Enfant naturel en droit tchadien, étude à la lumière du projet de code des personnes et de la famillepar Modeste BESBA Université de Ngaoundéré. - Master 2016 |
CHAPITRE DEUXIEME : L'INFERIORITE DE L'ENFANT NATUREL DANS L'ETABLISSEMENT CONTENTIEUX DE LA FILIATION
Lorsque l'on veut établir un lien de filiation, recours est fait soit au titre de naissance, soit à la présomption de paternité, soit à la possession d'état, voire à la reconnaissance selon qu'il s'agit d'un enfant légitime ou naturel. Dans tous ces cas, l'établissement de la filiation est possible. Il arrive néanmoins que les parties ne s'accordent pas sur l'établissement paisible de la filiation ; seule une procédure judiciaire peut résoudre le problème. Il est à retenir que l'inégalité des filiations qui a subordonné la filiation naturelle dans l'établissement non contentieux, n'a pas laissé l'établissement contentieux de la filiation. Cette inégalité figure tant dans les actions en établissement de la filiation (section première) que dans les actions en contestations de la filiation (section deuxième). Section première : L'infériorité réaffirmée de l'enfant naturel dans les actions en établissement de la filiationDans m'importe quelle société dite de droit, les individus ont la même chance devant les juridictions, qu'ils soient riches ou pauvres, de sexes masculin ou féminin. Cette logique n'est pas respectée par le droit tchadien de la filiation. L'enfant naturel n'a pas les mêmes moyens d'actions à ceux qu'utilise l'enfant légitime pour l'établissement de sa filiation (paragraphe premier). Pire encore, l'enfant incestueux se trouve dans un interdit de rechercher sa paternité (paragraphe deuxième). Paragraphe premier : L'inégalité de moyens d'action entre l'enfant naturel et l'enfant légitimeL'inégalité quant aux moyens d'action entre l'enfant naturel et l'enfant légitime résulte du fait que le législateur limite les titulaires de l'action en recherche de paternité naturelle (A) tout en prescrivant celle-ci (B). A- La limitation des titulaires de l'action en recherche de paternité naturelleL'état d'une personne, en ce qu'il reflète l'appartenance de l'individu à un groupe plus ou moins restreint, intéresse plusieurs personnes ; mais il est en outre intimement attaché à la personne elle-même, ce que traduit le caractère personnel des actions relatives à la filiation141(*). De ce caractère, résultent deux sortes de conséquences142(*). D'une part, les créanciers du titulaire de ces actions relatives à la filiation ne peuvent les exercer agissant au nom de leur débiteur en vertu de l'article 1166143(*) du Code civil. D'autre part, ces actions ne sont pas toujours transmissibles aux héritiers144(*). L'article 322 du Code civil interdit toute réclamation d'état contraire à celui que le titre de naissance et la possession d'état donnent à l'enfant. Ce qui signifie a contrario que l'enfant peut réclamer un état conforme à celui que lui donnent le titre de naissance et la possession d'état qui lui est conforme. Donc dans ce dernier cas, l'enfant ou sa mère pendant sa minorité peuvent intenter l'action en réclamation d'état. Les articles 329 et 330 du Code civil ouvrent l'action aux héritiers de l'enfant légitime. Le premier article dispose : « L'action ne peut être intentée par les héritiers de l'enfant qui n'a pas réclamé, qu'autant qu'il est décédé mineur ou dans les cinq années après sa majorité ». L'article 330 poursuit en ces termes: « Les héritiers peuvent suivre cette action lorsqu'elle a été commencée par l'enfant, à moins qu'il ne s'en fût désisté formellement, ou qu'il n'eût laissé passer trois années sans poursuites, à compter du dernier acte de procédure ». Si l'on se conforme à la deuxième conséquence du caractère personnel des actions relatives à la filiation, l'admission de l'action ici aux héritiers de l'enfant par les articles 329 et 330 du Code civil est illogique. Le principe voudrait que de son vivant, l'enfant reste l'unique titulaire de l'action. Ainsi, la réclamation d'état d'enfant légitime