1.2.2.2.2. Les obstacles juridiques indirects
Nous traiterons ici de la prolongation du monopole
conféré par le brevet du fait des certificats
complémentaires et de l'absence de dispositions dites "Bolar".
a) La prolongation due au système des certificats
complémentaires
Comme nous l'avons vu précédemment, et
conformément au droit commun, les brevets d'invention sont
délivrés pour une période de vingt ans à compter du
jour du dépôt de la demande114. Mais les laboratoires
pharmaceutiques jugent ce temps insuffisant lorsqu'il s'agit d'un brevet
revendiquant un nouveau médicament. Ils estiment en effet que la
durée réelle d'exploitation du monopole n'est que d'une dizaine
d'années, en raison du temps nécessaire à l'obtention de
l'autorisation de mise sur le marché du médicament (AMM) qui
demande, pour une nouvelle molécule, en général huit
à douze ans115.
113 Cf. E.Berthet, « Les obstacles juridiques à
l'essor des génériques », op. cit., p. 19.
114 Article L. 611-2 alinéa 1 du Code de la
propriété intellectuelle et article 63 alinéa 1 de la
CBE.
115 Il faut compter 8 à 12 ans à partir du
début des essais jusqu'à l'obtention de l'AMM.
L'industrie pharmaceutique se voit donc pénalisé
par rapport aux autres secteurs de l'industrie qui bénéficient
d'une protection effective de 17 à 19 ans.
Le profit tiré de leur monopole ne couvrant qu'une
durée équivalente à la moitié de ce qui est
prévu par le droit commun, l'industrie pharmaceutique considère
qu'elle ne parvenait pas à bénéficier d'un retour sur
investissements suffisant pour lui permettre de poursuivre des recherches
véritablement innovantes.
Eu égard à cette situation, ce sont
interrogés sur la nécessité de prolonger la durée
effective conférée par le brevet, aux innovations
pharmaceutiques.
« Afin de régler ce problème
spécifique à l'industrie pharmaceutique, les Etats-Unis et le
Japon ont adopté, respectivement en 1984 et en 1988, un
aménagement de leur législation nationale relative à la
protection conférée par le brevet, en allongeant la
période de protection corrélativement au temps nécessaire
aux procédures non productives (AMM) »116.
En France117, il a été
instauré un nouveau titre de propriété industrielle
permettant une prolongation du monopole des monopoles brevetés : le
"certificat complémentaire de protection". La loi du 25 juin 1990
instituant ce certificat précise qu'elle a pour objet « de rendre
identique pour les médicaments et les autres produits la durée
effective de la protection assurée par les brevets ».
Par la suite, la communauté européenne «
désireuse de prévenir une délocalisation de la recherche
vers les pays tels que les Etats-Unis ou le Japon où la période
de protection est prolongée, a institué par un règlement
communautaire en date du 18 juin 1992118, un certificat
communautaire complémentaire de protection119. Celui-ci
instaure une durée de protection uniforme, qui contribue à
favoriser la libre circulation des médicaments au sein de la
communauté européenne.
La loi française de1990 a été
abrogée de fait le 1er janvier 1993 par l'entrée en
vigueur du règlement communautaire.
116 Cf. C.D. Garcia, Le médicament, Thèse de
droit privé, Collection Thèses, Les Etudes Hospitalières,
Bordeaux-Centre, 2001, p. 346.
117 La loi française n° 90-510 du 25 juin 1990
tendant à rendre identique, pour les médicaments et les autres
produits, la durée effective de protection assurée par les
brevets, JO, LD, 27 juin 1990, pp. 7488-7489 ; PIBD 1990, 483, I-75.
118Règlement n°1768/92, 18 juin 1992,
concernant la création d'un certificat complémentaire de
protection pour les médicaments, J.O.C.E. n° L-182, 2 juillet 1992,
p.1.
119Voir à ce sujet J.F. Bloch, P.Schmitt,
« Le certificat complémentaire de protection institué par le
règlement n°1768-92 du 18 juin 1992 », Gaz. Pal. 24-25 octobre
1993, Doct.2.
L'intérêt pour un laboratoire pharmaceutique de
bénéficier de cet intérêt supplémentaire est
évident dans la mesure où elle confère les mêmes
droits que ceux attachés au brevet. Mais l'octroi de ce droit constitue
un frein à l'essor des génériques.
b) La prolongation du monopole des brevets due à
l'absence de dispositions " Bolar" dans la législation française
L' "exemption Bolar" est une politique qui permet aux
fabricants de génériques de préparer la production et les
procédures réglementaires avant que les brevets n'expirent, de
façon à ce que les produits puissent être prêts
à la vente dès la fin du brevet, au lieu de devoir entamer une
longue procédure préparatoire seulement une fois le brevet
expiré. Bien que Bolar soit une caractéristique commune du droit
des brevets dans beaucoup de pays (tels le Canada et les Etats-Unis), il
n'existe pas dans l'UE.
Dans l'UE, le travail de développement et de test
exigé pour déposer une demande ne peut avoir lieu qu'après
l'échéance du brevet, ce qui aboutit à un retard d'environ
2 ans. Plus généralement, les travaux de développement et
la première série de fabrication sont menés en dehors de
l'UE, là où il existe des dispositions de type Bolar, et les
médicaments génériques sont importés peu
après l'échéance du brevet120.
Nous pouvons donc remarquer que ces obstacles à
l'entrée des génériques sur le marché, s'ils
protègent les intérêts des firmes pharmaceutiques de
marque, sont parfois inefficaces. Du coup, vu les enjeux, les laboratoires
pharmaceutiques ne vont pas hésiter à entrer dans des conflits
juridiques afin de préserver à tout prix leur monopole. Nous le
verrons dans le chapitre suivant.
120 C'est ici le lieu de faire remarquer que les exemptions
Bolar sont en conformité avec les règles de l'OMC sur les aspects
commerciaux des droits de propriété intellectuelle (TRIPS)
proposition de réforme de la Commission.
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