1.2.1.1.3. Les solutions adoptées quant à la
protection du médicament par brevet
Comme nous venons de le voir, deux positions se
dégagent de la question de la brevetabilité du
médicament.
D'une part, on peut soit penser qu'il est fondamental de
protéger la recherche pharmaceutique et dans ce cas, il paraît
nécessaire, de reconnaître la brevetabilité du
médicament.
D'autre part, si on pense au contraire qu'il est essentiel de
préserver les intérêts de la santé publique, il peut
paraître souhaitable d'éviter la création de monopoles sur
les produits pharmaceutiques utiles à la santé publique. Dans ce
dernier cas où la brevetabilité du médicament ne semble
pas envisageable, il est cependant possible de prévoir que le
procédé de préparation du médicament soit ou non
brevetable. Mais cette possibilité a été
écartée par plusieurs Etats20 qui ont estimé
que cette protection tronquée était encore excessive et risquait
de nuire aux intérêts de la santé publique ; ils ont ainsi
prévu que, dans le domaine du médicament ni le produit, ni le
procédé ne seraient brevetables21.
Par conséquent certains pays refusent toute protection
au médicament ; d'autres lui accordent une protection limitée en
décidant que le médicament n'est pas brevetable, alors que le
procédé est admis à la brevetabilité ; et d'autres
enfin admettent la brevetabilité du médicament et son
procédé d'invention.
Avec la Convention de Munich au plan européen et
récemment l'Accord sur les ADIPIC dans le cadre de l'OMC, on tend
aujourd'hui vers une harmonisation des législations nationales. Cette
harmonisation a conduit presque tous les Etats du monde entier à
reconnaître la brevetabilité du médicament mais avec des
restrictions au profit de la santé publique qui diffèrent d'un
Etat à un autre. Cette solution finalement adoptée ayant pour
objectif de concilier les deux intérêts en présence
à savoir : protéger la recherche pharmaceutique et
préserver la santé publique ne reste pas sans poser des
problèmes réels d'accès aux médicaments. Voyons
à présent ce qui se passe en France, seul pays à avoir
instauré dans le passé un titre spécial de protection du
médicament.
20 On peut citer comme exemple : le Japon, l'Allemagne, l'Italie,
les Pays-Bas etc.
21M. DE HAAS, Brevet et médicament en droit
français et en droit européen, LITEC, Paris, 1981, p. 62.
1.2.1.2. La situation en France
Il faut ainsi rappeler que, pendant plus d'un siècle,
en France et dans de nombreux pays européens, le médicament n'a
pas pu faire l'objet d'une protection par brevets22. Une loi de
184423, adoptée en suivant l'avis des pharmaciens et contre
celui des chimistes, excluait les préparations thérapeutiques des
objets susceptibles d'être brevetés. La principale raison
avancée était la crainte de voir le médicament
breveté monopolisé par un fabricant tout en recevant une sorte de
label officiel.
Entre la fin du XIXè siècle et les années
50, des débats récurrents ont ainsi opposé les industriels
fournisseurs de " préparations " et les professionnels de la
santé, en particulier les pharmaciens d'officine. Les uns mettaient en
avant la juste rétribution de l'inventeur, la pureté chimique
croissante et la reproductibilité de leurs produits. Les autres
invoquaient la nécessité du jugement professionnel des
procédés et de l'efficacité des médicaments, les
risques que représentaient pour la santé publique les
intérêts commerciaux24.
La multiplication des médicaments de synthèse
produits par les grandes entreprises a fini par avoir raison de ces
oppositions. Après 1945, le statut du médicament a
progressivement été aligné sur celui des autres biens
industriels. Malgré cette évolution, la spécificité
des molécules d'intérêt médical n'a pas totalement
disparu : diverses formules de compromis entre les exigences de la
propriété industrielle et celles de la santé publique ont
été avancées. En France, dans les années 50, on a
par exemple établi un " brevet spécial du médicament
"25. Dans ce cadre, l'Etat se donnait le droit, lorsque
l'intérêt collectif l'exigeait, d'imposer au titulaire d'un tel
brevet l'octroi de licences ou des modifications des conditions
d'exploitation.
22Cf. J. Azéma, Existe-t-il encore une
spécificité du brevet pharmaceutique ?, JCP, 1990,
éd. E., II, 15744, p. 254.
23 Loi du 5 juillet 1844 excluant de la protection par brevet
« les compositions ou remèdes de toute espèce ».
24 Lire à ce sujet.), Le droit des brevets,
Dalloz, Paris, 2005, p. 43.
25 VIVANT (M.), LEMAY (R.), Les médicaments :
particularités du brevet, Droit social, 1971, n1.
