5.1.3. De 1990 à
2000 : dilapidation des ressources foncières
Le PUR de Niamey (2009) qualifie l'époque de 1990
à 2000 de période de dilapidation des ressources foncières
du fait de l'augmentation du rythme des lotissements. Ce qui corrobore les
résultats de l'analyse de I. Seybou (2005), selon lesquels cette
période est marquée essentiellement par des lotissements
systématiques. En effet, cet auteur précise que 52 469 parcelles
y ont été produites contre seulement 51 341 pour la
période de 1946 à 1990. Ainsi, en dix ans, la CUN a produit
autant de parcelles que les cinquante années précédentes.
De plus, l'auteur soutient que malgré la forte production de parcelles,
la demande de terrains urbains ne fléchit pas. A cette période
d'instabilité politique poursuit-il, chaque Préfet-Maire
nommé à la tête de la CUN s'efforce de produire son
lotissement en ignorant toutes les normes en matière de gestion urbaine
et foncière. A cela s'ajoutent les parcelles produites par les
filières informelles donnant lieu à des quartiers ou secteurs de
quartiers informels.
L'analyse permet de voir qu'entre 1990 et 2000, la CUN produit
en moyenne 5 246 parcelles par an alors que le besoin réel annuel
ne dépasse guère 1 289 parcelles actuellement. Cela veut dire que
chaque année, la mairie produisait des parcelles pouvant couvrir les
besoins d'au moins quatre ans. De ce fait, il y a encore un important stock de
parcelles à Niamey. Si ces parcelles étaient
régulièrement mise en valeur, la ville de Niamey mettrait 30
à 40 ans avant d'engager de nouveaux lotissements. Mais, la
réalité est tout autre car d'autres opérations sont venues
aggraver la situation dans la décennie précédente. Il en
résulte une spéculation foncière sans
précédent.
Cette dernière se caractérise par la production
systématique de parcelles sans viabilisation préalable de la part
de la CUN, du ministère chargé de l'urbanisme et des
propriétaires coutumiers en vue, non pas de répondre à une
vraie demande, mais de satisfaire plutôt à une logique
d'accumulation foncière très présente parmi les
Niaméens (particuliers). De ce fait, la mauvaise gestion
foncière qui découle de cette spéculation foncière
est une responsabilité partagée de tous ces acteurs.
La municipalité de la ville de Niamey a plusieurs
missions en matière d'aménagement urbain, dont la gestion du
domaine public et privé de ladite collectivité, à travers
son service des affaires domaniales récemment transformé en
direction de la planification et de la gestion de l'espace urbain (2008) dans
le cadre de la réforme des instances de la mairie. De toutes les
missions qui lui sont assignées, ce sont les lotissements et les
morcellements abusifs au mépris des règles de gestion
foncière qui constituent les activités dominantes de la
collectivité territoriale.
Les problèmes de la ville de Niamey ont commencé
à partir du moment où l'Etat du Niger a
rétrocédé aux collectivités locales une bonne
partie de son domaine à travers le décret 71/33/MF/ASN de
février 1971, portant transfert et cession d'immeubles ou domaines
publics et privés de l'Etat aux arrondissements, villes et communes. Ce
transfert s'est accompagné de la mise en place de la Caisse de
Prêts aux Collectivités Territoriales (CPCT) où sont
logés les fonds des collectivités locales.
Depuis, profitant du laxisme du ministère chargé
de l'urbanisme, la CUN et ses Communes membres n'ont procédé
qu'à des modes d'aliénation des terrains non
réglementaires et de façon abusive. En effet, la CUN
présente régulièrement l'apurement des
arriérés cumulés pour justifier la réalisation des
opérations de lotissements ou de morcellement de terrains auprès
du ministère chargé de l'urbanisme. Il n'en demeure pas moins que
le problème persiste du fait des modes d'aliénation de terrains
inappropriés.
La vente systématique de parcelles aux particuliers est
basée sur la corruption et a donné lieu à des transactions
qui ont permis l'émergence de la profession de revendeurs de parcelles
communément appelés « démarcheurs ».
Ces derniers sont un maillon qu'il faut placer au coeur de la
spéculation foncière. Ils sont plus que des intermédiaires
quand ils aident la veuve à vendre sa parcelle (côté
social), ou des escrocs quand ils poussent la veuve à vendre sa
parcelle. Ils constituent une classe sociale avec des riches et aussi des
pauvres ou des repris de justice.
A Niamey, on enregistre trois modes d'aliénation de
terrain. Il s'agit des attributions de parcelles à titre onéreux,
des attributions à titre gratuit ou gratification et des attributions
à titre de dédommagement.
Les attributions de parcelles à titre gratuit,
qui ne semble être justifié par aucun texte en matière de
gestion foncière à Niamey, a pris de l'ampleur dans les
années 1990. En effet, selon le CTRF près de 460 parcelles de
toutes tailles confondues ont fait l'objet de don de la part de la CUN pendant
que près de 2 000 reçus restaient en souffrance à la date
de 1995. Mieux, ces opérations sont rarement motivées par un
mobile d'utilité publique ou social.