est l'affaire de la mère, de l'enfant lui-même ou ses héritiers, alors que cette pluralité d'acteurs n'est pas admise dans la recherche de la paternité naturelle. Il s'agit d'une discrimination de l'enfant naturel. Selon les dispositions de l'article 340 du Code civil : « L'action n'appartient qu'à l'enfant. Pendant la minorité de l'enfant, la mère, même mineure, à seule qualité pour l'intenter ». Cela veut dire que pendant la minorité de l'enfant, la mère, même mineure, est la seule personne qualifiée à agir. La mère agit alors en son propre nom et non pas au nom de l'enfant comme administrateur légal ou tuteur de celui-ci145(*). Elle agit sans être autorisée par le juge des tutelles146(*). De même, si la demande a été introduite par le représentant légal de la mère, elle est irrecevable ; cependant, elle sera rétroactivement régularisée si la mère se substitue à son représentant147(*). Donc, si la mère n'a pas reconnu l'enfant, si elle est décédée ou si elle se trouve dans l'impossibilité de manifester sa volonté, l'action sera intentée par le tuteur de l'enfant avec l'autorisation du conseil de famille148(*). Le législateur tchadien a, dans le Projet de Code des Personnes et de la Famille, apporté des correctifs aux dispositions du code civil qui discriminent les titulaires des actions relatives à la filiation. Mais il est resté muet sur certaines actions. L'article 322 du PCPFT reprend les dispositions de l'article 322 du Code civil en ces termes : « Nul ne peut réclamer un état contraire à celui que lui donnent son titre de naissance et la possession d'état conforme à ce titre ». Les dispositions de cet article ne bénéficient qu'à l'enfant légitime puisqu'il suffit d'établir que le nom mentionné est celui de la femme qui l'a accouché et qui l'a traité comme son enfant. Et lorsque la maternité est démontrée, la paternité de l'enfant légitime s'établie de plein droit par le biais de la présomption « pater is est quem nuptiaedemonstrant ». Etant donné que le législateur tchadien a admis dans le PCPFT l'établissement de la maternité naturelle par possession d'état, l'enfant naturel peut réclamer sa maternité lorsque celui-ci démontre qu'elle est conforme à son titre de naissance et la possession d'état. La paternité naturelle est exclue du champ de la présomption de paternité ainsi que de la possession d'état. La limitation des titulaires de l'action en recherche de paternité naturelle découle de l'article 324 du PCPFT qui dispose : « L'action en réclamation de maternité est dirigée contre la mère prétendue et ses héritiers. L'action ne peut être intentée par les héritiers de l'enfant qui n'a pas réclamé qu'autant qu'il soit décédé mineure ou dans les cinq années après sa majorité. Les héritiers peuvent suivre cette action lorsqu'elle a été engagée par l'enfant à moins qu'il ne s'en soit désisté formellement ou qu'il ait laissé périmer l'instance ». Cet article parle uniquement de l'enfant légitime puisqu'il y a réclamation d'état lorsqu'un enfant, ou son représentant, agit afin de faire établir sa filiation légitime, maternelle directement et paternelle en principe par le jeu de la présomption de paternité légitime149(*). La doctrine emploie la terminologie « revendication » d'enfant légitime pour désigner la réclamation d'état exercée par des époux à l'égard d'un enfant qu'ils prétendent être leur enfant légitime150(*). Le Code civil n'ayant pas organisé cette action en 1804, sa reconnaissance posa autrefois quelques difficultés151(*) liées à la paix des familles. Néanmoins, la loi française du 3 janvier 1972 a expressément admis l'action en réclamation émanant d'époux revendiquant un enfant légitime tout en modifiant ces contours152(*). Contrairement au père légitime, aucune action en revendication n'est ouverte au père naturel qui peut toujours, s'il le souhaite, reconnaitre153(*). Le PCPFT est muet sur la question des titulaires de l'action en recherche de la paternité naturelle. Ce mutisme laisse à croire que l'article 340 du Code civil qui ne réduit l'action qu'à