2.2.2.2. Les limites du droit d'accès au
médicament
Si l'Etat français reconnaît juridiquement
l'existence d'un droit d'accès au traitement médicamenteux, il
faut néanmoins souligner que ce droit, dans la réalité,
s'accompagne, pour reprendre la formule de M. Mourgeon, d'un «
régime de surveillance restrictif »70.
67 La consommation pharmaceutique des ménages
français représentait, en millions de francs constants, pour
1970 : 21 842 ; 1975 : 36 285 ; 1980 : 44 887 ; 1985 : 66 997
; 1990 : 99 099 ; 1995 : 126 325. (Source : ECO-SANTE France - CREDES).
68 C. Le Pen, E. Levy. Op. cit. p. 1.
69 R. Launois. « Qu'est ce que la régulation
médicalisée ? ». In Actes du colloque CREDES-CES « De
l'éconolie aux politiques de santé ». Paris, 16, 17, 18
décembre 1992, Publiée par SNIP-Editions John Libbey, p. 12.
70 MOURGEON (J.), Les droits de l'homme, Paris, P.U.F. coll. "Que
sais-je ?" 6° éd. 1996 p. 90.
La jurisprudence de la Cour de Cassation donne d'abord une
lecture stricte de l'article
L. 162-17 du Code de la sécurité
sociale71. La Haute juridiction a cassé les jugements des
tribunaux des Affaires sociales ou des cours d'appel ayant autorisé pour
un patient déterminé, en raison de la situation
particulière dans laquelle se trouvait placé le malade, le
remboursement de certains produits non inscrits sur la liste des
médicaments remboursables. Ainsi, dans l'arrêt de sa chambre
sociale du 6 janvier 198872, la Cour de Cassation, après
avoir rappelé le principe de l'inscription obligatoire sur la liste des
médicaments remboursables, casse l'arrêt de la Cour d'appel de
Saint-Denis de la Réunion qui avait imposé le remboursement de
produits diététiques, seuls produits permettant d'assurer la
survie d'un enfant atteint d'une maladie grave et rare. La rareté de
cette maladie expliquait pour la Cour d'appel qu'aucun produit de nature
à y remédier ne soit inscrit sur la liste des médicaments
remboursables, ce qui entraînait des "discriminations entre les
individus, privant du droit aux soins les porteurs de maladies rares". La n'a
pas voulu suivre la Cour d'appel sur le terrain d'une équité
juridiquement difficile à fonder, et rappelle « qu'il n'appartient
qu'au législateur et à l'autorité réglementaire de
fixer les conditions de prise en charge » des frais pharmaceutiques
médicaux.
Pour la Cour, ni le principe de "la plus stricte
économie"73, ni celui de l'équité ne sauraient
fonder une conception extensive du droit d'accès au traitement
médicamenteux et justifier l'extension du remboursement à des
produits non inscrits sur la liste des spécialités remboursables
par le pouvoir réglementaire74. Le juge suprême
étant lié par le dispositif légal d'inscription sur la
liste des médicaments remboursables, il est donc très souvent
amené à se calquer sur la position adoptée par
l'administration sanitaire et sociale. Le droit d'accès au traitement
médicamenteux semble donc être strictement entendu, de sorte qu'il
ne saurait être étendu au-delà de la limite que fixe le
pouvoir réglementaire. Le principe de remboursement qui masque
généralement les difficultés des populations à
accéder aux traitements médicamenteux trouve ici ses
réelles limites.
On se rend compte que, plus les médicaments seront
chers, moins ils seront remboursés, et moins les populations auront
accès aux soins notamment les personnes en situation de
précarité. Ce qui pose d'ailleurs un problème
éthique et social très important.
71 L'article L.162-17 du Code de la sécurité
sociale pose le principe fondamental selon lequel "les médicaments
spécialisés, visés à l'article L. 601 du Code de la
santé publique ne peuvent être pris en charge ou donner lieu
à remboursement par les caisses d'assurance maladie que s'ils figurent
sur une liste établie dans les conditions fixées par
décret en Conseil d'Etat".
