Chapitre second : La nécessité de
réformer la prescription en matière pénale au Togo.
L'AMENAGEMENT DU TEMPS POUR LE TRAITEMENT DES
AFFAIRES PENALES DANS UN DELAI RAISONNABLE
SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la justice
pénale au Togo », 17-04-2019. Page 56
CHAPITRE I
Les instruments internationaux, régionaux ou nationaux
reconnaissent à toute personne à un procès, des droits qui
lui permettent d'être jugé dans un délai
raisonnable221. Ces droits relatifs à la
célérité du procès pénal sont exigibles
à l'Etat togolais, premier garant de leur effectivité.
Malheureusement, c'est la lenteur qui accule souvent la justice pénale
togolaise. Ce profond ancrage de ce principe conduit certains auteurs à
voir dans un dépassement de ce délai un « déni de
justice processuel »222. Pour y remédier, il faut
dès lors préconiser le juste temps.
L'aménagement consiste en l'ensemble des mesures ou
dispositions prises pour améliorer une situation donnée. Dans
quelles mesures peut-on aménager le temps pour que le traitement des
affaires pénales se déroule effectivement dans un délai
raisonnable ?
La lenteur de la justice, ce thème récurrent en
droit pénal togolais, est également fort ancien en droit
français. En effet, en se référant aux discours de
rentrée aux audiences solennelles des cours d'appel en France, il
apparaît que les magistrats se sont saisis dès le début du
XIXe siècle de cette thématique223, afin d'y
remédier. La doctrine n'est pas restée en marge de cette
inquiétude d'autant plus que, NANA É. E. affirmait que «
Le droit étant une recherche d'équilibre entre des
intérêts opposés, la justice ne doit pas être
administrée avec des retards propres à en compromettre
l'efficacité et la crédibilité
»224.
Pour contrer la lenteur qui sévit au sein de la justice
pénale togolaise, il serait juste de mettre en place des
mécanismes nationaux tendant à prévenir la lenteur et
à apporter un redressement approprié en cas de violation des
délais impartis. Mais, vu le caractère exponentiel du
221 Voir supra, A, pp. 15&16.
222 SAVADOGO (L.), Déni de justice et
responsabilité internationale de l'État pour les actes de ses
juridictions, JDI (Clunet), 03/2016, p. 827 s., cité par B. Nicaud,
Délai raisonnable et droit européen, AJ pénal 2017. 163
223 FARCY (J.-C.), Magistrats, Les discours de
rentrée aux audiences solennelles des cours d'appel XIXe- XXe
siècles, CNRS Editions, 1998, p. 798. On peut par conséquent
déduire de cette analyse que, dès1811, le Procureur
Général ROULHAC (CA Limoges) traitait de la question, dans une
intervention intitulée «L'activité et la
célérité dans l'expédition des affaires ». Il
fut suivi, en 1823, par l'avocat général LEBE (CA Agen), lequel
exprimait « La nécessité d'une étude approfondie des
lois de la part du magistrat et l'obligation d'impartirune bonne et prompte
justice », exigence confirmée, l'année suivante, par le
procureur général Blanquart DEBAILLEUL (CA Douai), dans son
discours consacré aux « Devoirs des magistrats dans l'instruction
criminelle : sagacité et célérité ». En
revanche, en 1828, l'avocat général SAVEROT (CA Dijon), mettait
en garde contre « Les dangers que représente l'amour de la
célérité chez les magistrats ». Seule note
discordante, semble-t-il, puisque le procureur général THOUREL
(CA Nimes) reprenait, en 1855, le thème sous un titre plus neutre «
De la célérité dans la distribution de la justice civile
», la même sobriété revenant, en 1862, dans le
discours de l'avocat général GAUTIER (CA Grenoble) « La
célérité dans la justice ». Etrangement,
peut-être, il a fallu plus d'un siècle pour que la question soit,
de nouveau, placée au premier plan des préoccupations des chefs
de cour, le conseiller Le Foyer DE COSTIL (CA Paris) centrant son propos, en
1986, sur « La justice et le temps ».
224NANA (É. E.), Droits de l'homme et
justice : le délai de procédure pénale au Cameroun,
L'Harmattan, 2010, p. 19.
SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la
justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page
57
phénomène, une réaction vigoureuse du
personnel judicaire ainsi qu'une implication active des parties au
procès pénal s'imposent. Le respect du délai raisonnable
devant la justice pénale togolaise implique de revoir les moyens humains
au premier rang desquels figurent les magistrats chargés de rendre la
justice, tout en améliorant l'organisation de l'institution judiciaire
et des textes de nature à favoriser l'accélération des
procédures pénales.
La justice pénale togolaise doit nécessairement
se dérouler dans un délai raisonnable. Pour y arriver, il faut
dès lors consacrer des exigences légales (Section I), tout en
impliquant les acteurs de ladite justice pour que ceux-ci les mettent en
application (Section II).
Section I : Les exigences légales de la tenue
du procès pénal dans un délai raisonnable La
tenue du procès pénal dans un délai raisonnable pose le
problème des garanties d'un tel procès. Il s'agit des exigences
légales pour atteindre cet objectif afin que le justiciable qu'il soit
victime ou accusé en matière pénale, puisse avoir la
possibilité de faire valoir ses droits sans retard
excessif225.
Le délai raisonnable étant une condition
sine qua non pour réaliser un procès pénal dans
le temps (§.1), il faut revitaliser la procédure pénale
togolaise (§.2).
§.1- Le délai raisonnable, condition
sine qua non pour un procès pénal dans le temps
Le délai raisonnable est absent du droit pénal
togolais. Pour le consacrer, le législateur national doit
nécessairement le référencer, le clarifier (A) et
instituer des sanctions rigoureuses afin de dissuader d'éventuels
contrevenants (B).
A- Le référencement et la clarification
législative de la notion de délai raisonnable
Le procès pénal doit être rendu dans un
délai raisonnable. Pour se faire, le législateur national doit
faire mention de cette notion dans le droit pénal et la clarifier.
Le référencement de la notion du délai
raisonnable, devient aujourd'hui une nécessité d'autant plus
qu'on ne saurait évoquer le droit au délai raisonnable sans en
faire référence, soit au Code pénal, soit à au Code
de procédure pénal. Le législateur a donc l'obligation de
référencer le droit au délai raisonnable dans les textes
juridiques pénaux. Cela permettra et constituera un repère
incontournable aussi bien pour le personnel judiciaire que pour les
justiciables.
La clarification de la notion du droit au délai
raisonnable, doit également faire partie intégrante des Codes
pénal et de procédure pénale.
225 ALLIX (D.), « le droit au procès
pénal équitable », justice n° 10, 1998, p.19.
SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la
justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page
58
Qu'est-ce que le droit au délai raisonnable ? «
La notion de délai raisonnable est une notion floue qui est
difficile à définir. Le terme délai qui se rapporte
à la durée peut s'entendre comme le temps accordé pour
faire une chose. L'ambiguïté et la difficulté proviennent de
l'adjectif raisonnable qui est accolé au "délai". Qu'est ce qui
est raisonnable et qu'est ce qui ne l'est pas? De prime abord, nous pouvons
dire qu'est raisonnable ce qui est conforme à la raison, au bon sens. Il
s'agit d'une notion qui fait appel à des appréciations du milieu
social. C'est ce qui est admissible dans une communauté à un
moment donné. Le raisonnable varie alors avec le temps et l'espace comme
l'ordre public »226.
Le droit au délai raisonnable sous-entend donc que la
justice soit rendue avec célérité. Ce délai doit
être en adéquation avec la situation à laquelle il
s'applique. En d'autres termes, il doit être acceptable au regard des
faits de la cause. En principe, le délai raisonnable se décline
en trois délais. En effet, selon la Convention Européenne des
Droits de l'Homme, l'aspect raisonnable s'attachant aux délais doit
être apprécié in concerto pour chaque phase de la
procédure. Ainsi, distingue t'elle d'abord, le délai raisonnable
de la détention provisoire227 ; ensuite, le bref délai
pour statuer en matière de détention228et enfin le
délai raisonnable de la procédure229.
