident que le procédé dilatoire est la plupart du temps
usité dans le seul but de ralentir la justice.
En outre, La prorogation de l'instance pénale ou son
renouvellement à la suite de l'exercice d'un appel ou d'un pourvoi en
cassation par l'une des parties au procès pénal peut être
perçu par l'autre partie comme trop longue. En effet, certaines parties
conscientes du caractère infondé de leur recours, l'initient
quand même dans le seul but d'avoir à exécuter le jugement
rendu en première ou deuxième instance. L'emprise d'une des
parties sur le procès pénal fait grandir le sentiment d'injustice
à l'égard de l'autre partie qui reprocherait au juge la
tardiveté de la sanction pénale122. Dans ces
conditions, il est évident que la lenteur est vécue comme une
attente interminable sur le sort de la victime de l'emprise.
Ensuite, l'emprise des parties sur le temps du procès
est due à l'interférence de certaines personnes dans l'exercice
de la fonction du juge. En effet, les magistrats rencontrent des
difficultés et obstructions à la procédure. C'est le cas
lorsque certains éléments des Forces Armées Togolaises
(FAT) sont impliqués dans la commission d'une infraction puisque «
la hiérarchie militaire retient l'intéressé pour des
sanctions disciplinaires avant de le mettre à la disposition de la
justice »123. A titre indicatif, « en 2009, les
juridictions de Kévé et de Dapaong ont eu de nombreuses
difficultés pour faire comparaître et interroger des
militaires,
118 ODENT (B.), « L'avocat, le juge et les
délais », Mélanges René Chapus, Paris,
Montchrestien, 1992, p. 483.
119 DE BECHILLON (D.), « Deux
caractères du temps contentieux », Justice & Cassation
2007, p. 134.
120 BAUDOUIN (J.L.) et DESLAURIERS (P),
La responsabilité civile, 5e éd., Cowansville (Qc), Les
éditions Yvon Blais, 1998 à la p. 137 ; LAROUCHE (P.), « La
procédure abusive » (1991) 70 R. du B. can. 650 à la p.
665.
121; BAUDOUIN (J-L) et DESLAURIERS (P.),
ibidem.
122 DANET (J.), « Le temps des parties.
Temps du litige ou du conflit et temps de la procédure », in S.
GABORIAU et H. PAULIAT (dir.), Le temps, la justice et le Droit,
op. cit., p. 128.
123 Bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de
l'homme au Togo, Opcit p. 33
SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la
justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page
32
présumés auteurs, respectivement dans une
bavure militaire ayant entraînée mort d'homme et dans un homicide
»124.
Enfin, il faut relever l'immixtion du pouvoir exécutif
dans l'exercice de la justice pénale togolaise125. En effet,
il est constant que le pouvoir politique togolais cherche à s'attirer
les grâces de sa justice pénale tout en la contrôlant. Face
à l'insuffisance de la démocratisation du pouvoir judicaire
togolaise, certains magistrats marquent leur reconnaissance à
l'égard du pouvoir exécutif dans la prise des décisions.
Ceux-ci, en agissant de la sorte ont le regard tourné vers leur fauteuil
puisque, la promotion des magistrats passe par le politique, la
fidélité à l'exécutif en place. En
définitive, l'intrusion de l'Etat dans la justice pénale
constitue une entorse à l'accélération du procès
pénal. Les décisions rendues, sont dépourvues de
crédibilité et remettent en cause l'indépendance effective
du pouvoir judicaire. Il se pose dès lors la question de la
subordination de la justice pénale à l'Etat, ce qui entrave
l'exercice de ce droit126. Au passé, certains « [---]
Ministres de la Justice togolaise ont imposé leur point de vue aux
juges sous la menace d'affectation ou de sanction. Ce sont des situations qui
sont observées et vécues par des magistrats ; elles ne
s'expriment pas ouvertement mais plutôt dans la discrétion et les
magistrats s'en plaignent »127.
A l'instar du Togo, l'immixtion de l'Etat dans la justice en
faisant complètement fi des principes constitutionnels
d'indépendance et d'impartialité des juges, est monnaie courante
en Afrique128 comme en témoignent ces quelques
illustrations.
