4.1. Modes de transgression de la règle : les
processus psychologiques en jeu
Le discours sur la transgression de la règle, s'il tend
à être unanime, n'implique pas cependant que toutes les
transgressions soient identiques les unes aux autres, ou qu'elles
émanent toutes d'un seul et unique processus psychologique. C'est dire
que le fonctionnaire qui transgresse une règle éthique peut
passer par des états psychologiques distincts.
Klesis (2011) par exemple, distingue
généralement deux modes de transgression d'une règle. Dans
le premier mode, le fonctionnaire est conscient de sa conduite non
éthique ; cependant, il persiste car, pour lui, le jeu semble
valoir la chandelle, soit en raison de l'importance du gain résultant de
la transgression, soit parce que le risque de détection de cette
transgression est faible. Dans le second mode, le fonctionnaire n'a pas
conscience d'enfreindre une règle éthique. Dans ce cas, il agit
sans mauvaise intention. Toutefois, il existe en effet un continuum entre ces
deux extrêmes: la conscience n'est pas totalement exclusive et, une
transgression peut être plus ou moins consciente.
Au-delà de ces deux modes généraux de
transgression, l'auteur distingue deux sous catégories de transgression,
la première : le fonctionnaire se doute du caractère
inapproprié de son action, mais la situation est plutôt confuse
pour qu'il puisse finalement se convaincre de son admissibilité. Le
processus psychologique à l'oeuvre est décrie comme une
duperie de soi. En la matière, le fonctionnaire manifeste un
doute quand au caractère inapproprié de son action ; cette
incertitude entre ensuite en conflit avec le désir que son action soit
juste et appropriée. Il s'en suit la recherche d'un indice montrant que
son action est appropriée, suivi de l'augmentation de la
pondération de cet indice à travers un raisonnement partisan.
Vient finalement la phase où l'agent arrive à se convaincre que
son action est simplement appropriée et donc conforme à
l'éthique.
A propos de cette progression de l'état psychologique
Elster (2007) estime que la duperie de soi n'implique pas «
l'adhésion simultanée à deux croyances
contradictoires, l'une consciente et l'autre inconsciente. Lorsque
l'évaluation initiale des probabilités est remplacée par
une autre, la première disparaît pour de bon plutôt que
d'être simplement reléguée à l'inconscient
». La transgression reposant sur la duperie de soi semble de ce fait
ressembler à une transgression inconsciente, quoiqu'elle émane
d'un cheminement psychologique plus tortueux, où le désir que
l'action soit appropriée entre en conflit avec le doute du fait qu'elle
le soit.
En ce qui concerne la deuxième sous-catégorie,
elle prend corps là où le transgresseur contredit les principes
de l'éthique mais, se convainc qu'en cas de détection, il pourra
la présenter d'une façon admissible. Dans ce cas, le processus
psychologique part du point où l'individu sait que son comportement est
inapproprié et que le risque de détection est bel et bien
réel. Aussi, est-il conscient du fait qu'il pourra présenter son
action comme conforme à l'éthique en cas de détection. De
là, il s'en suit une minimisation du risque de sanction qui est
quasiment perçu comme négligeable. Mais, ce cas de figure est
typique de situations ambiguës et complexes autorisant des
interprétations diverses. Pour Hood (2010), il s'agit de situations
où les acteurs ont accès à différentes «
stratégies présentationnelles ». Dans ces conditions, le
fonctionnaire peut par exemple nier qu'une action non éthique ait eu des
effets néfastes, insister sur ses aspects positifs ou nuancer
l'implication directe de l'action non éthique dans la survenue de la
conséquence néfaste. Il s'agit, plutôt d'une forme de
transgression consciente, mais impliquant cette fois la duperie
d'autrui.
De cette présentation des modes de transgression de
l'éthique, il ressort que compte doit être tenu de cette
variabilité et des processus psychologiques distinctement à
oeuvre pour réguler efficacement les comportements non éthiques.
C'est dire qu' « On ne prévient pas en effet les
comportements répréhensibles d'une seule et même
façon, peu importe le processus qui les produit ».
|