3.2.2. Trajectoire
résidentielle centrifuge ne répondant pas aux transformations du
ménage
L'observation de la trajectoire résidentielle des
ménages niaméens met en évidence des contraintes dans leur
mouvement qui, certes, est centrifuge à travers l'espace urbain. Les
contraintes sont liées à la faiblesse des revenus des
ménages, aux difficultés qu'ils rencontrent pour accéder
à la propriété, aux restrictions dans la recherche et la
collecte de l'information pour l'accès au logement, à
l'accessibilité au logement reliée à la cherté du
loyer imposée par les bailleurs et enfin à l'offre limitée
du type de logement désiré.
En observant la figure 3.8, on se rend compte que le nombre de
ménages décroît du centre ville à la
périphérie lors de leur première installation à
Niamey. Aussi, 33 % des nouveaux venus sont-ils accueillis dans le centre ville
contre seulement 15 % dans la zone périphérique. Cela veut dire
que le centre ville accueille deux fois plus de nouveaux venus que la
périphérie et qu'il demeure la source de la mobilité
résidentielle intra-urbaine pour la plupart des ménages
enquêtés.
A l'inverse, à partir du cinquième quartier,
c'est la strate 4 qui est le premier pôle d'accueil des ménages
puisque 31 % d'entre eux s'y installent-ils contre 24 % aussi bien dans la
strate1 que dans la strate 2, la strate 3 n'accueillant que 21 %. A partir de
cette étape, la majorité des ménages en mouvement
s'installent dans les deux dernières strates de la ville,
c'est-à-dire dans les zones intermédiaires et la zone
périphérique. Mais, il convient de préciser que c'est la
strate 4 qui constituent le pôle de la mobilité
résidentielle à cette étape. Cette tendance se confirme
jusqu'à l'avant dernière étape de la trajectoire
résidentielle et corrobore la démonstration de P. Vennetier
(1989) selon laquelle la mobilité résidentielle se fait en
général dans un mouvement centrifuge dans les villes d'Afrique
noire.
Figure n°3.8 : Trajectoire résidentielle
des ménages observée au niveau des strates de la ville de
Niamey
Il faut rappeler que dès la deuxième
étape migratoire, la strate 2 prend le rôle de pôle
d'accueil des ménages niaméens. Mais, les installations dans la
strate 1 demeurent encore significatives. Cette tendance se maintient jusqu'au
quatrième quartier d'habitation. A travers cette trajectoire
résidentielle, il convient de noter que la strate 3 n'a jamais
été un pôle d'accueil pour les ménages de la ville.
Ce qui fait qu'elle est appelée à se densifier en même
temps que la strate 4 dont les quartiers naissent surtout du fait de la
spéculation et du rythme effarant des lotissements donnant lieu à
un tissu urbain lâche. De ce dernier résulte un étalement
urbain dont l'impact sur la situation et les conditions résidentielles
des ménages est évident.
Notons qu'à la fin de leur trajectoire
résidentielle intra-urbaine, les ménages se concentrent dans les
strates 1 et 4. Le retour dans la strate 1 se constate pour certains
ménages à partir de la sixième étape de leur
trajectoire résidentielle ; il s'agit de ménages qui n'ont
pas pu arriver jusqu'au bout la mobilité résidentielle
ascensionnelle qu'ils ont amorcée depuis 20 voire 30 ans de vie à
Niamey. Quant au huitième quartier d'habitation, il concerne surtout les
ménages qui n'ont pas réussi à accéder à la
stabilité résidentielle ; il s'agit de ménages
pauvres dont les conditions sociales sont en dégradation ou demeurent
inchangées. Pour eux, la tendance est de retourner à la case de
départ qui est le centre ville. Ce retour ne marque pas un processus de
gentrification en ce sens qu'il n'est pas opéré par des
ménages de la classe moyenne mais bien par de ménages en
situation de précarité qui ne peuvent qu'accéder aux
logements vétustes du centre ville. Or la gentrification
suppose une transformation de l'habitat du centre ville de taudis en quartier
résidentielle souvent appelé `cité'. Nous sommes, dans ce
cas de figure, en présence de ménages dont la mobilité
résidentielle subit des contraintes liées aux difficultés
d'évoluer vers la propriété faute d'une mobilité
sociale ascensionnelle. Les causes de leurs déménagements
résultent plutôt de leur insolvabilité s'ils sont
locataires, de la ruine de leur logement, de la volonté de retour du
propriétaire dans son logement, etc. A propos des contraintes
liées à l'accès à la propriété,
Sidikou dénonce dès 1980, une injustice qu'il décrit en
ces termes : « l'accession à la
propriété comporte bien des écueils que franchissent
seulement quelques rares privilégiés, toujours les mêmes
qui s'accaparent les terrains à bâtir alors que la grande
majorité des Niaméens sont condamnés à être
des éternels locataires aux conditions difficiles voire
humiliantes»
D'ailleurs, les contraintes dans la décision
s'observent à toutes les étapes de la trajectoire des
ménages niaméens. Aussi, leur installation dans les strates de la
ville relève-t-elle, en grande partie, de l'opportunité de
logement que du choix. Car, 68 % des installations sont dus aux
opportunités contre seulement 22% dont la décision émane
d'une raison liée au choix.