l'enfant, à sa mère et au tuteur, continue de régir de façon discriminatoire cette situation. L'article 330 du PCPFT, en désignant les titulaires de l'action en indication de paternité, vient corroborer cette discrimination fondée sur la limitation des personnes qualifiées pour agir en paternité naturelle. Il ressort de cet article que : « L'action n'appartient qu'à l'enfant. Pendant la minorité de l'enfant, la mère, même mineure a seule qualité pour l'intenter. Si la mère est décédé, incapable ou présumée absente, l'action est introduite par la personne qui a la garde de l'enfant ». Cet article concerne spécifiquement l'action en indication de paternité qui est ouverte aux enfants dont la filiation paternelle ne peut pas être établie ; la plupart des cas, les enfants incestueux. Il serait préférable que le législateur tchadien qui veut bien établir l'égalité entre les enfants tchadiens applique mêmement à tous les enfants le caractère personnel des actions liées à la filiation. Ce qui veut dire, s'il accorde aux héritiers de l'enfant légitime la possibilité de réclamer l'état de ce dernier après sa mort, qu'il en soit de même pour les héritiers de l'enfant naturel. La loi française de 1972 a écarté la solution jurisprudentielle antérieure qui refusait aux héritiers de l'enfant naturel le droit d'exercer l'action, et même le droit de continuer l'action intentée par l'enfant de son vivant154(*). Pourquoi le législateur tchadien ne fera pas de même en accordant cette possibilité aux héritiers de l'enfant naturel. L'inégalité des moyens ne s'arrête pas au cas des titulaires de l'action mais touche aussi la prescription de celle-ci. * 141TERRE (F.) et FENOUILLET (D.), Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités, op.cit., n°768, p.636. * 142 Ibid. * 143 Art.1166 C.civ. : « Néanmoins les créanciers peuvent exercer tous les droits de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne ». Il s'agit de l'action oblique qu'il ne faut pas confondre avec l'action paulienne. La première est une action en justice intentée par un créancier au nom et pour le compte de son débiteur négligent et insolvable contre un débiteur de son débiteur. L'action paulienne est quant à elle aussi une action en justice par laquelle le créancier demande la révocation des actes d'appauvrissement accomplis en fraude de ses droits par le débiteur insolvable. * 144TERRE (F.) et FENOUILLET (D.), Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités, op.cit., n°768, p.637. * 145TERRE (F.) et FENOUILLET (D.), Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités, op.cit., n°804, p.670. * 146BENABENT (A.), Droit civil, La famille, op.cit., n°504, p.412. * 147 Ibid. * 148 Ibid. * 149TERRE (F.) et FENOUILLET (D.), Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités, op.cit., n°800, p.667. * 150 TERRE (F.) et FENOUILLET (D.), Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités, op.cit., n°801, p.668. * 151 Les rédacteurs du code n'avaient sans doute envisagé que l'exercice d'une action en réclamation d'état d'enfant légitime par l'enfant lui-même ou éventuellement ses héritiers, manifestant par là leur désir d'assurer la paix des familles mais aussi une certaine méfiance à l'encontre d'une action qui pouvait fort bien être intentée contre un enfant majeur par des parents qui, après s'être désintéressés de leur progéniture lors de la naissance, étaient inspirés de considérations assez sordides. * 152 TERRE (F.) et FENOUILLET (D.), Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités, op.cit., n°801, p.669. * 153TERRE (F.) et FENOUILLET (D.), Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités, op.cit., n°804, p.670. Mais ce mode d'établissement du lien n'aboutit pas à la même conséquence puisque l'établissement judiciaire garantit ou presque au demandeur que le lien juridique correspond à la réalité du sang. * 154TERRE (F.) et FENOUILLET (D.), Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités, op.cit., n°804, p.671. |
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