B- La complexité juridique du litige et
l'augmentation constante des affaires pénales
Le temps pénal dépend de la nature du
procès. En effet, plus l'affaire pénale est complexe, plus il
dure. L'encombrement de la juridiction pénale, est autant un facteur de
la lenteur.
S'agissant de la complexité juridique et/ou la nature
du litige, il faut rappeler que le temps du procès pénal
dépend essentiellement de la matière sur laquelle porte celui-ci.
L'objet du procès pénal revêt donc une importance
considérable sur le temps processuel134 puisque toutes les
infractions ne sont pas soumises à la même contrainte temporaire.
En exemple, le vol d'un portable doit être réglé avec
promptitude, tandis que l'attentat contre la sureté de l'Etat
nécessite davantage de temps. Ainsi, le temps processuel s'adapte de
manière structurelle au fond du procès
pénal135. Le temps s'ajuste alors à la gravité
de l'infraction. En droit pénal interne, le temps dépend donc de
l'objet de l'infraction et de la nature de la réponse pénale.
En ce qui concerne l'augmentation constante des affaires
pénales au Togo, en dépit du programme de modernisation de la
justice lancé depuis 2005, les magistrats restent toujours sous le poids
de plusieurs dossiers du fait de leur traitement tardif. La surcharge est
synonyme du dépassement du seuil requis. La principale cause de cette
surcharge administrative est liée à l'insuffisance de magistrats.
« Si à Lomé et dans quelques villes du pays, on peut
avoir une formation collégiale d'au moins trois magistrats pour rendre
les décisions de justice, dans la plupart des tribunaux, surtout
à l'intérieur du pays, c'est la règle du juge unique qui
prévaut. Ce juge unique réunit tout à la fois, à
lui seul la fonction d'Officier de Police Judiciaire, de juge instructeur et de
juge du siège et parfois même de juge chargé du
Ministère Public »136. Il faut noter que le retard
constant dû à la surcharge du travail du système judiciaire
emporte la violation de la garantie du délai raisonnable
consacrée par l'article 19 de la constitution togolaise. Ce retard se
justifie par l'absence de dispositions devant contrer cette situation. Les
mesures prises sont inadéquates ou inopérantes. Il y a donc une
disproportion entre la capacité du système public de justice de
traiter les dossiers et l'augmentation du nombre de demandes qui lui sont
adressées137. Il va de soi que l'Etat togolais est
responsable des retards de la justice pénale.
134CIAUDO (A.), « La
maîtrise du temps en droit processuel »,Jurisdoctorian°
3, 2009 p.35.
135 AMRANI-MEKKI (S.), Le temps et le
procès civil, thèse, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de
Thèses, t. 11, 2002, pp. 415 et s.
136 Dans l'interview accordé par le président du
Tribunal de troisième classe de Tchamba dans Reflets du Palais N°
50 du mois de Février 2018, à la page 4, il relevait par rapport
à l'organisation et au fonctionnement de leur juridiction : «
Nous sommes le président du Tribunal, nous exerçons à
ce titre les attributions liées à cette charge, nous
exerçons les fonctions du juge du siège (juger et instruire), le
décret nous nommant dit que nous sommes chargé des fonctions de
juge des enfants et chargé du Ministère Public ».
137Projet de rapport de l'Assemblée
Parlementaire de la Francophonie, ibidem.
SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la
justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page
35
Outre l'Etat, d'autres facteurs favorisent l'augmentation
constante des affaires pénales. Primo, la justice pénale a
souvent tendance à traiter des affaires qui ne méritent pas
véritablement une sanction pénale. C'est également le cas
en France138. Secundo, l'action publique est exercée de
manière abusive aussi bien par le Ministère public que par la
victime. Tertio, l'augmentation de la population togolaise serait
également l'une des causes de la hausse des affaires pénales. En
effet, plus la démographie évolue plus des problèmes se
posent. Quarto, la progression de la délinquance telle que rapporter par
A. MIHMAN dans sa thèse139, a pour origine la
dégradation de la situation socio-économique140 et
politique.
Au regard de ce qui précède, il faut noter que
la lenteur de la justice pénale à des corollaires aussi bien pour
la victime, le prévenu, la société que sur la justice
elle-même.
La victime, reste affectée par la lenteur de la justice
pénale. En effet, selon elle, le temps qui passe, c'est la
vérité qui s'enfuit. La lenteur de la justice est une
véritable injustice pour elle parce que durant la durée de
l'instruction, son préjudice reste entier et aucune réparation
n'est envisageable tant que le procès n'est pas achevé. Elle se
sentira également lésée en payant les différents
frais d'actes malgré tout ce qu'elle peut éprouver aussi
moralement, financièrement que juridiquement. La lenteur de la justice
pénale est souvent l'opportunité que saisissent certains
inculpés de mauvaise foi pour organiser leur insolvabilité afin
de pouvoir échapper à toute indemnisation en cas
d'éventuelle condamnation. Pour pallier la lenteur de la justice
pénale et les incertitudes sur la sincérité du verdict,
certaines victimes ont recours à des pratiques telles la vindicte
populaire, les règlements de comptes.
Le prévenu souffre également du non-respect du
délai raisonnable. En effet, il est très avilissant pour une
personne d'être incarcéré alors qu'elle est innocente. En
perdant sa liberté, le prévenu en détention provisoire ou
en maison d'arrêt peut perdre son emploi et être
déconsidéré socialement ; ce qui peut entraîner des
conséquences désastreuses pour sa famille en raison, du
discrédit porté à sa personne. La société
l'étiquette alors comme coupable des faits qui lui sont
reprochés. Aucune indemnisation ne pourrait compenser le
préjudice subi.
La société, n'est pas en marge de la lenteur de
la justice pénale puisque la justice est rendue en son
nom141. La lenteur rend la justice pénale inefficace et lui
fait perdre sa légitimité et sa crédibilité aux
yeux des justiciables. D'ailleurs, c'est pour prévenir cela sous
d'autres cieux,
138 CHIRAC (M.) déplore « la
pénalisation exercice de la vie publique », Le monde, 14
décembre 1999 ; DEMICHEL (A.), Le droit pénale en marche en
arrière, D. 1995 p.213.
139 MIHMAN (A.), Contribution à
l'étude du temps dans la procédure pénale :pour une
approche unitaire du temps de la réponse pénale, Thèse de
doctorat en droit privé et science criminelle à
l'Université Paris Sud 11-Faculté Jean Monnet le 02 avril
2007N°3, p.315.
140 KAMINSKI (D.), « Une
métonymie consensuelle : l'insécurité », Revue de
Science Criminelle et de droit pénal 2005, p. 415.
141Art.112 de la constitution togolaise, « Au
nom du peuple Togolais ». Cela signifie que du début jusqu'à
la fin de la procédure, les différents acteurs agissent sur
mandat du peuple togolais.
que la CEDH a consacré le principe de «
célérité » comme fondement de l'Etat de droit,
puisque « la lenteur excessive de la justice représente un
danger important, notamment pour l'Etat de droit »142.
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