72Cass. soc. 6 janvier 1988, pourvoi n°
85-18.219, Caisse générale de sécurité sociale de
la Réunion c/M. Chatelain
73 Principe qui implique l'évaluation du "du non
coût" résultant d'un choix thérapeutique donné.
74 Voir : Cass. soc. 11 juillet 1991, pourvoi n° 89-19.115,
C.P.A.M. de la Manche c/Mme. Josselin
Le déremboursement est donc de loin la solution
adéquate pour résoudre l'équation de la constante
augmentation des dépenses de santé. Il serait alors
intéressant d'explorer d'autres terrains.
L'hypothèse des génériques nous semble
apporter une solution pertinente qui tienne compte du double souci de l'Etat de
maîtriser les dépenses de santé tout en assurant
l'accès aux soins des populations. Ces équivalents
thérapeutiques aux produits originaux dont le brevet est arrivé
à échéance et proposés à un prix plus
compétitif seront au centre de nos réflexions dans la seconde
partie de notre travail.
PARTIE 2 : LE DROIT A L'ÉPREUVE DES FAITS :
LA SOLUTION DES GÉNÉRIQUES FACE AUX PROBLÈMES
SOULEVÉS PAR LES MÉDICAMENTS SOUS BREVET ET
SES IMPLICATIONS EN DROIT
Les dépenses de médicaments progressent à
un rythme élevé : depuis 1990, elles ont plus que doublé.
Les Français sont parmi les plus grands consommateurs mondiaux de
médicaments (3 milliards de boîtes consommés par an, soit
un peu moins d'une boîte par personne et par semaine)75.
Cependant, les patients souffrent d'un accès encore insuffisant à
certaines innovations. Chaque année sont mis sur le marché des
médicaments apportant des améliorations majeures. Ces produits
sont de plus en plus coûteux : la recherche est longue et hasardeuse, les
techniques employées de plus en plus sophistiquées, le nombre de
patients pouvant bénéficier peut être
faible76.
Les médicaments génériques, à la
croisée de l'ensemble de ces problématiques, ont suscité
beaucoup d'attentes. Le développement du générique en
France a longtemps été freiné par le système de
régulation du marché et par une réticence des pouvoirs
publics en la matière. Mais depuis 1996, ces derniers ont mis en oeuvre
des mesures qui ont permis au générique de conquérir des
parts de marché significatives. Il existe cependant des incertitudes sur
l'avenir de cette politique, qui devrait néanmoins être
poursuivie. Le générique contribue en effet à stimuler
l'innovation et à maîtriser les dépenses mais il ne
constitue qu'un instrument parmi d'autres. Notre analyse dans cette partie
portera d'une part sur l'enjeu que constituent les génériques
pour le système de santé français et les obstacles qui
entravent son développement. Nous finirons notre étude par une
confrontation de l'intérêt des patients et celui des laboratoires
pharmaceutiques.
Face à une augmentation sans cesse croissante des
dépenses pharmaceutiques et le peu d'efficacité des
mesures77 adoptées pour y remédier, une solution
paraît incontournable : le recours aux génériques.
75 Source : CNAM, Etude GENERICAM les chiffres-clés des
médicaments génériques remboursés par le
régime général en 2000 et en 2001.
76 Par exemple, le traitement par le Glivec revient à
30 000 par an (pour la leucémie myeloïde chronique) par patient,
Kineret utilisé dans la polyarthrite rhumatoïde se situe au
même niveau de coût, le traitement par l'Herceptine pour certaines
formes de cancer du sein coûte plus de 12 800 ...
77 Il s'agit des mesures prises pour résorber les
déficits de l'assurance maladie. Ces mesures ont été
principalement comptables (tendant à modifier la
rémunération des professionnels de santé si cette
activité dépasse un plafond de dépenses de santé
défini a priori), ou financières, c'est-à-dire à
visée budgétaire. Quant à la politique du
médicament, elle a surtout eu recours au prix, au taux de remboursement
et de plus en plus au déremboursement.
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