1.2.1.2.1. Le Brevet Spécial de Médicament et sa
réforme
Si les procédés de préparation des
produits thérapeutiquement actifs sont brevetables en France depuis
194426, le médicament est devenu effectivement brevetable
pour la première fois, d'une part, par l'ordonnance du 4 février
195927 et, d'autre part en conformité des dispositions du
décret du 30 mai 1960, relatives au nouveau titre créé, le
brevet spécial de médicament (BSM).
Le législateur, dans l'ordonnance
précitée, a choisi à l'époque de créer un
titre spécial28 qui tienne compte du particularisme du
médicament pour préserver les intérêts de la
santé publique. « Le médicament ne peut être
assimilé à tous les produits de l'industrie ; sa qualité,
son prix intéressent la santé publique et ne peuvent être
abandonnés au seul mécanisme du marché29
». C'est pourquoi l'article 603 du Code30 d'alors pose le
principe d'un brevet spécial de médicament, en habilitant les
pouvoirs réglementaires à apporter au régime de la loi du
5 juillet 1844 les aménagements qui pourraient sembler
utiles.31
Le législateur de 1959, en refusant de faire entrer le
médicament dans le droit commun des brevets a cependant reconnu la
nécessité d'une protection et a ainsi créé un titre
spécial qui répond à des règles
particulières formulées par décret.32
26 Loi du 27 janvier 1944.
27 Ordonnance n° 59-250 du 4 février 1959.
28 L'article 5 de cette ordonnance du 4 février 1959
est rédigé ainsi : « Ne sont pas susceptibles d'être
brevetés :
1) Les compositions pharmaceutiques ou remèdes de
toute espèce sous réserve des dispositions relatives aux brevets
spéciaux de médicament et à l'exclusion des
procédés, dispositifs st autres moyens servant à leur
obtention ;
2) Sans changement ».
29 Motifs que les rédacteurs de l'ordonnance du 4
février 1959 ont invoqués pour créer le BSM
30 Cet article L. 603 du Code de la santé publique
dispose que : « Les brevets spéciaux d'invention seront
accordés à tout demandeur pour des médicaments par le
ministre chargé de la propriété industrielle. Les
décrets en Conseil d'Etat prévus à l'article L. 605
ci-dessous pourront établir des règles particulières aux
brevets spéciaux de médicament : ils devront notamment
prévoir la délivrance d'un avis documentaire sur la
nouveauté. Cet avis sera susceptible d'opposition de la part des
bénéficiaires et des tiers intéressés.
Les droits attachés aux brevets spéciaux de
médicament ne sont pas opposables à la fabrication de produits
pharmaceutiques sous forme de préparations magistrales ».
31 Il s'agit de deux aménagements énoncés
par la loi elle-même. Le premier de ces aménagements était
l'institution d'un avis documentaire sur la nouveauté qui devait
permettre aux tiers, à la lecture du brevet publié, de
connaître l'art antérieur susceptible de porter atteinte à
la validité du titre. Le second aménagement consistait dans une
procédure permettant au gouvernement de faire échec à
l'exclusivité conférée à son détenteur par
un brevet de médicament chaque fois que la mise du médicament
à la disposition du public ne se faisait pas dans des conditions
satisfaisantes, soit parce que l'inventeur tardait à exploiter son
invention, soit parce qu'il ne produisait pas sur une échelle suffisante
ou encore si sa production laissait à désirer en qualité
ou en prix.
32 Décret du 30 mai 1960 pris en application de
l'ordonnance n° 59-250 du 4 février 1959. L'article 3 de ce
décret est fondamental pour ce qui concerne l'objet même du brevet
spécial de médicament. D'après cet article, « Et
susceptible d'être valablement breveté, comme médicament
nouveau, tout produit et toute substance ou composition conforme à la
disposition de l'article L. 511 du Code de la santé publique,
présenté pour la première fois comme possédant en
thérapeutique humaine des propriétés curatives,
La France était en 1960 dotée d'un
système à deux types de brevet ; elle a été le seul
pays au monde à avoir réalisé un tel système dans
le but de préserver les intérêts de la santé
publique33. Mais les choses ont vite évolué. Ce statut
particulier fait au médicament s'est révélé
néfaste lorsque s'est développée une véritable
activité industrielle pharmaceutique et qu'il est devenu
nécessaire, dans ce domaine plus encore que dans d'autres, d'encourager
la recherche. Le brevet est alors apparu comme le moteur irremplaçable
du développement de la recherche et l'indispensable instrument de sa
protection34. Ainsi, à partir de 1968, les lois modernes
reconnaissant la brevetabilité du médicament ont supprimé
le BSM et admis ce dernier dans le droit commun tout en lui reconnaissant
certains particularismes juridiques.
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