II-2 Les migrations des populations et les
transhumances
Les terres fertiles se faisant rares dans la
région du Nord, la partie dévolue à l'agriculture et
l'élevage connaît des problèmes de surpopulation. La
stratégie la plus fréquente est l'émigration vers d'autres
zones ou lieux, où des terres sont encore disponibles et la
pluviométrie plus favorable. Elle provoque chaque année dans les
terroirs d'arrivée des regains de tension pour la maîtrise de
l'espace entre agriculteurs migrants, chasseurs et éleveurs
itinérants. L'envoi de fonds par les migrants est indispensable à
l'équilibre financier des ménages des terroirs d'origine.
Localement, certaines activités commerciales souvent
gérées par les femmes (fabrication d'alcools, petits
élevages domestiques, etc.) fournissent des revenus monétaires en
partie destinés à assurer un minimum alimentaire.
84 HAVARD M., ABAKAR O.,
Bilan de la campagne agricole 2000-2001 dans les exploitations des terroirs de
reférence du PRASAC au Cameroun , IRAD/PRASAC, Garoua, 2001,
p.20.
Mais cette migration, ne résoud pas le
problème ; elle se contente de le déplacer ou de le retarder. A
titre d'illustrationn au plus fort de la crise alimentaire dans
l'Extrême-Nord, certaines personnes sont descendues dans la région
du Nord. Elles y ont même créé des villages comme celui de
Mafa-Kilda, situé non loin de Garoua, il y a près de 3
décennies. Ce village de migrants de l'Extrême-Nord est vite
arrivé à saturation ; des signes de dégradation des
ressources naturelles y sont désormais perceptibles. Comme les migrants
continuent d'arriver, les paysans repoussent toujours plus loin les limites du
terroir à la recherche de terres agricoles ; d'autres quittent le
village pour aller plus loin. On assiste ainsi à un flux migratoire
permanent.
Cette forte présence humaine exerce une
pression sur les terres agricoles qui ont déjà des
problèmes, parfois même avec une incidence significative sur les
aires protégées. Aussi, voit-on depuis quelques années la
disparition à petits pas les méthodes traditionnelles de mise en
repos qui permettait aux sols de reconstituer son potentiel de production. La
population qui pratique l'agriculture n'ayant pas de terre, développe un
comportement de refus de faire des aménagements (apport de la
matière organique) parce que pour elle, cette terre peut leur être
retirée.
Par ailleurs, l'exode rural, et majoritairement celui
des jeunes, fait en sorte que les terres sont abandonnées aux vieillards
qui n'ont plus assez de force pour cultiver sur de grandes superficies et de
manière régulière. Par conséquent, les
quantités produites demeurent insuffisantes et le spectre de
l'insécurité alimentaire ne cesse de planer sur la
région.
> Les transhumances
Du latin (( trans )) (de l'autre
côté) et (( humus )) (la terre, le pays), la transhumance
désigne la migration périodique du bétail de la plaine
vers la montagne et vice versa en fonction des conditions climatiques ou des
disponibilités alimentaires.
Comme nous l'allons démontrer plus loin dans
cette étude ( dans les stratégies de lutte contre
l'insécurité alimentaire, chapitre 3), en dehors de
l'agriculture, les populations de la région du Nord s'adonnent à
l'élevage. L'insécurité alimentaire et climatique pousse
parfois les pasteurs à se déplacer avec leurs bêtes. Avant
de nous apesantir sur les effets de cette transhumance, nous avons jugé
utile de revenir sur le cheptel de la région du Nord.
Les effectifs réels sont extrêment
difficiles à connaître avec certitude. Les chiffres fournis par le
MINEPIA, en l'absence de recensement récent (le dernier date de 25 ans),
se basent sur les animaux vaccinés ; et sont donc sujet à des
biais importants. Par expérience, nous savons que
généralement, les éleveurs
M'bororos ne font vacciner leurs animaux que tous les trois ans, et qu'ils sont
majoritairement dans le Mayo Rey et le Faro. Les éleveurs du Mayo Louti
sont majoritairement des agro-éleveurs pratiquant une intensification
qui les pousse à vacciner plus leurs bêtes. La
Bénoué possède les deux types d'éleveurs. En nous
basant sur les chiffres de l'étude de faisabilité du projet
d'hydraulique pastorale (PRCPB) et la vaccination 2001 contre la
péripneumonie contagieuse des bovins, nous arrivons à près
d'un million de têtes de bovins, et environ 900.000 ovins et
caprins.
