III- LA CATÉGORISATION DES PRINCIPALES VICTIMES
DE L'INSÉCURITE ALIMENTAIRE
Il apparaît primordial de préciser au
préalable, afin de lever toute équivoque qui se poserait, que
pendant les périodes à risque, l'insécurité
alimentaire ne fait pas une quelconque discrimination au sein des populations.
Elle frappe sans distinction de sexe, d'âge, de religion & Cependant,
cette insécurité alimentaire n'est pas vécue par tous au
même degré en fonction ou à cause du rang que certaines
couches sociales occupent sur l'échelle sociale ou sur la pyramide des
âges. Dans les paragraphes qui suivent, il est opportun de savoir
justement dans quelles mesures certains semblent plus vulnérables
à ce phénomène que d'autres.
III-1 Les personnes âgées (plus de 60 ans)
Cette catégorie a été
identifiée comme vulnérable dans la mesur où les personnes
âgées rencontrées estiment ne plus avoir suffisamment de
force pour cultiver la terre. Cela veut dire que ces personnes sont presque
improductives ; ce qui les met en situation de dépendance
vis-à-vis de leurs enfants ou d'une quelconque personne.
HABIBA, 62 ans, nous apprend que :
« Ça fait plus de 5 ans que je ne
travaille plus les champs parce que j'étais tombée malade et le
docteur m'a demandé de me reposer parce que je n'ai plus beaucoup la
force. Maintenant, je compte sur mes belles-filles pour manger chaque jour.
Comme mon premier fils a trois femmes, elles me donnent la nourriture chacun
à son tour. Je ne demande pas la nourriture parce que c'est mon enfant
qui les a dit de souvent me servir. Elles doivent seulement obéir leur
mari sinon elles auront les problèmes avec lui. »
Pendant l'insécurité alimentaire, ces
personnes valides dont dépendent les personnes âgées se
soucient en premier lieu de leurs progéniture avant de penser à
toute autre. Le plus souvent donc, on « oublie » de leur
servir un bol de riz ou de mil et se retrouvent entrain de dormir le ventre
vide. Tout ce qu'elles peuvent faire, c'est parcourir les maisons de leurs
enfants (pour ceux qui sont encore en mesure de le faire) ; ou encore envoyer
un enfant demander à manger pour eux dans les différents
concessions.
III-2 Les handicapés
On nomme handicap la limitation des
possibilités d'interaction d'un individu avec son environnement,
causée par une déficience qui provoque une incapacité,
permanente ou non et qui mène à un stress et à des
difficultés morales, intellectuelles, sociales et/ou physique. Le
handicap exprime une défience vis-à-vis d'un environnement, que
ce soit en termes d'accessibilité, d'expression, de compréhension
ou d'appréhension. Il s'agit donc plus d'une notion sociale et d'une
notion médicale.
Le mot handicap vient de l'expression anglaise
« hand in cap » ce qui signifie littéralement
« la main dans le chapeau ». Dans le cadre d'un troc de
biens entre deux personnes, il fallait rétablir une
égalité de valeur entre ce qu'on donnait et ce qu'on recevait :
ainsi, celui qui recevait un objet d'une valeur supérieure devait mettre
dans un chapeau une somme d'argent pour rétablir l'équité.
L'expression s'est progressivement transformée en mot puis
appliquée au domaine sportif (courses de chevaux notamment) au XVIII
ème siècle. En hippisme, un handicap correspondait à la
volonté de donner autant de chances à tous les concurrents en
imposant des difficultés supplémentaires aux
meilleurs.
Historiquement, le handicap se définissait par
opposition à la maladie. Le patient était malade tant que son
problème pouvait être pris en charge médicalement ; il
était reputé handicapé une fois devenu incurable. En 1980,
le britannique Philip WOOD a transformé radicalement la vision du
handicap en le définisssant comme un désavantage dont est victime
une personne pour accomplir un rôle social normal du fait de sa
déficience (lésion temporaire ou définitive) ou de son
incapacité (réduction partielle ou totale des capacités
pour accomplir une activité). Avec la parution de la Classification
Internationale du Fonctionnement, du Handicap et de la Santé (CIF,
CIH-2), l'OMS a introduit une nouvelle typologie du handicap qui prend plus en
compte les facteurs environnementaux. Le handicap peut y être
défini comme la rencontre d'une déficience avec une situation de
la vie quotidienne.
