§.2- Une implication accruede l'Etat et des parties au
procès pénal
Pour rendre une justice pénale dans le délai
raisonnable, l'implication de l'Etat togolais premier comptable de
l'accélération de ladite justice(A) ainsi que des parties au
procès pénal et de leurs conseils (B) s'imposent.
289Art. 41-1, 1° du CPPF (« Procéder
au rappel auprès de l'auteur des faits des obligations résultant
de la loi. »).
290Voy. à ce sujet, D. TAIT, The
effectiveness of criminal sanctions : anatural experiment, report 33/96-7 to
the criminologyresearchconncil, University of Camberra, DMT Subdivision
Management and Law, n° 2001/1, pp. 7 et 8 qui synthétise plusieurs
travaux sur cette question.
291Monit, 2 juin 2003.
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pénale au Togo », 17-04-2019. Page 72
A- L'Etat togolais, principal débiteur des
exigences de célérité du procès pénal
L'Etat togolais est le premier responsable qui doit oeuvrer
à ce que les jugements en matière pénale, soient rendus
dans un délai optimal. Conscient de cette obligation qui incombe
particulièrement à l'Etat togolais, le ministre de la justice
Pius AGBETOMEY, réaffirmant la volonté du gouvernement de
promouvoir le traitement des dossiers judiciaires dans un délai
raisonnable, croit fermement que : « Si une affaire est soumise
à une juridiction, et que cette affaire est réglée dans
les meilleurs délais, tout le monde s'en sort heureux
»292.
En adhérant au Pacte International relatif aux Droits
Civils et Politiques, l'Etat s'oblige à son caractère «
self executing ». Le « self executing » trouve
son origine dans le droit constitutionnel des Etats Unis
d'Amérique293 et a été précisé
par la doctrine en droit international. Selon M. SORENSEN, « une
disposition d'un traité serait self executing, c'est-à -dire auto
exécutoire, si elle est conçue en des termes qui permettent de la
considérer comme s'adressant non seulement aux Etats contractants, mais
aussi, sans modification de texte, aux sujets de droit interne. Elle se
prêterait alors à une application immédiate par les
tribunaux internes »294.
En n'adhérant à la charte africaine des droits
de l'homme, l'Etat du Togo s'est engagé à établir une
organisation judiciaire répondant aux exigences de
célérité. Pour respecter cet engagement, il lui incombe
impérativement d'oeuvrer afin que les affaires ne s'enlisent pas. A cet
effet, l'organisation du service de la justice pénale doit se faire.
Cette organisation garantira à tout justiciable, le droit d'obtenir une
décision définitive sur les contestations relatives à ses
droits et obligations dans un délai raisonnable. Cette exigence se
rattache au principe de bonne administration. En tout état de cause, il
s'agit d'une obligation de résultat qui incombe à l'Etat. Pour se
faire, il doit fournir des Hommes et du matériel.
S'agissant des Hommes, l'Etat doit recruter en nombre
suffisant des magistrats et des greffiers compétents, en leur offrant
aussi bien des formations que des sensibilisations axées sur « le
droit au délai raisonnable ». Quant aux matériels, l'Etat a
l'obligation de mettre les juges et les greffiers dans de meilleures conditions
de travail en leur fournissant les moyens requis pour assurer une justice
pénale dans le délai escompté. Il s'avère
nécessaire de créer de nouvelles Cours d'appels dans les
régions d'Atakpamé, de Sokodé et de Dapaong ; des
292 Reflets du Palais N° 28, septembre 2015, «
Célérité et qualité : la bonne mesure »
p.2.
293 . Dansl'affaire Forster etElainEnlilson, le Chief Justice
Marshall affirmait « Our Constitution declares a treaty to be the law of
the land. It is, consequently, to be regarded in Courts of justice as
equivalent to an act of the legislature, whenever it operates of itself without
the aid of any legislative provision. But when the terms of the stipulation
import a contract, when either of the parties engages to perform a particular
act, the treaty addresses itself to the political, not to the judicial
department; and the legislature must execute the contract before it can become
a rule for the Court». Cité par ERADES ET GOULD, «The relation
between international law and municipal law in the Netherland and in the United
States», Leyde, 1961.
294 SORENSEN (M.), « Obligations d'un Etat partie à
un traité sur le plan de son droit interne ».
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justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page
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tribunaux dans chaque préfecture du Togo et d'un
Barreau près la Cour d'appel de Kara pour décongestionner celui
de Lomé. Ce qui entrainera la décentralisation de la justice
togolaise. Il faut également songer à multiplier les assises, du
moins à chaque trimestre de l'année judiciaire.
