B- L'institution des sanctions de la violation du
délai raisonnable
La violation du délai raisonnable est le recours
à des procédures abusives pour retarder l'issue du procès
pénal. Selon Pierre Larouche, « [Est] abusive la
procédure faite avec intention de
233 NGONO (S.), le procès
pénal camerounais au regard des exigences de la charte africaine des
droits de l'homme et des peuples, l'Harmatan, 2002.
234 PICARD (M.) et TITUIN (P.), commentaire
de l'article 5.3 C.E.D.H.
235CORTEN (O.), l'utilisation du
raisonnable par le juge international, Bruxelles, Bruylant, 1997, page 576 ;
Arrêt X vs France rendu le 31 Mars 1992 : « personne atteinte de la
maladie du SIDA suite à une transfusion, délai de quinze ans.
Déraisonnable en raison de la vie courte des requérants.
Effectivement, tous les requérants étaient déjà
décédés » ; Arrêt COTIEZ vs France de 1992.
« Salarié par payé : six ans avant de condamner l'employer
à payer le salaire. En effet caractère alimentaire de la somme
déclaré ». Arrêt CERIELO vs Italie en 1999 pour un
juge des référés.
236 CEDH Louerat c/ France §§29 et 30 du 13/02/2003.
237 CEDH Eckle c/ Allemagne §73 du 15/07/1982.
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nuire, esprit de chicane, témérité et
légèreté blâmable, ou celle entachée d'une
erreur grossière équipollente au dol »238 ou
selon BAUDOUIN « la mauvaise foi (c'est-à-dire l'intention de
nuire) ou la témérité (c'est- à-dire l'absence de
cause raisonnable et probable) restent donc les bases de l'abus de droit dans
ce domaine »239.
La justice pénale togolaise doit être la
réponse à un litige imminent, mais la décision se fait
largement désirer malgré la procédure pénale
togolaise soumise à un principe général de
célérité. Le délai raisonnable n'est donc pas
respecté. Pour pallier cette lacune, la sanction de la violation du
principe de célérité, doit être
préconisée par le législateur national afin que la justice
pénale togolaise cesse d'être constamment décriée,
et ne soit plus frappée de suspicion ou de ridicule.
Pour attester de la nécessité d'une sanction, le
délai doit être apprécié. Dans ce contexte, le
caractère dit « raisonnable » d'un délai
s'apprécie suivant les circonstances de la cause240.La
sanction de la violation du délai raisonnable devant la juridiction
pénale à un triple objectif : la prévention, la
répression et la réparation.
S'agissant de la prévention, elle vise à
dissuader les justiciables, le personnel judiciaire ou toute autre personne de
ne pas user de quelques moyens que ce soit pour ralentir le cours de la justice
pénale. Ainsi, toute personne désireuse de faire obstruction au
respect du délai raisonnable du procès pénal devrait en
principe s'abstenir afin de ne pas en subir les sanctions. Il s'agit donc de
mesures dissuasives qui amènent à renoncer à ses
intentions.
Quant à la répression, elle consiste à
punir tout fauteur du droit au délai raisonnable. Peu importe la
qualité de la personne reconnue coupable des entraves à la
célérité de la justice pénale, sa
responsabilité devra être engagée dans ce sens. Punir
dissuaderait d'ailleurs certaines personnes qui seraient tentées
d'outrager le droit au délai raisonnable. La répression permettra
de préserver l'indépendance, l'impartialité de la justice
pénale et les juges accompliront leurs missions dans un délai
optimal. Mais, les dysfonctionnements du service public de la justice
pénale doivent être davantage révélés par les
poursuites disciplinaires à l'encontre des magistrats.
En ce qui concerne la réparation, elle peut être
bénéfique à la victime ou à l'inculpé. D'une
part, la victime de la violation du droit au délai raisonnable obtiendra
la réparation du préjudice par elle subi. D'autre part,
l'inculpé victime de la violation du délai raisonnable
bénéficiera également de sa réparation qui peut
constituer en sa libération, à son
238 LAROUCHE (P), «La procédure
abusive» (1991) 70 R. du B. can. 650 à la p. 665.