Traditionnellement, le caractère raisonnable de la
durée d'un procès pénal s'apprécie au cas par cas
et au regard de trois critères à savoir, la complexité de
l'affaire, le comportement du requérant et la manière dont les
autorités judiciaires ont traité l'affaire230. Le
premier critère est « la complexité de l'affaire ». Il
inclut toutes les données de fait et de droit. A titre indicatif, il y a
la complexité de l'administration de la preuve qui résulte du
nombre de prévenus, du volume et de la difficulté de l'affaire ;
de même que l'incertitude de la règle de droit qui est très
souvent un élément important expliquant certaines lenteurs
procédurales231.Le deuxième critère est relatif
au « comportement du requérant ». Il est reconnu que la
personne inculpée ne dispose pas de moyens efficaces pour ralentir le
cours de la justice pénale en raison de son droit de garder le silence
que lui impose la loi pénale232.
226NATY (S.),
le délai raisonnable dans le procès
pénal, mémoire de maitrise en science juridique à
l'Université Gaston eryersaint-Loui 2007, p.7.
227 Art5.3 CEDH : « Toute personne arrêtée
ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c) du
présent article, doit aussitôt être traduite devant un juge
ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions
judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai
raisonnable, ou liberty pendant la procédure... ».
228 Art5.4 CEDH « Toute personne privée de sa
liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un
recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la
légalité de sa détention et ordonne sa libération
si sa détention est illégale. »
229 Art6 .1CEDH « Toute personne a droit à ce que
sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un
délai raisonnable,... ».
230 Posé dans un arrêt KöNIG vs RFA du 28
Juin 1988 : « le caractère raisonnable de la durée d'une
procédure s'apprécie eu égard notamment de la Co
complexité de l'affaire, du comportement du requérant, du
comportement des autorités compétentes et de l'enjeu du litige
» ; Observation no. 32 du Comité des Droits de l'Homme relative
à l'article 14 du PIDCP ; CEDH 6 mai 1981, n° 7759/77, Buchholz
c/ Allemagne;.25 mars 1999, n° 25444/94, Pélissier et
Sassi c/ France, D. 2000. 357, note D. Roets ; 15 juill. 1982, n°
8130/78,Eckle c/ Allemagne, § 73
231 Arrêt Preto et autres contre Italie, 8 decembre1983,
série A n° 7.
232 Article 14.3, g, du pacte international du 19 décembre
1966, relatifs aux droits civils et politiques.
SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la
justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page
59
Cependant, il faut noter que certains requérants font
souvent recours à des manoeuvres dilatoires telles le refus volontaire
de communiquer à la justice les pièces qu'elle lui
réclame, le changement incessant ou tardif d'avocats, l'abus de
l'exercice des voies de recours, l'absence à l'audience, ou encore un
requérant qui adopte une stratégie pour retarder le
procès233.Le troisième critère qui est «
le comportement des autorités compétentes » doit être
entendu largement : les juges et l'Etat. Les juges doivent fournir des
diligences durant la durée consacrée à la réflexion
d'une analyse juridique. L'Etat ne doit pas compromettre la gestion de la
justice pénale. Il s'agit de l'obligation de résultat qui lui
incombe car il est le premier comptable en matière de respect du droit
au délai raisonnable. L'intérêt de ces critères
réside dans le fait qu'ils sont permanents et assurent la
prévisibilité et la sécurité juridique propres
à toute interprétation d'une règle de
droit234.
Outre ces trois critères précités, un
nouveau critère dit « l'enjeu du litige » est utilisé
par la Commission Européenne des Droits de l'Homme, afin de garantir et
de préserver la dignité du requérant235. Dans
ce contexte, l'appréciation de la durée du procès
pénal est plus stricte lorsqu'il est question d'un conflit de travail
qui met en jeux les conditions de travails et de vie du requérant.
Le calcul de la durée du délai raisonnable n'est
pas chose aisée. Il a tout de même pour point de départ le
moment où la personne fait l'objet d'une accusation en matière
pénale. Cette notification doit avoir « des
répercussions importantes sur la situation du suspect
»236 Ainsi, il peut s'agir de l'arrestation, de
l'inculpation, ou de l'ouverture de l'enquête
préliminaire237. Elle se termine avec la décision
définitive. En France par contre, ce point d'arrivée est
fixé soit à la date de l'arrêt de la cour de cassation ou
du conseil d'Etat soit au délai de deux mois après l'arrêt
d'appel.
Le législateur national doit référencer
le droit au délai raisonnable afin que sa violation soit
sanctionnée.
|