Les surfaces pâturables sont estimées ainsi
qu'il suit :
Surface
|
Total
|
Inutilisable
|
Vivriers
|
Coton
|
Zic/parcs
|
Pâturables
|
Bénoué
|
13.614
|
2.264
|
2.104
|
366
|
3.397
|
5.483
|
Faro
|
12.028
|
2.767
|
249
|
15
|
6.851
|
2.146
|
Mayo Louti
|
4.162
|
707
|
1.177
|
182
|
0
|
2.096
|
Mayo Rey
|
36.524
|
4.648
|
598
|
310
|
19.400
|
12.168
|
TOTAL NORD
|
66.328
|
9.786
|
4.128
|
873
|
29.648
|
21.893
|
Tableau 4 : Estimation des surfaces pâturables
dans la région du Nord Sources : SODECOTON / Service régional
des projets, enquêtes et statistiques
agricoles du Nord / MINEPIA
Le tableau qui suit présente la production
potentielle de Matière Sèche (MS) en tonnes
DÉPARTEMENT
|
PARCOURS
|
RÉSIDUS AGRICOLES
|
TOTAL MATIÈRE SÈCHE
|
Bénoué
|
663.564
|
252.000
|
915.564
|
Faro
|
324.600
|
17.905
|
342.505
|
Mayo Louti
|
209.600
|
149.623
|
359.223
|
Mayo Rey
|
2.346.195
|
107.760
|
2.453.955
|
TOTAL NORD
|
3.543.959
|
527.288
|
4.071.247
|
Tableau 5 : Production potentielle de Matière
Sèche (MS) dans la région du Nord Sources : SODECOTON / Service
régional des projets, enquêtes et statistiques
agricoles du Nord / MINEPIA
Le potentiel global de la région du Nord
fournit des ressources permettant de nourrir un cheptel au moins aussi
important que celui estimé actuellement. Même si les
méthodes sont grossières dans l'estimation du cheptel, la
rareté de la ressource n'est pas avérée de manière
globale. La ressource est inégalement répartie dans l'espace de
la région et dans le temps. La matière sèche produite
n'est pas utilisée uniformément tout au long de l'année.
Les résidus de récolte le sont durant 3 à 5 mois et
l'utilisation des parcours dépend de la saison. Seule la transhumance
permet de s'adapter à cette disponibilité inégale de la
ressource et d'optimiser son utilisation. Le problème de l'alimentation
des ruminants dans la région du Nord est celui de l~accès
à la ressource.
Les exemples des migrations connues dans la
région ne sont pas le fait de la dégradation de la ressource,
mais le fait de sa disparition (mise en eau du barrage de Lagdo sur 70.000 ha),
ou de l'impossibilité soudaine d'y accéder (création ou
réactivation de zones de chasse). D'autres migrations se font pour fuir
les conflits avec les agriculteurs, ou les relations conflictuelles avec les
chefferies (arrondissements de Demsa, de Tchéloa ou de Bibémi).
Si l'insécurité pour l~accès aux pâturages devient
trop forte, de même que l'insécurité des biens, il y a
aussi migration (départements du Mayo Rey et de la Bénoué
dans sa partie Sud et Est).
Pour BOUTRAIS,
« les éleveurs ne possèdent pas
leurs pâturages et n'ont jamais l'assurance de pouvoir y rester
longtemps. L'incertitude foncière entrave tout investissement quelconque
des éleveurs, aussi bien dans leur habitat que dans leurs
pâturages. Régler le problème foncier des pâturages
représente le préalable indipensable à toute
amélioration de l'élevage traditionnel
»85.