Nous entendons par opportunité tout accès au
logement qui ne relève pas du choix du ménage : être
hébergé dans une famille, avoir accès à un logement
gratuit, habiter dans un logement familial, accepter un logement qui n'est pas
convenable aux aspirations du ménage. L'installation par
opportunité n'est pas celle qui conduit à l'accès à
la propriété. Pire, elle ne conduit pas toujours à un
changement de statut d'occupation (le locataire reste locataire après le
déménagement), à une amélioration des conditions de
logement après un déménagement (pas de changement de type
d'habitat, pas changement de nombre de pièces du logement, pas
d'amélioration des équipements dans le logement) ou à
l'accès à un environnement souhaité (pas de changement de
type de quartier).
A l'inverse, l'installation par choix doit émaner
d'une volonté du ménage à n'occuper qu'un logement qui
convient à ses besoins et à ses exigences qui peuvent être
l'accès à la propriété, l'accès à un
logement convenable (commodité, nombre de pièces
nécessaires au ménage), la localisation et le type de quartier
à habiter (quartier résidentielle, quartier
périphérique, etc.). L'installation par choix correspond à
une mobilité sociale et résidentielle ascensionnelle
contrairement à l'installation par opportunité qui coïncide
avec une mobilité sociale et résidentielle stable ou descendante.
Qu'elle soit ascensionnelle ou descendante, la mobilité
résidentielle peut s'accompagner d'un changement de statut matrimonial
chez une personne.
Pour les chefs de ménage, ce statut évolue de
celui de célibataire à celui de marié ; à cet
effet, on enregistre presque autant de célibataires que de mariés
parmi les chefs de ménage arrivant à Niamey (49 et 48 %) mais la
tendance sera marquée par une augmentation rapide du nombre de
mariés. A partir du sixième quartier d'habitation, plus de 3/5
des chefs de ménage sont mariés. Il arrive que le statut
matrimonial du chef de ménage évolue à celui de polygame.
Dans tous les cas de figure, le ménage ainsi fondé peut
revêtir des caractéristiques complexes au cours de son
évolution. En effet, autant que le ménage évolue dans
l'espace urbain, sa taille, sa structure sont aussi sujettes à des
modifications. Ainsi, le ménage niaméen qui ne compte qu'en
moyenne 4 personnes dans le premier quartier d'habitation, enregistre une
augmentation de sa taille qui atteint en moyenne 5,8 personnes au niveau du
quatrième quartier et jusqu'à 6,8 au sixième (cf.
tableau 3.5).
|
Quartier1
|
Quartier2
|
Quartier3
|
Quartier4
|
Quartier5
|
Quartier6
|
Quartier7
|
Quartier8
|
Taille
|
4
|
4,9
|
5,4
|
5,8
|
6,4
|
6,8
|
5,3
|
6,5
|
Tableau n°3.5: Evolution de la taille du ménage
pendant sa trajectoire résidentielle intra-urbaine
A partir du sixième quartier, on constate que la taille
du ménage fléchit et baisse de 6,8 personnes à 5,3 au
septième quartier avant de remonter à 6,5 personnes en moyenne au
niveau du huitième quartier. La baisse de la taille du ménage
à partir du sixième quartier d'habitation s'explique au fait
qu'à ce niveau la plupart des enfants ont quitté le ménage
parental suite à un mariage ou suite à une simple
décohabitation. Dans ce cas, le ménage ne s'alimente que de
collatéraux parmi lesquels on note les petits-enfants.
En dehors du premier quartier, on remarque que la taille du
ménage est assez élevée dans les autres étapes de
la trajectoire ; l'enquête montre qu'il y a des ménages de
plus de 30 personnes. Ce qui ne semble pas être adapté à la
vie urbaine surtout qu'il s'agit, le plus souvent, de ménages modestes.
On voit que l'idée de la famille nombreuse tant prônée en
campagne survit encore en ville alors que l'évolution de la taille du
ménage n'est pas toujours accompagnée d'une évolution du
logement, notamment en termes de nombre de pièces ; en
conséquence, on assiste souvent à une promiscuité au sein
des logements.
S'agissant de l'évolution du type de logement au cours
de la trajectoire résidentielle des ménages de Niamey, on note
une régression du banco au profit de l'habitat de cour en dur. En effet,
dans le premier quartier habitation, 50 % des ménages ont vécu
dans une maison en banco contre 34 % dans une maison dur. Mais, dès le
deuxième quartier d'habitation, les ménages vivant dans l'habitat
en dur deviennent plus nombreux. D'ailleurs, à partir du
troisième quartier, plus de la moitié de ménages vivent
dans l'habitat en dur tandis que la proportion de ceux qui vivent dans
l'habitat en banco à tendance à diminuer comme on peut
l'observé sur la figure suivante.
