V- LES AUTRES STRATÉGIES
MATAPIT Othon a vu juste lorsqu'il pense que :
« les populations du Nord sont plus réceptives aux techniques
de vilgarisation et aux innovations technologiques que partout ailleurs.
»
Ainsi, lorsque les foulbés l'ont introduit dans
la région, ces populations n'ont pas hésité à
adopter le mil de sécheresse par rapport aux multiples avantages qu'il
est susceptible de présenter. Nourriture de base de la population, il
joue un rôle important dans leur vie sociale et religieuse. C'est en
fonction de lui que sont élaborées les systèmes agricoles.
Il est en outre le pivot autour duquel gravitent les rites agraires ; et les
greniers à mil constituent l'élément dominant dans les
enclos familiaux. Les champs de mil constittuent l'élément
dominant des paysages agricoles, même comme il fait face à une
cocurrence farouche du coton.
La multiplicité des formes cultivées de
mil est un des traits originaux de la céréaliculture. Il y a deux
grands types de mil : ceux de saison de pluie et ceux de saison sèche.
Les premiers suivent le cycle habituel des cultures pratiquées à
cette altitude : semés à l'arrivée des pluies en avril et
juin, ils sont récoltés à la fin de la saison pluvieuse ou
au début de la saison sèche. Les seconds sont cultivés sur
des sols à texture argileuse, appelés « kare »
(singulier « karal ») en fufuldé. Ils se
présentent parfois en culture de décrue. Semés en
pépinières, ils sont repiqués à la fin de la saison
des pluies et mûrissent en saison sèche, utilisant pour leur
croissance les réserves d'eau retenues dans le sol.
Pour BOUTRAIS,
« Alors que les mils de saison des pluies,
auxquels conviennent la majoritédes sols, sont cultivés dans
toute la région, la culture des mils de saison sèche
est
conditionnée par la présence des
kare, c'est-à-dire des vertisols lithomorphes ou hydromorphes ; les
premiers, formés sur roches grenues, sont situés sur des
interfluves aplanis, les seconds, sur matériaux alluviaux, occupent des
dépressions périodiquement inondées par les eaux de pluie
ou les déversements de fleuves. Ces deux types de vertisols sont
imbriqués avec d'autres sol sur une grande partie de la plaine, mais
sont absents dans la région montagneuse y compris des hauts-plateaux
encastrés entre zones accidentées.
C'est donc uniquement dans les plaines que les mils
de saison sèche peuvent être
cultivés»91.
91 Jean BOUTRAIS,
op.cit.
Avec leur cycle cultural décalé par
rapport aux autres cultures, ces mils présentent en effet
l'intérêt de ne réclamer la main d'auvre paysane
qu'après la période de grosse activité agricole. Ils
permettent ainsi un étalement des travaux, où l'on sait que la
concentration des activités pendant les quelques mois de saison
pluvieuse est le principal handicap dont souffre l'agriculture à cette
latitude.
Les mils de saison sèche sont des sorghos se
rattachant à deux grands groupes dénommés en
fufuldé « muskuuwari » et « babouri
», et comprenant chacun de nombreuses variétés. Il sont
repiqués fin septembre et récoltés en
février.
La culture du muskuuwari réclame des techniques
particulières par rapport au mil de saison pluvieuse et une main-d'auvre
importante. L'emploi systématique de manSuvres amène les
agriculteurs à s'endetter pour pouvoir repiquer à temps. Ils
peuvent emprunter auprès de « courtiers » ou de chefs
coutumiers, avec remboursement à la récolte en nature ou en
espèces, en revendant les bSufs achetés quelques mois plus
tôt. Quand les prix augmentent en période de soudure, ceux qui ont
les moyens de stocker (commerçants, fonctionnaires, chefs
traditionnels...) écoulent les céréales acquises à
bon compte.
. Le terrain est préalablement
débarassé totalement de sa végétation. Les plants
sont repiqués dans des trous creusés à l'aide de pieux et
remplis d'eau : long et pénible travail nécessitant une main
d'auvre abondante. Les travaux d'entretien sont par contre assez
réduits, les sarclages sont inutiles. Lorsque le grain mûrit, il
est fortement exposé aux dégâts causés par les
oiseaux ; et des guetteurs chargés de les effrayer se postent parfois
dans les champs. Ceux-ci, pour cette raison, sont toujours regroupés,
formant de vastes étendues dont le vert contraste en saison sèche
avec la brousse avoisinante brûlée par le soleil.
HAMITI TIZI confirme que
« quand on travaille le muskuuwari en saison
sèche on fait souvent les champs côte à côte. Comme
ça, quand le mil est déjà mûr, on envoie souvent les
enfants les surveiller parce que comme les oiseaux aiment ça, il faut
toujours les chasser sinon il vont tout manger. Les enfants les chassent avec
les cailloux ou bien il font beaucoup de bruits en criant ou en tapant sur les
trucs pour que les oiseaux là fuient. Parfois aussi on fait les
épouvantails et quand les oiseaux voient ça ils croient qu'il y a
quelqu'un et ils passent. Mais dès que ces oiseaux voient que ça
ne bouge pas, tant pis ils vont entrer dans le champ et faire les
dégâts. »
Le muskuuwari peut être cultivé de
longues années de suite sans épuiser le sol. Le plus souvent, il
revient chaque année aux mêmes emplacements, mais il peut alterner
avec le coton sur certains vertisols lithomorphes assez bien
drainés.
Au niveau de l'exploitation, chaque famille cultive
simultanément plusieurs parcelles de mil de saison des pluies,
réparties entre ses membres, tandis que le muskuuwari se présente
sous forme d'un seul grand champ. Le développement du muskuuwari a
transformé la physionomie agricole des plaines de la région et a
facilité l'essor de la porduction cotonnière ; mais il ne peut
plus se poursuivre au même rythme, car l'on approche du terme où
toutes les réserves de kare disponibles vont être mises en
valeur.
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