Les attributions de parcelles à titre gratuit sont une
pratique qui profite surtout aux personnalités politiques et leurs
familles et à quelques agents des services en charge de la gestion
urbaine à Niamey. La dimension des parcelles cédées dans
ce sens est très frappante d'autant plus qu'elle se situe entre 200 et 5
000 m2. Une telle pratique fragilise la mairie qui s'appauvrit
davantage au profit des particuliers.
Les attributions de parcelles à titre
onéreux constituent le principal mode d'aliénation des
terrains dans la CUN. Une analyse des registres et actes de cession ainsi que
des quittances intervenues de 1990 à 1995 par la Commission Technique
de Réflexion sur le Foncier (CTRF), montre que la cession des parcelles
telle que pratiquée par la CUN ne semble édictée par aucun
texte. C'est ainsi qu'au regard des prix officiellement pratiqués
à savoir 1 000 FCFA/m2 en zone traditionnelle, 1 350 FCFA en
zone résidentielle et 2 500 FCFA en zone commerciale, on assiste
à des minorations qui sont doublement pénalisantes pour la
collectivité. Car, il s'agit d'une part, pour la plupart de minorations
intervenues sur la cession des îlots irrégulièrement
produits, d'autre part de prix de cession qui ne comblent pas le prix
d'acquisition que la mairie avait payé aux propriétaires
coutumiers qui est de 250 FCFA/m2. La minoration des prix de cession
des terrains trouve son origine dans plusieurs phénomènes
comme :
- les besoins politiques ;
- la constitution par les agents de la mairie d'un
réseau de spéculation foncière ;
- l'institution par la CUN d'un prix dit de recasement au
profit des déguerpis et des propriétaires coutumiers. ;
- l'absence d'un système de contrôle interne et
externe du service domanial (notons, ici, que ce service ne rédige
pas régulièrement de rapport d'activité) ;
- et l'interférence des agents des services
impliqués dans la gestion urbaine et foncière.
Mais, c'est l'institution du prix du recasement qui a surtout
ouvert la plus grande brèche. En effet, dans les années 1992 la
mairie a distribué beaucoup de parcelles de 600 m2 au prix de
150 000 FCFA (soit 250 FCFA/m2). L'argent a été
encaissé sans que la mairie puisse désintéresser les
acquéreurs qui, par la suite, ont dû payer des frais de
complément pour se réajuster au tarif normal de 1 000 FCFA le
m2.
Le problème de reçus non encore honorés a
servi d'argument à la CUN pour justifier la réalisation de
nouveaux lotissements aux mépris des plans d'urbanisme et d'extension de
la ville. La situation ainsi créée trouve sa source dans le
manque d'effort et d'initiative de la CUN pour financer ses charges de
fonctionnement (salaires des agents, entretien du matériel,
électricité, manifestation etc.) et pour combler son
déficit budgétaire. Car, le produit de la vente des parcelles
devrait être une recette d'investissement et non de fonctionnement la CUN
et ses communes comme cela se pratique aujourd'hui. Selon la CTRF, l'essentiel
des reçus non honorés date de 1992 et 1993.
A travers cette pratique, la mairie ne fait que vendre des
parcelles sans jamais planifier. Cela est d'autant plus choquant que la
nomination d'un nouveau Préfet-Maire occasionne en premier lieu des
lotissements voire des morcellements de réserves foncières.
Notons que ces genres d'opérations n'associent pas tous les agents du
service à charge de la question, et se font clandestinement le plus
souvent. Ce qui pose un sérieux problème d'archivage en raison de
vices de procédures.
En conséquence, la ville de Niamey se trouve
aujourd'hui dans une situation de crise foncière. Cela se lit d'ailleurs
dans les agitations des responsables municipaux à vouloir proposer une
révision des limites de ladite collectivité.
Par ailleurs, plusieurs parcelles issues des opérations
engagées par les autorités municipales de la ville de Niamey ont
été cédées sous forme d'attribution à titre
de dédommagement. Cette forme d'attribution, légale en ce qui
concerne les textes, continue de poser de sérieux problèmes aux
lotisseurs du fait du non-respect des prescriptions et surtout des manoeuvres
que les opérations de dédommagement occasionnent.
Aussi, est-il donné de constater sur les rares
procès-verbaux en la matière que le nombre de parcelles
distribuées à titre de dédommagement dépasse
toujours celui prévu. En outre, il arrive fréquemment que des
lotissements ou parcelles prévus essentiellement pour dédommager
des propriétaires coutumiers soient finalement attribués à
d'autres personnes (CTRF, 1995).
Le dédommagement des propriétaires coutumiers
(PC) par les collectivités à Niamey a connu une évolution
qui va de 15 % des parcelles produites sur un terrain qui l'objet d'un
lotissement après la Conférence Nationale à 25 % à
partir de 1996. C'est ce taux de 25 % qui est en vigueur sur l'ensemble du
territoire de la ville de Niamey. En dehors des collectivités
territoriales, plusieurs taux sont appliqués par les lotisseurs
privés.