La responsabilité de l'Etat doit être
engagée lorsqu'un dommage a été causé à un
justiciable, en raison de la lenteur de la procédure pénale.
L'Etat doit donc rendre des comptes sur la célérité de sa
justice pénale puisqu'il en est le principal débiteur. Ces
exigences de célérité du procès pénal sont
prévues par le Pacte International relatif aux Droits Civils et
Politiques et consacré à l'article 19 de la loi fondamentale
togolaise. Le dysfonctionnement de la justice pénale devient donc un
vecteur de l'objectivation de la responsabilité de l'État. En
France par exemple, le législateur a montré la « voie
d'une objectivation de la responsabilité du fait des dysfonctionnements
de la justice en prévoyant la responsabilité sans faute de
l'État pour deux dysfonctionnements, à la fois particuliers et
extrêmes dans leurs conséquences dommageables, à savoir les
erreurs judiciaires et les détentions provisoires injustifiées.
Cette objectivation peut s'expliquer par la privation de liberté
qu'entraînent ces dysfonctionnements, dont l'importance des
préjudices induits justifie qu'ils soient réparés
automatiquement, ce qui ne signifie pas qu'ils le soient sans conditions
»295. Cependant,«
Indépendamment de cette objectivation ancienne, un récent
mouvement dans le même sens est perceptible, tant dans l'évolution
de la jurisprudence relative à la réparation des
conséquences dommageables du dépassement du délai
raisonnable de jugement [---] en effet, le juge administratif a
estimé dans [---] son raisonnement que la méconnaissance
du délai raisonnable de jugement, même dans une affaire qui est
encore pendante, peut avoir occasionné aux justiciables « un
préjudice moral consistant en des désagréments qui vont
au-delà des préoccupations habituellement causées par un
procès » 296.
Le Professeur VUNDWAWE plaide pour l'effectivité d'une
indépendance de la Justice à l'égard du pouvoir
exécutif. Pour cela,« il estime qu'il faudrait que le
Gouvernement qui a le monopole de la puissance publique s'interdise de refuser
d'appliquer les décisions judiciaires ou de faire obstruction à
leur exécution et d'interférer dans les nominations et promotions
des magistrats en gênant le fonctionnement normal du Conseil
supérieur de la magistrature [---
295 Voir sur ces questions qui ne seront pas traitées
ici, la contribution de Munoz (F.), « L'indemnisation des
détentions provisoires injustifiées : du secours à la
garantie sociale », Fauvelet (E.), « La jurisprudence de la
commission nationale d'indemnisation des détentions »,
inDeguergue (M.) dir.,Justice et responsabilité de
l'État, PUF, coll. Droit et justice, 2003, p. 11 7 et 139.
296 CE, 25 janvier 2006, SARL Potchou,.
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justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page
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] »297. En se remettant à la bonne foi
du Gouvernement et de l'Administration, il faut rappeler que le respect de
l'indépendance de la justice relève de leur obligation.
L'Etat togolais doit prendre en compte certaines dispositions,
afin que sa justice pénale soit rendue dans le délai raisonnable.
L'Etat doit en premier lieu adopter « le principe d'équilibre et de
qualité globale de la justice pénale ». D'une part, il
revient à l'Etat d'équilibrer et de contrôler les
ressources tant humaines que matérielles, qu'il est censé mettre
à la disposition de la justice pénale. D'autre part, afin
d'atteindre l'objectif de rendre la justice pénale togolaise dans un
délai optimal, l'Etat doit nécessairement rendre compatibles les
principes dont il assure le respect, avec le souci légitime
d'efficacité de la justice.
En second lieu, l'Etat doit se doter d'« ambitieux outils
de mesure et de connaissances »toujours dans le but d'améliorer la
célérité de la justice pénale. La mise au point des
statistiques sur les durées des procédures de cette justice et
des systèmes simples d'information de gestion, s'impose. Cette mesure
figure parmi les priorités affichées au Programme des Nations
Unies pour la prévention du crime dans la justice pénale depuis
de nombreuses années298. Cela permettra de mieux
contrôler le déroulement de la procédure pénale, en
prenant connaissance de l'état d'avancement des dossiers, en recadrant
les affaires en retard et en sanctionnant les juges récalcitrants au
délai raisonnable.
En outre, l'Etat doit faire l'effort de « concilier
toutes les exigences qui contribuent à un procès équitable
dans un délai raisonnable ». Il convient dès lors de
mettre tout en oeuvre afin que les garanties procédurales soient
réellement respectées. Ceci permettra à la justice
pénale d'être diligente.
La participation effective des parties et de leurs conseils
s'avère nécessaire pour parvenir à une justice rendue dans
un délai raisonnable.
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