CONCLUSION PARTIELLE
Les problèmes posés par la lenteur de la justice
pénale togolaise ne sont pas rédhibitoires. En effet, comme l'a
martelé la Cour Européenne des Droits de l'Homme, le délai
de résolution d'un litige ne dépend pas uniquement de la plus ou
moins grande diligence du juge, mais également du comportement des
parties et de la complexité juridique du litige304.
La célérité de la procédure ne
dépend pas du comportement d'un seul des acteurs du
procès305. Pour une justice pénale dans un
délai raisonnable, les acteurs doivent incontestablement
juxtaposés leurs actions.
Afin de trouver le juste temps pour une justice
répressive efficace au Togo, on ne saurait aménager le temps pour
parvenir au traitement des affaires pénales dans un délai
raisonnable sans réformer la prescription en matière
pénale.
302 KODJO (G. G.), Reflets du Palais N° 46,
octobre 2017, « Aidez-nous à mieux vous servir » p.2.
303 Reflets du Palais N° 28, septembre 2015, «
Célérité et qualité : la bonne mesure »
p.2.
304 CEDH, 24 octobre 1989, H. c/ France, RFDA
1990, p. 203, note O. DUGRIP et F. SUDRE, LPA 28 février
1990, p. 12, note L. RICHER.
305 CHOLET (D.), La
célérité de la procédure en droit processuel,
Paris, thèse, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, t. 466,
2006, pp. 150 et s.
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pénale au Togo », 17-04-2019. Page 77
CHAPITRE II
LA NECESSITE DE REFORMER LA PRESCRIPTION EN
MATIERE PENALE AU TOGO
Héritier du droit français, le droit
pénal togolais a toujours admis le principe de la prescription en
matière pénale à l'antipode des pays de Common Law qui
l'excluent. La jurisprudence française considère la prescription
comme une règle d'ordre public et le juge doit veiller à son
respect. La prescription en matière pénale au Togo suscite des
interrogations variées en raison de ses imperfections. En effet, les
règles légales et jurisprudentielles qui régissent aussi
bien la prescription de l'action publique que la prescription des peines sont
peu à peu devenues inadaptées aux attentes de la
société et souffrent aujourd'hui d'une incohérence et
d'une instabilité préjudiciables à l'impératif de
sécurité juridique. Il incombe dès lors au
législateur national de réformer la prescription en
matière pénale.
La réforme est définie comme des mesures prises
ou des changements apportés pour affermir, améliorer et
consolider une situation donnée. Ainsi, le droit positif togolais
relatif à la prescription en matière pénale
nécessite d'être reformée.
Quelles sont les innovations qu'il faut apporter pour combler
les insuffisances constatées au niveau des textes de lois afin de rendre
perfectible la prescription en matière pénale ? Aussi, quel
équilibre peut-on établir entre la nécessité de
poursuivre et de sanctionner les infractions à la loi pénale afin
de pouvoir mettre un terme au trouble causé à la
société par celle-ci et la volonté d'oublier les
agissements commis par le délinquant, assurant par-là même
l'impunité de ce dernier ?
Si le droit pénal togolais qui incrimine et qui punit
est évolutif, il est évident que la fonction du temps
apparaît essentielle dans l'application qui en est faite. En
matière pénale, la prescription est un mode général
d'extinction du droit de poursuivre et du droit d'exécuter une peine.
Réformer la prescription en matière
pénale revient à « assurer un meilleur équilibre
entre l'exigence de répression des infractions et l'impératif de
sécurité juridique et de conservation des preuves, principalement
en allongeant les délais de prescription de l'action publique en
matière criminelle et correctionnelle, tout en unifiant ces
délais avec ceux de la prescription
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de la peine, et en consacrant, précisant et
encadrant les règles jurisprudentielles relatives aux causes
d'interruption et de suspension de la prescription »306
Pour un droit de la prescription en matière
pénale moderne et cohérent, il est opportun que le
législateur réforme aussi bien la prescription de l'action
publique (section I), que la prescription des peines (section II).