La loi française du 11 février 2005 portant
sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées stipule que :
« constitue un handicap, au sens de la
présente loi, toute limitation d'activités ou restriction de
participation à la vie en société subie dans son
environnement par une personne en raison d'une altération substancielle,
durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques,
sensorielles,
mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap
ou d'un trouble de santé envahissant. »
D'après la Classification Internationale des
Handicapés, on nomme handicapé « Toute personne
souffrant d'une déficience, aspect lésionnel, ou d'une
incapacité, aspect fonctionnel, qui limite ou interdit toutes
activités considérées comme normales pour un être
humain. »
La classification des divers handicaps distingue les
handicaps :
- physique : moteur et sensoriel ou relationnel
;
- mental : déficiences intellectuelles et
relationnelles durables ;
- associé ou multihandicap : cumul de plusieurs
handicaps ;
- polyhandicap : cumul de handicaps moteur, intellectuel
et de la communication.
Dans le cadre de cette étude, ce sont
principalement les handicapés moteurs et sensoriels qui ont retenu notre
attention ; parce qu'étant les plus visibles et ceux que nous avons le
plus rencontrés lors de notre séjour sur le terrain.
> Les handicaps sensoriels
La cécité et la surdité sont deux
déficits très différents entrainent de la part de
l'entourage des réactions diverses. Environ 100 millions de personnes
dans le monde sont touchées par ces déficits ,ais nous ne
saurions donner ne serait-ce une estimation de cette catégorie dans la
région du Nord, faute de statistiques disponibles auprès des
services sociaux ou de santé de la région. Qu'à cela ne
tienne, nous en avons vu un grand nombre déambuler dans les avenues, les
rues, les marchés ou devant les mosquées.
L'importance du déficit sensoriel amène
à créer des sous-catégories : c'est ainsi que l'on
distinguera de la cécité complète l'amblyoptie qui
correspond à une vision de moins de 4/10. La différence est
réelle puisque tout amblyopte (ou mal-voyant) peut en principe mener une
vie indépendante sans l'aide constante d'une tierce
personne.
Un autre aspect du handicap à prendre en compte
est sa date de survenue. On devra différencier cécité
congénitale et cécité acquise. Psychologiquement, les
aveugles-nés sont très différents des jeunes enfants
devenus aveugles après l'âge de trois ou quatre ans, alors qu'ils
avaient pu bénéficier d'acquisitions dans le domaine visuel. Ces
derniers, même lorsqu'ils n'ont pu conserver de souvenir visuel, sont
privilégiés par rapport aux aveugles-nés en ce qui
concerne
certains domaines de la connaissance, tel celui de la
représentation spatiale. Mais les aveugles tardifs peuvent en revanche
se trouver défavorisés par de grandes difficultés à
développer des moyens de compensation de leur infirmité (par
exemple l'apprentissage de l'écriture Braille). Il en est de même
chez les sourds et malentendants. Ceux dont l'infirmité a
été précoce souffrent de difficultés du
raisonnement et de la pensée abstraite qu'on peut raisonnablement
rapporter à la privation des communications par le langage.
> Les handicaps moteurs
Ils constituent une catégorie très
hétérogène puisqu'on y range les amputations, les
atteintes neurologiques centrales et périphériques, les
affections musculaires ou ostéoarticulaires. TIDJANI raconte que
:
« Pendant les fêtes de fin
d'année, mon fils Amadou a eu un accident de moto. C'était
tellement grave qu'on lui a amputé la jambe qui avait été
broyée lors de l'accident. Maintenant, il ne se déplace plus
normalement et ne peut donc plus nous aider à travailler au champ.
»
Diverses dans leurs origines, les déficiences
motrices le sont également par les réactions qu'elles suscitent.
