B. Le disfonctionnement lié aux personnels
judiciaires et à leurs conditions de travail
Toutes les juridictions pénales sont confrontées
au problème de la lenteur qui est partiellement due au disfonctionnement
lié aux personnels judiciaires et à leurs conditions de
travail.
S'agissant du disfonctionnement lié aux personnels
judiciaires, il est question à titre principal des magistrats, et de
leurs collaborateurs. Relativement aux magistrats, d'abord la lenteur de la
justice pénale est souvent due à la non élucidation de
certaines affaires. C'est précisément le cas de l'affaire de
monsieur Atsutsè AGBOBLI (historien, politologue, journaliste, ancien
ministre et président du MODENA, un parti politique de l'opposition),
qui avait été retrouvé mort à la plage de
Lomé102.
Ensuite, la rétention d'informations et le refus
obstiné de certains Procureurs de la République de donner suite
à des plaintes qui portent sur une même affaire. Il s'agit
à titre illustratif du Procureur de la République près du
Tribunal de Première Instance de Lomé Monsieur Essolisam POYODI
qui refusent de donner suite aux nombreuses plaintes relatives aux mauvais
traitements infligés à un paraplégique103.
En outre, certaines juridictions inférieures refusent
d'exécuter les décisions rendues par les instances
supérieures. En exemple, dans l'affaire AGBA Bertin, le juge du
4ème cabinet d'instruction s'est refusé d'exécuter la
décision de la chambre judiciaire de la Cour suprême aux motifs
que : «Attendu que la Cour suprême dans son arrêt en
cassant partiellement l'arrêt de la Chambre d'Accusation a
prononcé deux décisions qui revenaient au procureur
Général d'appliquer : Procéder à la mise en
liberté provisoire de l'inculpé Sow Bertin AGBA contre payement
d'une caution de 150.000.000F CFA ; Auditionner et confronter les parties ;
Qu'il apparaît indéniable que toute confrontation après que
l'inculpé en détention ait été mis en
liberté est inutile du fait des connivences et subornations susceptibles
de se faire ; Que c'est pourquoi en toute logique le Procureur
Général a fait retour au Juge d'instruction afin que ces actes
indispensasbles soient pris avant toute libération ; Que le non
accomplissement à ce jour de ces auditions et confrontations est le fait
des conseils des personnes mise en cause qui, par des alchimies
procédurales bloquent l'avancée de l'information
»104.
Enfin, le refus de la justice d'exécuter un arrêt
rendu par une juridiction communautaire. Il s'agit à titre indicatif de
l'arrêt rendu par la Cour de Justice de la CEDEAO dans l'affaire
d'escroquerie internationale. En effet, La Cour de justice de la
Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO),
saisit par les avocats de l'ancien ministre Pascal
102 Bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de
l'homme au Togo, Op cit, p.32.
103 Abbé Faria, Liberté n°2871 du lundi 04
mars 2019.
104 Ordonnance de rejet de la demande de mise en
liberté provisoire (28 septembre 2012), Juge d'instruction du
4ème cabinet du Tribunal de 1ère instance de Première
Classe de Lomé.
SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la
justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page
28
Akoussoulèlou BODJONA, avait le 24 avril 2015 rendu un
arrêt qui a souligné le caractère « illégal de
sa détention ». Elle a par ailleurs recommandé à la
justice togolaise de procéder à la libération ou au
jugement de M. Pascal BODJONA. Dans le prolongement de la même
décision de justice, le Conseil des droits de l'homme de l'Organisation
des Nations Unies (ONU) et Amnesty International avaient
réitéré les recommandations de la Cour de justice sous
régionale.
D'autre part, excepté le manque de magistrats, il faut
noter que la lenteur est également imputable aux greffiers et des
secrétaires de parquet. En effet, il est difficile d'obtenir des
décisions rendues puisque très souvent, ceux-ci conditionnent la
délivrance des copies de décision de justice à
exécuter au versement de pourboires. Ce qui constitue en fait une
corruption. Pourtant ils estiment que cela est dû à la
pénurie du matériel de travail et de personnel judiciaire.
La lenteur de la justice pénale est due à un
contrôle très insuffisant du personnel judicaire. En effet, peu de
contrôle sont effectués dans le système judiciaire
pénal togolais. Il s'agit du contrôle des magistrats, des
greffiers et même de la police judiciaire. Le nombre très
insuffisant des inspecteurs au Togo n'est pas de nature à rassurer. Ceci
au regard de la quantité des tâches qui leur incombent.
Le non-respect des délais pénaux est un
véritable obstacle à la célérité de la
justice pénale. Le non-respect de la procédure d'instruction rend
ladite procédure lourde et cause sa lenteur. Il en est ainsi du manque
de diligence dans l'envoi des dossiers après la clôture de
l'information et la prise de réquisitions écrites par le
Procureur Général. La lenteur imputable au juge d'instruction
procède des circonstances externes. En exemple, les dénonciations
calomnieuses, l'absence de délivrance de mandat de justice et la lenteur
du Procureur de la République dans l'accomplissement de certaines
formalités nécessaires à la suite de la procédure
pénale105. Le Ministère Public est donc auteur de la
lenteur de l'instruction lorsque le temps imparti pour la qualification des
faits se révèle trop long.
La réglementation de la garde à vue par les
articles 52106 et suivants du Code de procédure
pénale, a du mal à être respecté dans la pratique.