Les buts du nomadisme et de la transhumance sont la
recherche de l'eau, de pâturages et de la sécurité. Le vrai
nomadisme tend à diparaître de la région. Il est le fait de
groupes M'bororos qui, pour la plupart, sont depuis au moins dix ans sur les
mêmes zones. Il y a une volonté massive et manifeste de se fixer
de la part de ces populations, qui se mettent majoritairement à
cultiver. Par contre, la transhumance est pratiquée à grande
échelle. Elle permet l'exploitation de pâturages qui ne peuvent
être occupés toute l'année du fait de leur
insalubbrité (présence de glossines), du manque de point d'eau
pour le bétail, de leur inondation en saison de pluies ou tout
simplement parce qu'il n'y a plus d'herbe. Dans la région du Nord, les
éleveurs transhument dans la vallée de la Bénoué et
du Mayo Kébi en saison sèche (la
85 Jean BOUTRAIS, Deux
études sur l'élevage en zone tropicale humide (Cameroun),
Bondy (France), Travaux et documents de l'ORSTOM, n°88, 1978.
transhumance vers le Mayo Kébi explique le
maintien d'une forte activité élevage dans le Mayo Louti). Un
autre mouvement fort se fait vers les pâturages du Faro et du Mayo Rey
voire de l'Adamaoua. Véritable paradoxe, une transhumance de l'Adamaoua
vers le Sud du Mayo Rey s'est mise en place ces dernières
années.
BOUTRAIS poursuit plus loin en affirmant que
:
« La transhumance est toujours active chez
les foulbés et les arabes choas. On peut estimer qu'elle mobilise chaque
année, environ la moitié de l'effectif total des bovins (..)
Quelques milliers de têtes de petit bétail y participent aussi ;
les troupeaux et les bergers qui les guident s'éloignent de leur habitat
principal soit pendant la saison sèche, moins pendant la saison des
pluies »86.
La transhumance obéit à une logique
d'utilisation optimale des ressources naturelles et des résidus de
récolte plutôt qu'à une stratégie de réponse
à une crise aiguë de raréfaction de la ressource. Une
étude de l'agence néerlandaise de coopération SNV
menée en 2000 montre clairement qu'il y a des espaces disponibles, que
la progression de l'agriculture ne se fait pas selon un front se
déplaçant vers le sud, mais qu'elle suit les voies de
communication.
Les conflits de plus en plus nombreux entre
agriculteurs et éleveurs ont pour source une absence d'organisation dans
l'occupation des terres qu'à une raréfaction de la ressource.
C'est le manque d'organisation dans cette occupation qui aboutit au gaspillage
de la ressource et qui rend son accès difficile.
Cependant, la recherche des pâturages par les
éleveurs est rendue difficile pour les raisons suivantes :
- la circulation des animaux rencontre de plus en plus
à cause d'une installation de l'agriculture qui prend peu en compte les
zones traditionnelles de pâturage et les pistes à bétail
;
- d'une année sur l'autre, l'agriculture occupe
souvent les lieux de résidence des éleveurs en voulant profiter
de la fumure ;
- les zones d'intérêt
cynégétiques (ZIC) et les parcs forment un véritable
barrage empêchant l'accès au sud de la région (Mayo Rey et
Faro) qui portent pourtant la majorité de la ressource ;
86 Jean BOUTRAIS,
op.cit.
- ni les chefferies ni l'Administration ne
garantissent l'accès à cette ressource ; des délimitations
de zones de pâturage avaient été faites dans les
années 60, mais elles ne sont plus respectées ; les
délimitations actuellement tentées rencontrent de grosses
difficultés de respect d'accords pourtant négociés
;
- l'insécurité des biens et des
personnes dans certaines zones fait qu'elles ne sont pas utilisées
;
- enfin, l'augmentation sans précédent
du coût des déplacements ou des séjours du fait de la
multiplication des communes rurales qui prélèvent des taxes de
manière non harmonisée et à des taux fixés
arbitrairement et les pratiques des chefferies qui, pour beaucoup, ont un
budget où la part de l'élevage est prépondérante,
font que les grands espaces sont délaissés.
Source : PAM
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