A incapacité égale, le paralysé sentira planer autour de
lui une certaine méfiance, alors que l'amputé ne se verra pas
demander plus qu'il ne peut faire. Mais en contrepartie, il provoquera, plus
que le paralysé, un sentiment de gène et de malaise lié
à la mutilation et au symbolisme qui s'y rattache. Le malaise
vis-à-vis de certains handicaps moteurs naît aussi de la
méconnaissance des accidents neurologiques qui en sont la cause. Le
tableau de l'hémiplégie est relativement familier surtout chez le
vieillard hypertendu ; ou celui de la paraplégie, que la
fréquence des accidents de la circulation a rendu tragiquement quotidien
(causant des sections de la moelle épinière). De même les
séquelles de la poliomyélite sont facilement
identifiées.
Mais le public ne connaît pas les manifestations
cliniques des maladies dégénératives du système
nerveux central (telles les dégénérescences
spino-cérébelleuses DSC ou de l'infirmité motrice
cérébrale IMC. Les troubles de motricité volontaires sont
dus à une encéphalite de la petite enfance, à un
accouchement difficile, à une incompatibilité
sanguine.87
C'est peut-être à l'une des causes de ce
dernier groupe que la paralysie de SAMADINE est due. Nous pensons qu'elle a
très probablement été victime d'une DSC ou d'une IMC
bien
87 Guy DREANO, Guide de
l'éducation spécialisée, Paris, Dunod, 2002, p.25 et
svtes.
qu'elle avance une tout autre raison liée au
mauvais sort, à la sorcellerie ou à la mélédiction
tel que cela transparaît dans son témoignage :
« Mon père avait eu un problème
quand j'étais petite avec un éléveur parce que ses animaux
étaient venus manger la nourriture dans notre champ. Mon père l'a
accusé chez le djaworo et on lui a demandé de payer ce que ses
moutons avaient mangé. Il s'est fâché et a dit à mon
père que ça n'allait pas finir comme ça. Un jour, je me
suis couché et le matin, je ne pouvais pas me lever. On a tout fait.
Rien. Mon père a fait venir un marabout à la maison et c'est lui
qui a dit que c'est le type qui avait eu le problème avec mon
père qui m'avait lancé une malédiction et que lui, il ne
pouvait pas me guérir complètement parce que le gris-gris
était trop fort. C'est depuis là que mes pieds sont pliés
comme tu vois-là. »
A cause du handicap, les individus voient se
réduire inexorablement leur champ de mobilité. Ils sont quasiment
improductifs et vivent de ce fait aux crochets de ceux qui sont valides ; ou
simplement sont réduits à la mendicité. Il arrive que,
lorsque la personne handicapée devient une charge insupportable pour la
famille et que les disponibilités alimentaires sont réduites
à leur plus simple expression, ledit membre est progressivement
abandonné par les siens en étant privé de sa ration
alimentaire. Si la période difficile perdure et/ou se durcit, les
handicapés sont purement et simplement bannis et exposés à
toutes les conséquences dont il a été fait cas
antérieurement. Leur handicap les pénalise un peu plus parce que
c'est une souffrance à laquelle vient se greffer d'autres souffrances ;
s'amplifiant mutuellement.
ATTiTuDEs DEs AcTEuRs FAcE à L'iNsEcuRiTE
ALiMENTAiRE : LEs sTRATEGiEs DE LuTTE
DEuXiEME pARTiE :
Pour tous les acteurs concernés par
l'insécurité alimentaire, la lutte contre ce
phénomène apparaît comme une préoccupation vitale.
Les stratégies de gestion des situations de pénurie alimentaire
mises sur pied sont aussi bien formelles qu'informelles. Les stratégies
informelles sont celles qui reposent sur des arrangements entre individus ou
ménages ; ou qui font appel à des groupes tels les
communautés ou les villages. Les stratégies formelles quant
à elles font appel aux mécanismes de l'Etat et ceux des
organismes internationaux et autres ONGs. En l'occurrence, il s'agit dans cette
étude de la FAO et du PAM.
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