Section I : Une réforme plus efficace de la
prescription de l'action publique en droit pénal togolais
Pour réformer la prescription de l'action publique en
droit pénal, il est important d'étudier la
nécessité de préserver ce principe (§.1), tout en
songeant à le revaloriser (§.2).
§.1- La préservation du principe de la
prescription de l'action publique
La prescription de l'action publique est un impératif
qui existe pour imposer une limite à la possibilité d'engager des
poursuites pénales. Cependant elle reste une institution discutée
dans la mesure où si certains ont proposé son maintien, d'autres
par contre estiment qu'elle doit être abolie307.
L'étude de la prescription en droit pénal permet de constater
qu'elle doit être maintenue. La préservation de la prescription de
l'action publique passe par une analyse de ses fondements (A), et de ses
critiques (B).
A- Les fondements du maintien de la prescription de
l'action publique
Le maintien de la prescription de l'action publique en droit
pénal se justifie par une double acception. Il s'agit des fondements
traditionnels et des principes du droit contemporain.
S'agissant des fondements traditionnels au maintien de la
prescription de l'action publique, ils sont de trois ordres.
D'abord « l'intérêt de la paix et la
tranquillité sociale », ce fondement social de la
préservation de la prescription de l'action publique entraine la
cessation des poursuites après un certain délai. La prescription
de l'action publique répond donc à des considérations
évidentes de bonne administration judiciaire. Avec le temps, l'impact de
l'infraction sur la société s'atténue, et ses effets sont
oubliés308, la paix sociale se rétablit
d'elle-même et il ne serait pas nécessaire de recourir à la
sanction pénale309. Dans cette perspective, le Professeur
306Circulaire du 28 février 2017
présentant les dispositions de la loi n° 2017-242 du 27
février 2017 portant réforme de la prescription en matière
pénale.
307 LARGUIER (J), note sous CA Rouen,12 juillet
1954, D.1955, J.p.261.
308 Voir COSTAZ, « Le droit à l'oubli », Gaz ;
Pal. 1995, t2, Doctrine, p.961
309FOURMY (V.), Le
désordre de la prescription de l'action publique, Master de Droit
Pénal et Sciences Pénales, UNIVERSITÉ PARIS II
PANTHÉON-ASSAS, 2011, p.21.
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BOULOC, affirmait qu' « au bout d'un certain temps,
mieux vaut oublier l'infraction qu'en raviver le souvenir
»310.
Ensuite, on a le « dépérissement des
preuves ». En effet, l'écoulement du temps trop
long, mène à des preuves souvent fragilisées. En d'autres
termes, les indices ou les traces matériels disparaissent et les
témoignages tant à charge qu'à décharge deviennent
plus fragiles. Ce qui accroît de ce fait le risque d'erreur
judiciaire311. A juste titre, HELIE affirmait qu' « il y a
lieu de présumer que les indices des crimes, comme ceux de l'innocence,
se sont peu à peu effacés, qu'ils ont peut-être
entièrement disparus, que la vérité n'apparaît que
voilée ou altérée, que les juges, statuant sur des
éléments mutilés par le temps n'arriveraient à un
jugement qu'en s'appuyant sur des erreurs.»312 Ce qui
oblige dès lors à renoncer à l'exercice de l'action
publique.
Enfin, la prescription apparaît comme « la sanction
de la négligence de la société ou du ministère
public à exercer les poursuites ». Elle est la sanction de la
négligence des autorités judiciaires qui n'ont pas
été capables d'agir en découvrant l'infraction et en
identifiant l'auteur dans un délai raisonnable. La société
a pour tâche de poursuivre les délinquants. Lorsqu'elle s'abstient
d'agir, elle subit selon PRINS « les inconvénients de son
inertie ou de son impuissance »313. A cet effet, Mme
Dominique-Noëlle COMMARET, avocat général à la Cour
de cassation, soulignait : « parce que tout temps mort excessif laisse
présumer le désintérêt de la victime ou du
ministère public et leur renoncement, dans un système
marqué par le principe d'opportunité des poursuites, la
prescription apparaît nettement comme la réponse
procédurale apportée à l'inaction ou l'oubli, volontaire
ou involontaire »314.
