II.2.4. Innovation et
renouvellement permanent : les enjeux d'une nouvelle culture(UNESCO, 2005,
p.60)
La grande nouveauté de notre monde contemporain est la
valorisation sans précédent de l'inédit, du changement, du
nouveau. La transformation l'emportesymboliquement sur la permanence, la
rupture sur la continuité, serait-ce au prix parfois de
l'instabilité et d'un sentiment d'insécurité. Aujourd'hui,
le règne de l'éphémère et la valorisation de
l'esthétisme vont de pair. De plus en plus d'activités humaines,
et cela jusque dans la sphère économique, sont pensées sur
le mode de l'esthétique et de la créativité plutôt
que sur celui de la reproduction et de la continuation.
De même qu'au XIXe siècle on est passé
d'une économie de la demande, fondée sur le besoin, à une
économie de l'offre, reposant sur la loi des débouchés,
aujourd'hui le nouveau, le surprenant et le « magique » sont devenus
des marchandises réelles, qui produisent la valeur ajoutée.
Telle qu'elle s'exprime actuellement, cette valorisation
sociale de l'innovation pour elle-même est souvent déstabilisante,
et le spectre d'une frivolité un peu vaine finit par hanter nos
sociétés nourries de spectaculaire. Pourtant, la culture de
l'innovation n'est pas un simple phénomène de mode. Pour bien
comprendre ce qu'elle recouvre, le modèle de la créativité
artistique est particulièrement éclairant.
On constate en effet que, sous l'effet conjugué de la
mise en réseaux, de la globalisation et de l'essor des nouvelles
technologies, la créativité elle-même connaît des
bouleversements sans précédent. Avec l'inflation du
préfixe « post » dans le discours contemporain (qui
caractérise par exemple la prééminence d'une conception de
l'art « postmoderne »), c'est la conception essentialiste de
l'être humain qui tire sa révérence. Désormais, la
créativité annexe des champs nouveaux que l'on pourrait qualifier
« d'anthropo-poïétiques » : l'homme tend à se
créer lui-même, avec tous les risques que cela comporte, bien
résumés par la crainte, exprimée par certains experts, de
l'avènement d'une « post-humanité ».
Que le propre de l'homme soit désormais lisible dans
son génome souligne le caractère éminemment politique des
choix auxquels il setrouve confronté. L'innovation et l'invention
sortent ainsi du culte médiatique de la vitesse et de l'inouï pour
devenir la condition d'une maîtrise du futur de nos
sociétés, mais aussi de notre espèce.
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