Figure n°3.9 : Evolution du type de logement au
cours de la mobilité résidentielle du ménage à
l'intérieur de la ville de Niamey
Au niveau du septième quartier d'habitation, 64 % des
ménages habitent dans une maison en dur contre seulement 14 % vivant
dans une maison en banco et autant dans une villa. Dans le dernier quartier
constituant la fin du parcours résidentiel à la date de
l'enquête, les ménages vivent presque exclusivement dans l'habitat
en dur et dans une moindre mesure dans l'habitat en banco. Aussi, 3
ménages sur 4 vivent-ils dans l'habitat construit en dur et seulement 1
sur 4 dans l'habitat en banco. Les ménages vivant dans l'habitat en
banco sont ceux qui ont dû effectuer le retour aux zones d'habitat plus
centrales de la ville, faute d'une mobilité résidentielle
ascensionnelle. C'est en effet dans ces zones qu'on relève une
prédominance de l'habitat de cour en banco. Pour les ménages
enregistrés dans l'habitat en dur au niveau du huitième quartier
d'habitation, ils se rencontrent plutôt dans les dernières strates
de la ville. Quant aux autres types d'habitat tels que la case et la baraque,
ils sont d'une proportion marginale.
En somme, on note une amélioration du type de
construction du logement du ménage qui passe du l'habitat en banco
à l'habitat en dur en passant par le semi-dur ; cette
amélioration du type de construction ne traduit pas une
amélioration du statut d'occupation du ménage. Aussi,
l'évolution du statut d'occupation du ménage, au cours de sa
trajectoire résidentielle, paraît-elle peu reluisante.
En effet, cette évolution ne mène pas la plupart
des ménages à la propriété à la fin de leur
trajectoire mais les gardent plutôt dans la location. Ce qui fait que les
locataires qui constituent 40 % des ménages au premier logement, voient
leur taux passer à 64 % au niveau du septième quartier.
Figure n°3.10 : Evolution du statut d'occupation
du ménage au cours de sa mobilité résidentielles
intra-urbaine à Niamey
Quant à ceux qui sont devenus propriétaires,
même si leur taux a doublé du premier au septième logement,
ils ne forment que 1/5 des ménages (21 %) à l'avant
dernière étape de la trajectoire résidentielle. On compte
parmi ces ménages beaucoup d'ayants droit qui deviennent
propriétaires non pas suite à un parcours migratoire
ascensionnelle personnelle mais seulement par héritage. Cela s'observe
surtout dans les quartiers centraux comme Liberté et Lacouroussou. Le
maintien de la plupart des ménages dans la location et dans une moindre
mesure dans le logement gratuit relève du fait que ces ménages
n'ont pas joui d'une mobilité sociale ascensionnelle. Le pire est que
certains d'entre eux ne travaillent pas la même strate où se
trouve leur lieu d'habitation. Ce qui leur impose beaucoup d'investissement
dans le transport pour joindre domicile et lieu de travail.
La profession des chefs de ménage de Niamey au premier
quartier se présente comme suit : 6 % de sans emploi, 36 %
d'artisans et commerçants, 4 % d'ouvriers, 12 % de cadres moyens, 11% de
cadres supérieurs, 1 % de retraités, 1 % d'indépendants, 8
% de femmes au foyer et 19 % d'étudiants. Cette répartition
dominée par les artisans et commerçants va évoluer au
cours de la trajectoire résidentielle des ménages.
Figure n°3.11 : Mobilité
socioprofessionnelle du chef de ménage au cours de sa trajectoire
résidentielle à Niamey
Comme il est aisé de l'observer sur la figure 3.11, au
fur et à mesure que leur trajectoire se prolonge, la part des artisans
et commerçants tend à baisser tout comme celles des
étudiants. En revanche, la part des cadres supérieurs, des cadres
moyens et des femmes au foyer a tendance à croître. Ainsi,
à partir du cinquième quartier, on remarque que ce sont les
cadres supérieurs qui deviennent plus nombreux au lieu des artisans et
commerçants. La part de ces derniers qui est de 36 % au premier quartier
baisse à 29 % au cinquième quartier et à 25 % au
huitième. Alors que la part des cadres supérieurs passe de
seulement 11 % des chefs de ménage au premier quartier à 31 % au
niveau du cinquième quartier et à 50 % au niveau du
huitième. Cela veut dire que les ménages, qui présentent
la plus longue trajectoire, sont surtout ceux dont le chef est un cadre
supérieur. Il s'agit de gens qui n'ont pas leur lieu de travail dans la
même strate. En conséquence, il leur arrive de parcourir de longue
distance pour joindre lieu de résidence et lieu de travail.
Figure n°3.12 : Localisation du lieu de travail
du chef de ménage selon les étapes de sa trajectoire
résidentielle intra-urbaine
Cela est d'autant vrai qu'au niveau de toutes les
étapes de la trajectoire résidentielle, le lieu de travail des
chefs de ménage se trouve concentré au centre ville. Il en
résulte un décalage très fort entre lieu de travail et
lieu d'habitation pour ceux qui habitent la périphérie et la zone
intermédiaire. Ce décalage pose, avec acuité, la question
de transports urbains plus efficients.
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