239 BAUDOUIN (J.L.) et. DESLAURIERS (P), La
responsabilité civile, 5e éd., ibidem. 240CEDH,
26 octobre 1999, requête n° 31801/96.
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indemnisation, ou encore des deux. Par ailleurs, s'il est
établi que le délai entre la mise en accusation et le
procès est déraisonnable, la CEDH admet des sanctions telles que
: l'arrêt des procédures et la libération de la personne
mise en cause, l'acquittement, la réduction de peine,
l'irrecevabilité des poursuites et l'abandon des poursuites par le
parquet241. A cet effet, le dommage peut être
considéré comme établi alors même que le processus
judiciaire se poursuit242.
Au Togo, il est difficile de voir appliquer cette mesure
à l' endroit de l'accusé parce qu'il n'y a pas de texte
spécial dans la législation pénale pour réparer la
violation du délai raisonnable. En France par contre, cela est une
réalité d'autant plus que, le législateur français,
par le biais de l'article 149 du Code de procédure pénale qui
modifie la loi du 15 juin 2000 et celle du 30 septembre 2000, a introduit un
principe qui dispose que « [---J la personne qui a fait l'objet d'une
détention provisoire au cours d'une procédure terminée
à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou
d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à
réparation intégrale du préjudice moral et matériel
que lui a causé cette détention ( et que), Lorsque la
décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement lui est
notifiée, la personne est avisée de son droit de demander
réparation ». Il s'agit de la réparation
intégrale du préjudice subi par la personne inculpée. Deux
décisions ont été rendues dans ce sens : en premier lieu,
Rajeswaran Paskaran accusé du meurtre d'un policier et condamné
à 20 ans de réclusion en 2011 a été remis en
liberté parce que son affaire n'était pas encore fixée
devant la cour d'Assises d'Appel au bout de quatre années243.
En deuxième lieu, une femme dite « la veuve noire »
condamnée à 30 années de réclusion criminelle, en
2010, pour homicide volontaire a été remise en liberté
parce que depuis plus de cinq (05) ans, l'appel n'avait pas encore
été programmé244. Cette décision de
réparation de la violation du droit au délai raisonnable devant
la justice pénale, bien que justifiée souffre de contestation au
regard de l'indignation des familles, des proches, de la police et
au-delà, l'émoi public devant ces décisions prenant acte
de la lenteur de certains jugements et en tirant les conséquences au
risque de provoquer ou de surprendre.
La réparation du préjudice subi, du fait de la
violation du droit au délai raisonnable, nécessite son
évaluation. Cette évaluation prendra en compte plusieurs
paramètres. Il s'agira : d'abord, de la perte de revenus subis pendant
la détention ou si un licenciement est intervenu en raison de
l'incarcération245. Ensuite, les salaires et les
congés payés ainsi que la perte de chance de
241 C.E.D.H., arrêt Eckle c/ Allemagne, 15 juillet 1982.
242 DOCQUIR (P.F.), « Délai
raisonnable: l'exigence d'un recours effectif en droit interne, CDPK, 2001,
p.274
243 Le Parisien, Cour d'assises : la lenteur au banc des
accusés, 27septembre 2015.
244 Ibidem.
245SARR (N.), Le délai
raisonnable dans le procès pénal, mémoire en
Maîtrise sciences juridiques, Université Gaston Berger de
Saint-Louis - 2007.
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retrouver un emploi à condition qu'elle soit
directement liée à la détention246. Enfin,
moralement, le préjudice peut être apprécié en
tenant compte de l'âge, des éléments de la
personnalité, de l'environnement familial et social247. Dans
ce cas, le préjudice devra être évalué par expertise
contradictoire.
Afin d'être efficace et d'atteindre le résultat
escompté, la sanction contre la violation du droit au délai
raisonnable doit respecter certaines conditions : elle doit être
adéquate, convenable et constituer une juste
réparation248. Pour obtenir la réparation, la partie
lésée peut saisir la Cour de Justice de la CEDEAO (CJCA) en
formulant un recours pour violation du droit au délai raisonnable afin
de voir l'Etat togolais condamné pour violation du principe de
célérité.
Pour que la justice pénale soit rendue dans un
délai raisonnable, il faut donner de la vitalité aux
règles de procédure pénale.
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