En effet, il est constant qu'au Togo, les Officiers de Police Judiciaire (OPJ)
ont l'habitude d'outrepasser largement le délai réglementaire de
la garde à vue avant de déferrer la personne mise en cause devant
le Procureur de la République. Cette situation constitue la violation de
l'article 9 alinéa 4
105 YAKE (P. B. A.), ibidem
106Voir supra, bas de page 72, p. 17.
SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la
justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page
29
PIDCP107. Le respect des délais de la garde
à vue souffre d'un triple mal : primo, il faut relever l'absence
d'information du parquet par les OPJ ; cette situation justifie le fait que les
mesures de garde à vue échappent totalement au contrôle du
ministère public108. Secundo, il faut noter la violation des
principes de l'indépendance de la justice pénale à cause
de la constante « ingérence de la hiérarchie
policière, militaire, politique et administrative, qui complique le
travail des OPJ dans la mesure où ceux-ci sont parfois soumis à
des pressions ou reçoivent des ordres et instructions contradictoires
donnés, soit par le parquet, soit par leurs supérieurs
hiérarchiques »109. Tertio, il faut dire que
malgré la ratification du PIDCP par l'Etat Togolais, la violation de son
article 11110 continue en raison des détentions pour dettes
qui sont toujours courantes dans certaines brigades et certains postes de
police111.
Au Togo la violation permanente des règles de la
détention préventive est quasi récurrente. En effet,
étant une mesure exceptionnelle112, lorsque
la détention préventive est ordonnée certaines
règles doivent être observées113.
Malheureusement, l'irrespect de ces règles aussi bien en matière
correctionnelle que criminelle, fait perdurer la procédure
pénale114.
Les conditions de travail du personnel judiciaire se
rapportent, tant à l'exercice de leur profession qu'à leur
situation financière. Primo, il faut relever que les conditions
d'exercice des magistrats togolais sont particulièrement difficiles
puisqu'ils exercent le plus souvent dans des locaux pas assez propices. En
effet, malgré la modernisation de la justice togolaise entamée,
il est constant que certains tribunaux rencontrent d'importantes
difficultés matérielles et financières pour assurer une
justice rapide, efficace et accessible à tous les citoyens. Sur le plan
matériel, « on relève l'insuffisance et l'inadaptation
des infrastructures dans certaines juridictions du système judiciaire.
Ce phénomène est beaucoup plus visible au niveau de la police
judiciaire de même que dans des brigades de gendarmerie et des postes de
police »115. En dépit des palais de justices
construit à Atakpamé et à Sokodé, les Cours d'Appel
de Lomé et Kara et la rénovation du tribunal de première
instance de première classe de Lomé, on note l'absence de palais
de justice ou de locaux adéquats pouvant loger les services
administratifs judiciaires et de salles d'audiences adéquates puisque
ces juridictions sont abritées par des bâtiments de location qui
ne répondent aucunement aux exigences d'un palais de justice moderne.
Les équipements sont primordiaux pour un bon fonctionnement de
107 «Quiconque se trouve privé de sa
liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un
recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la
légalité de sa détention et ordonne sa libération
si la détention est illégale. »
108 Bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de
l'homme au Togo, Op cit, p. 27
109 Idem
110 Article 11 : «Nul ne peut être
emprisonné pour la seule raison qu'il n'est pas en mesure
d'exécuter une obligation contractuelle».
111 Bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de
l'homme au Togo, Op cit, p. 27 112Art. 112 CPPT
113 Articles 113-124 CPPT
114 Supra, p.19 ;
115 Idem, p. 37.
SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la
justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page
30
la justice, or force est de constater que la justice
pénale togolaise fonctionne dans un état de pénurie. A cet
effet, à la liste d'insuffisances relevée plus haut il faut
ajouter le manque de connexions internet dans la plupart des juridictions.
Cette carence limite l'utilisation de la documentation juridique (textes de
loi, recueils de jurisprudence) en format numérique.
Secundo, la situation financière du personnel
judiciaire n'est pas tout à fait satisfaisante. En effet,
même si le salaire des magistrats a été
augmenté116, il ne répond pas aux besoins de plus
d'un. C'est d'ailleurs ce qui justifie leur grève de 04 jours du 12 au
15 juin 2018, pour réclamer notamment la conversion des trente (30)
mille FCFA que le gouvernement avait accordé aux employés
émargeant sur le budget de l'Etat, en points d'indice et des meilleures
conditions de vie et de travail. Pendant le débrayage, les audiences
correctionnelles et les actes d'instructions étaient suspendues ; de
même que les audiences civiles, commerciales, administratives. Ce qui
porte un véritable coup à la justice pénale et à la
justice dans son ensemble déjà minée par la lenteur. La
situation financière des greffiers n'a connu aucune évolue
notable jusqu'à ce jour ; ce qui justifie les constantes grèves
relevant de leur corporation. Cette situation financière des magistrats
et surtout des greffiers n'est pas de nature à leur permettre d'avoir un
niveau de vie décent. Ce qui constitue d'ailleurs une réelle
démotivation pour eux et l'une des causes principales de leur
vulnérabilité à la corruption. En effet, la corruption
gangrène la justice togolaise117 et tend à lui enlever
sa valeur éthique, voire son sens de troisième pouvoir dans
l'Etat comme disait Montesquieu. Ce phénomène de la corruption
résulte aussi de l'étroite dépendance de certains
magistrats du pouvoir exécutif et législatif et du
phénomène des intermédiaires de justice.
A l'instar des pesanteurs internes, la justice pénale
est également confrontée aux obstacles externes.
|