IV- LE SÉCHAGE
Face aux conditions climatiques et au contexte
socio-environnemental, les populations n'ont eu de cesse de faire usage d'une
stratégie ancestrale héritée de leurs ascendants. Il
s'agit du séchage des aliments. Cette technique constitue le principal
moyen de conservation des produits agricoles. Il permet de réduire les
pertes après-récoltes, mais aussi les coûts de transport et
autorise ainsi une commercialisation au-delà des frontières
nationales. Pour les consommateurs et pour les négociants, il
accroît la disponibilité et la régularité des
produits sur le marché. Pour les producteurs, il permet d'augmenter les
revenus et de mieux les répartir dans le temps.
Puisque le climat ne favorise pas la conservation des
produits à l'état frais dans la région du Nord, beaucoup
de produits sont séchés afin d'être conservés. C'est
le cas de certains légumes, du gombo, de la tomate, du piment
(tatassé)... Leur durée de vie est plus longue et ils
constituent, à n'en point douter, de précieuses réserves
pour les populations en temps de crise alimentaire. Le soleil facilite cette
technique qui ne coûte pas grand-chose aux paysans sauf quelques efforts
physiques. Il suffit par exemple pour l'oignon qu'il soit découpé
en fine lamelles ou en echalottes et de les sécher sur une natte pendant
quelques journées au soleil. Le foléré sert non seulement
à la fabrication du jus, mais encore à préparer des sauces
qui sont consommées de préférence avec du couscous
maïs.
Même la production animale n'échappe pas
au séchage. Les populations ont eu l'ingénieuse idée de
faire sécher la viande qu'elles ont baptisé (( kilishi
». Il se définit comme (( la viande séchée
en feuilles au soleil et assaisonnée
»90.
Assurée par les hommes, l'activité de
production de kilishi est le domaine resrvé de la tribu haoussa. De
religion musulmane, cette ethnie semble s'identifier par cette pratique
traditionnelle de transformation de la viande. Les acteurs se
répartissent dans des tranches d'âge couvrant trois
générations, avec une prédominance de la tranche comprise
entre 20 et 40 ans. Nous n'avons recolté aucune information
précise qui justifie pourquoi cette activité est et reste la
chasse gardé du genre masculin. Nous en déduisons donc, au vu de
quelques indications et du constat fait sur le terrain, que étant
donné que c'est essentiellement l'homme qui s'adonne à
l'élevage du bauf qui est la principale matière première
du kilishi, il est donc bien placé pour manipuler cet animal. Par
ailleurs, la pénibilité du travail et la division sociale du
travail dans cette région font en sorte que les femmes n'ont ni les
moyens, ni le temps de se lancer dans la production de kilishi. Les hommes
préfèrent leur laisser le monopole de la distillation du bili
bili pour qu'elles les laissent tranquiles dans la production du
kilishi.
Quant à la prépondérance des
haoussas sur le circuit de la production du kilishi, c'est parce que c'est un
peuple de pasteurs nomades et qui a, au fil des générations,
appris à apprivoiser et à conserver sa source de vie.
L'atelier de kilishi est en général
situé en bordure de route, le plus souvent à la
périphérie d'un marché ou d'une zone commerciale. Il est
construit en briques de terre et peut être une location ou une
propriété familiale.
90 Christian SEIGNOBOS, Henry
TOURNEUX, op.cit., p.118.
Feuilles de viande séchées au
soleil Photo Alain Christian ESSIMI BILOA
La viande de bauf est la principale matière
première du kilishi, les muscles utilisés étant
exclusivement le filet, le faux-filet et la cuisse. L'absence de tendon dans
ces muscles apparaît comme le critère primordial dans le choix du
muscle. A ce critère, s'ajoute la teneur en lipide du muscle. Les
producteurs recherchent, dans l'ensemble, une viande grasse qui ne soit pas
pour autant du tissus adipeux. Celui-ci doit être éliminé,
au même titre que les tendons, lors de l'opération de nettoyage de
la viande. En conséquence, la vainde destinée au kilishi doit
être tendre et pas maigre.
La viande de bauf est priviligiée pour la
production du kilishi par rapport à d'autres viandes comme celle du
mouton parce que, d'après les producteurs, elle est de meilleure
qualité, est plus résistante et a meilleur goût que les
autres. De plus, elle se conserve plus longtemps. La durée de vie en
moyenne de kilishi est de 6 mois minimum. Cependant, il nous a
été fait part du fait que si un kilishi a été bien
fait et est conservé dans des conditions optimales c'est-à-dire
de temps en temps exposé au soleil, il peut mettre un année
entière et même plus. A ce qu'il paraît, le kilishi est
comme le vin : il se bonifie avec le temps.
L'approvisionnement en viande se fait
généralement chez le boucher ou à l'abbatoir municipal.
L'achat est réalisé à chaque production , et se fait le
matin, ce qui justifie que les opération de transformation commencent
toujours après 9h du matin, période à laquelle les
carcasses sortent de l'abbatoir. Les opérations unitaires les plus
significatives de la production sont le débitage, le séchage,
l'enrobage et le rôtissage.
Le débitage de la viande est l'opération
clé qui consiste en un déroulage parallèlement aux fibres
d'un morceau de viande prélablement découpé en
parallélépipède. L'opération de déroulage
nécessite un couteau fin et tranchant et prédétermine le
rendement de la production en terme de nombre de feuilles de kilishi. En effet,
ce déroulage permet de passer d'un morceau d'environ 5cm
d'épaisseur à des lamelles d'environ 1 à 2 mm
d'épaisseur. L'irrégularité de l'épaisseur des
feuilles associée à l'apparition intermittente de trous,
apparaît comme le critère par lequel se juge l'habileté du
dérouleur. C'est pourquoi cette opération est
généralement effectuée par les membres les plus
expérimentés de l'atelier, voire le patron
lui-même.
Après débitage, les feuilles de viande
fraîche subissent un premier séchage, variable selon les
producteurs. Les plus anciens, attachés à la tradition
séculaire de production de kilishi, préfèrent un
séchage-fumage au feu doux, pendant une nuit entière, suivi, le
lendemain, d'un séchage 3-4h au soleil ; lequel semble surtout
destiné à éliminer ou chasser l'odeur de la fumée.
En saison pluvieuse, en raison de l'irrégularité du soleil, le
séchage par l'intermédiaire du feu est une voie obligée
pour tous les producteurs. Dans ce cas, les lamelles ne sont pas fumées
directement, mais tout simplement étalées sur une natte
placée dans une cuisine chauffée au feu de bois.
Les feuilles de viande séchées sont
ensuite enrobées par un cocktail d'ingrédients dont la matrice
est la pâte d'arachide partiellement délipidée,
étendue à l'eau et contenant du sel et des épices dont les
principaux sont : l'oignon, le ndjindja, le cube maggi ou le clou de girofle,
la « massoro ». Le piment fait également partie des
épices majeures, avec la particularité que son utilisation est
différenciée selon qu'on a affaire à un kilishi
pimenté ou non-pimenté. Certains producteurs ajoutent diverses
écorces et graines aromatiques (kimba, passakori,
koullah...).
Les feuilles enrobées subissent un second
séchage, pendant 2 à 3 heures au soleil lorsque celui-ci est
disponible, ou, le cas échéant, au feu doux, avant d'être
éventuellement rôties rapidement (2 à 5 mn) au feu de bois.
C'est au cours de ce rôtissage que se développe, en principe,
l'arôme du kilishi.
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