Premièrement, en République Démocratique
du Congo (RDC), Madame Ramazani Wazuri Chantal, Juge Présidente du
Tribunal de Paix Lubumbashi/Kamalondo a multiplié des
déclarations selon lesquelles « messieurs l'Administrateur
Général de l'Agence Nationale des Renseignements (ANR), le
Premier Président de la Cour d'Appel de Lubumbashi et le Procureur
Général près cette Cour, l'avaient obligé de
condamner M. Katumbi Chapwe Moïse, dans l'affaire sous RP 7652 qui oppose
ce dernier à M. Emmanouil Alexandros Stoupis, à trois ans de
prison, avec arrestation immédiate et aux dommages et
intérêts d'un million de dollars américains, afin d'obtenir
son inéligibilité à la présidence de la
République »129. Il découle des
déclarations de madame la juge Ramazani Wazuri Chantal, l'immixtion
flagrante du Gouvernement de la RDC dans les affaires
judiciaires130.
124 Idem
125Rapport 2016 sur les droits de l'Homme-Togo, Op
cit, p.6.
126Ibidem
127 Bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de
l'homme au Togo, Op cit, p. 17
128FALL (A.- B.), Le juge, le
justiciable et les pouvoirs publics : pour une appréciation
concrète de la place du juge dans les
systèmes politiques en Afrique, Edition Bruxelles
Bruyant 2000, p. 310.
129 Publié le 27 janvier 2017 par la Cité
Africaine, Maître Tshiswaka Masoka Hubert, Avocat au Bareau de
Lubumbashi/Directeur Général de l'Institut de Recherche en Droit
Humains (IRDH))
130 Idem
SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la
justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page
33
Deuxièmement, au Sénégal, le 27
février 2016 dans une déclaration faite en marge de
l'installation du Comité de ressort de Dakar, l'Union des Magistrats du
Sénégal (UMS) a dénoncé l'immixtion du pouvoir
Exécutif sur les décisions de justice. L'UMS déplore en
outre «la non -application des décisions rendues par les cours
et tribunaux ».
Troisièmement, au Niger, le 29 novembre 2015, les
magistrats Nigériens ont dénoncé les "immixtions" de
plusieurs membres influents du régime dans "le traitement de dossiers
judiciaires", dont la très sensible affaire de trafic de
bébés impliquant l'opposant Hama Amadou,
incarcéré.
Quatrièmement, au Bénin, l'Union Nationale des
Magistrats du Bénin (UNAMAB) réunie en Assemblée
Générale Extraordinaire le vendredi 04 mai 2018, constate que les
déclarations du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et de la
Législation, tenues sur Frissons Radio en marge de la
présentation du compte rendu du Conseil des Ministres du mercredi 02 mai
2018, mettent en cause les attitudes du Juge d'Instruction et du Juge des
Libertés et de la Détention relativement à
l'exécution de mandat d'arrêt décerné contre
l'honorable Atao Mouhamed. Il s'agit d'une interprétation inexacte des
dispositions du Code de procédure pénale mais aussi d'une
atteinte grave à l'office du juge et à l'indépendance de
la Justice131. Par ailleurs, l'UNAMAB fustige avec gravité
cette immixtion flagrante de l'exécutif dans la conduite de certaines
affaires. Cette attitude du Garde des Sceaux, dont le chef est le
Président de la République, garant de l'indépendance de la
Justice et Président du Conseil Supérieur de la Magistrature,
vise à intimider, voire terroriser les magistrats et caporaliser le
pouvoir judiciaire132.
Au demeurant, le rapport de l'Organisation Internationale de
la Francophonie de juillet 2015 évoque des difficultés qui
concernent les systèmes de justice de plusieurs États membres de
la Francophonie. Ainsi, les difficultés d'exécution des
décisions de justice sont parfois causées par l'obstruction de
l'Administration et de ses agents133. La justice,
élément constitutif de tout Etat de droit, ne semble donc pas
bénéficier en Afrique en général et au Togo en
particulier d'une grande confiance de la part de la population puisque
l'indépendance du juge vis-à-vis des autres pouvoirs est loin
d'être conquise.
Outre ce qui précède, la lenteur avec laquelle
les décisions de justice sont rendues est due également à
la complexité et/ou la nature de l'affaire ainsi qu'à la
constante augmentation des affaires pénales.
131 DADAGLO (M. R.), Président du
BE/UNAMAB, Cotonou expresse.
132 DADAGLO (M. R.), Président du
BE/UNAMAB
133Projet de rapport de l'Assemblée
Parlementaire de la Francophonie « L'accès à la justice dans
l'espace francophone : le rôle des parlements »
présenté par M. André DROLET, Député
(Québec), Rapporteur, Berne (Suisse) | 7-10 juillet 2015, p.3
SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la justice
pénale au Togo », 17-04-2019. Page 34
|