Par ailleurs, il faut relever les principes du droit
contemporain en faveur de la conservation de la prescription de l'action
publique. Ils sont doubles.
En fait, la notion de procès équitable implique
en particulier le recours à un système de preuve rigoureux tel
que l'exige article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La prescription de l'action publique se fonde également
sur le droit pour chacun d'être jugé dans un délai
raisonnable, imposé aussi bien par l'article 9, paragraphe 3 du Pacte
International relatif aux Droits Civils et Politiques que par l'article 7 de la
Charte africaine
310 BOULOC (B.), Procédure
Pénale, Dalloz, Coll. Précis, 22ème ed, 2010,
N°203, p.173.BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz,
Coll. Précis, 22ème ed, 2010, N°203, p.173.
311 JACOBS (A.).), « La prescription en
matière pénale », in , Formation Permanente
C.U.P-U.., Liège, 1998, p.115-155
312 HELIE (F.), Traité de
l'instruction criminelle ou théorie du Code d'instruction criminelle,
Paris, 2ème ed., T.III, 1860, N°675 et s. cité par
A.MIHMAN, op. cit., N°257, p.290.
313 PRINS (A.), Science pénale et
droit positif, Bruxelles : Bruyant- Christophe, Paris : A. Marescq 1898,
§ 960. 314COMMARET (D.-N.),
« Point de départ du délai de prescription
de l'action publique : des palliatifs jurisprudentiels faute de réforme
législative d'ensemble », Revue de science criminelle,
2004.
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des droits de l'homme et des peuples faisant partie
intégrante de la Constitution de la IVème République du
Togo de 1992 révisée par les lois de 2002.
La conservation de la prescription de l'action publique dans
l'arsenal juridique togolais est impérative. Toutefois, « Il en
ressort que la prescription de l'action publique n'apparaît plus tant
comme une « loi sociale » qui justifierait une règle de droit
mais plutôt comme une règle de droit, fondée par le souci
de tenir, à l'intérieur de la justice pénale, un quadruple
équilibre :- un équilibre entre le droit à la
sécurité et celui du procès équitable ;- un
équilibre entre le droit des victimes d'obtenir réparation
après une déclaration de culpabilité de l'auteur d'une
infraction et celui de chacun d'être jugé dans un délai
raisonnable ;- un équilibre entre la mise en oeuvre des moyens
techniques d'élucidation des infractions, en constante évolution
et la nécessité de délimiter le champ du travail de la
police, de fixer des priorités pour éviter la paralysie, la
dispersion des moyens, l'arbitraire de choix laissés aux forces de
police ;- et enfin, un équilibre entre les différents foyers de
sens de la peine, entre le rappel de la loi et la défense de la
société d'une part qui n'impliquent pas la prescription et le
sens éducatif, le principe de proportionnalité, la
nécessité et l'utilité de la peine qui eux la justifient
»315
En définitive, « Le choix de maintenir la
prescription de l'action publique peut être fait en raison de ce que des
arguments adaptés aux réalités contemporaines la fondent
parfaitement. Mais aussi parce que l'institution de la prescription
apparaît, à bien des égards, comme une pièce logique
d'un système juridique et le choix de sa suppression ne permet pas de
trouver dans ce contexte juridique et culturel les mécanismes
nécessaires qui s'y substitueraient »316.
Il ressort de ces fondements que le coupable est le
véritable gagnant. C'est ce qui motive d'ailleurs GARCON à
définir la prescription comme « le privilège pour le
coupable de n'être plus poursuivi lorsqu'une certaine durée s'est
écoulée »317.
Toutefois, ces fondements de la préservation de la
prescription de l'action publique font l'objet de critiques.
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