Le non-respect des procédures et règlements
ainsi que les modes d'aliénation de terrains ci-dessus
énumérés sont à la base d'un certain nombre de
problèmes qui menacent le fonctionnement normal de la CUN. A ces modes
d'aliénation s'ajoutent les lotissements informels.
A cela s'ajoutent les lotissements informels ou
pseudo-lotissements ; en effet, les propriétaires
coutumiers sont les propriétaires des champs et des jardins sur lesquels
la ville est en train de s'étendre. Ils sont pour une grande partie,
issus des villages annexés par la ville à l'image de Goudel,
Saga, Gamkallé, etc. De ce fait, ils sont les
principaux auteurs des lotissements informels que les plus astucieux d'entre
eux opèrent en louant le service de géomètres ou d'agents
du service des affaires domaniales de la mairie. Ce faisant, ils
rétrocèdent des parties de leurs champs à des demandeurs
de parcelles qui ne supportent pas les tracasseries de la mairie en la
matière. Ces acquéreurs de parcelles dites informelles
procèdent immédiatement à la mise en valeur en
matériaux définitifs de leurs propriétés.
Dans une telle situation, les propriétaires coutumiers
deviennent les véritables lotisseurs en lieu et place des services de la
CUN ; ce qui gène davantage l'organisation du développement
harmonieux de la Ville.
Néanmoins, ces pseudo-lotissements viennent combler
l'incapacité de la mairie à satisfaire les demandes
réelles de parcelles, bien qu'elles ne garantissent pas une
sécurité foncière définitive aux
bénéficiaires. Car ces derniers peuvent du jour au lendemain
être « déguerpis ». L'Etat et les
municipalités laissent faire parce qu'ils n'ont pas pu mettre en place
une politique sûre d'accès au foncier et au logement.
S'agissant du transfert et de la capitalisation du foncier, on
note l'émergence de nouveaux acteurs. En effet, de plus en plus
parcelles se retrouvent dans les mains des notaires, des grands fonctionnaires
et de grands commerçants qui rachètent les champs
périurbains auprès de la première catégorie de
propriétaires.
Encadré n° 5.1 : Exemple du
lotissement extension Tchangarey
La CUN a initié un lotissement
« extension Tchangarey » en 2006, suite à ceux
opérés en 2001 dans le cadre de l'opération
« arriérés de salaires contre parcelles ». Ce
projet de moindre envergure au départ, a pris de l'ampleur avec les
demandes croissantes des propriétaires coutumiers. Cela transforme le
caractère du lotissement qui devient informel, car ne répondant
plus à la procédure légale en matière
d'aménagement foncier. Entre autres, on note l'absence d'autorisation de
lotir et des vices d'attribution du marché. Devant le fait accompli, il
fallait donc régulariser ces opérations de plus de 10 000
parcelles toutes immatriculées anarchiquement en Bis, Ter, Qar. En
outre, il a été relevé des insuffisances comme la non
hiérarchisation de la voirie, la non programmation d'équipements
publics et le débordement du lotissement sur la « ceinture
verte ». Pire, ce projet n'a pas l'approbation du Ministère de
l'Urbanisme, de l'Habitat et du Cadastre (MUH/C).
Sa remise en cause a permis de hiérarchiser la
voirie, d'y retirer la ceinture verte et de procéder à un
dédommagement équitable des PC. En effet, le dédommagement
des PC a été un véritable scandale car jalonné
d'inégalités avec 0, 15, 25% pour les PC les moins puissants
contre 80 voire 200% pour ceux qui maîtrisent les circuits mafieux. Pour
dédommager les PC de « la ceinture verte », le
MUC/H a dû déclasser quelques réserves foncières
pour les mettre à leur disposition. Voila une opération formelle
au départ qui devient informelle en donnant lieu à un endettement
de la CUN et à un morcellement des réserves foncières
prévues pour les équipements socio-collectifs de la
ville.
Malgré la production systématique
effrénée de parcelles, le problème de logement se fait
sentir à Niamey. Car la production de l'habitat a du mal à suivre
le rythme des lotissements. Il faut dire que tout le problème est dans
la possession de plusieurs parcelles. L'acquéreur a beau être
riche, il ne peut pas mettre an valeur les 5, 10 voire 20 parcelles en
même temps. D'ailleurs, ces parcelles sont le plus souvent
thésaurisées dans l'optique une éventuelle
spéculation ; dans ce cas leur revente interviendra trois à
quatre ans plus tard avec un bénéfice de plus 300 %. Cet
état de fait n'encourage pas la production de logements. Il en
résulte un habitat très éparpillé à la
périphérie qui donne lieu à un tissu urbain lâche et
une très faible densité de populations auxquelles il faut
apporter des services socio-urbains.
L'irrégularité des particuliers ne
s'arrête pas seulement au niveau de l'achat de la parcelle. Bien au
contraire, elle se poursuit jusqu'à la mise en valeur et à
l'utilisation du bâti. Aussi, ne respectent-ils pas les procédures
du permis de construire, du certificat de conformité et du titre
foncier. De plus, ils décident seuls de l'usage à en faire selon
leurs besoins ou la demande.
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