I-2-5 La sous-scolarisation
Historiquement, le Grand-Nord du Cameroun s'est
toujours présenté comme en retard par rapport au reste du pays
sur le plan scolaire. L'ancien président Ahmadou AHIDJO en faisait
déjà mention, à la veille du troisième plan en ces
termes :
73 Jean Pierre BIYONG BIYONG,
Pistes pour améliorer la sécurité alimemtaire dans le
Nord-Cameroun, Université de Liège, 2002, p.19.
74 Samuel NDEMBOU,
op.cit., p.52.
75 MOTAZE AKAM, op.cit.,
p.118.
« Au terme du deuxième plan, la
région Nord de notre pays demeure encore en retard sur le plan scolaire,
car la scolarisation n'atteint que 21 %. Ce troisième plan doit pouvoir
accélérer la scolarisation dans le Cameroun tout entier mais
porter celle du Nord à 50 % ».
Les données plus ou moins récentes que
nous présentons dans le tableau ci-dessous nous permettrons de
vérifier si le vSu d'AHIDJO a été exaucé et dans
quelle proportion. C'est pourquoi nous avons choisi de présenter les
données de l'ensemble du pays afin que la comparaison et les
déductions soient plus aisées.
RÉGION
|
TAUX NET DE SCOLARISATION (%)76
|
GARÇONS
|
FILLES
|
GARÇONS + FILLES
|
INDICE DE PARITÉ BASÉ SUR LE
SEXE
|
ADAMAOUA
|
83,46
|
68,93
|
76,47
|
0,83
|
CENTRE
|
87,33
|
92,15
|
89,63
|
1,06
|
EST
|
81,74
|
77,46
|
79,66
|
0,95
|
EXTREME-NORD
|
91,36
|
65,11
|
78,62
|
0,71
|
LITTORAL
|
61,64
|
67,86
|
64,56
|
1,10
|
NORD
|
80,53
|
66,23
|
73,59
|
0,82
|
NORD-OUEST
|
79,61
|
74,64
|
77,13
|
0,94
|
OUEST
|
81,34
|
79,51
|
80,41
|
0,98
|
SUD
|
81,17
|
83,51
|
81,76
|
1,04
|
SUD-OUEST
|
75,22
|
81,87
|
78,36
|
1,09
|
TOTAL/MOY.
|
80,76
|
75,44
|
78,18
|
0,93
|
Tableau 3 : Taux de scolarisation des
élèves du primaire 6-11 ans année scolaire
2006/2007. Source : Division de la planification des projets et de la
coopération du MINEDUB.
76 Le taux net de
scolarisation est la population effectivement inscrite dans le primaire, sur la
population scolarisable.
Ces statistiques nous permettent de faire les constats
suivants :
- le taux de scolarisation est allé
au-delà des espérances d'Ahidjo. Il a allègrement
dépassé les 50 % dont il rêvait à une époque.
Preuve que les directives qui avaient été données on
été respectées.
- Cependant, les jeunes filles du primaire de la
région du Nord sont les moins scolarisées du Cameroun. Même
l'indice de parité sur le sexe est presque le dernier du pays
(derrière les voisins de l'Extrême-Nord).
- L'écart entre les filles et les
garçons est très perceptible preuve que la jeune fille du Nord
n'a pas beaucoup de chances d'accéder à des postes de travail
offerts par l'administration et va majoritairement se retrouver dans le secteur
primaire (agriculture, pêche) et quelque peu dans le tertiaire
(commerce).
La sous-scolarisation apparaît comme un
élément favorable pour un certain nombre de raisons. Les
personnes qui ont peu ou pas du tout eu accès à une scolarisation
poussée ont rarement l'occasion de se frotter à une nouvelle
vision que la leur. Or, selon la sociologie dynamique de Georges BALANDIER, il
n'y a pas de statique sociale. Toutes les sociétés, comme les
faits sociaux, sont dynamiques, évanescentes, mutantes, changeantes ; en
perpétuelle construction, déconstruction et reconstruction, pour
parler comme Thomas KUHN. Cette évolution est possible avec le contact
avec des groupes, des civilisations, des entités
étrangères au groupe et chez qui on peut copier des points
positifs qui peuvent s'avérer nécessaires pour notre propre
évolution. En n'ayant pas accès à la civilisation
occidentale, les populations sousscolarisées se ferment l'accès
à quelques unes de leurs techniques et savoirs qui leur ont permis de
révolutionner leur agriculture et d'être presqu'en surproduction
au point de tranférer cet excédent aux zones en sous-production
sous forme d'aide alimentaire. La région du Nord en reçoit
constamment.
De plus, ces populations peuvent bien avoir la
volonté de s'arrimer à la modernisation de leurs activités
agricoles. Mais l'acquisition d'engins comme les tracteurs peut s'avérer
plus ou moins compliquée dans la mesure où ils manqueront de
l'expertise nécessaire qui leur permette de les conduire et de les
entretenir.
Les causes de la sous-scolarisation de la région
du Nord sont historiques et socioculturelles.
> Les facteurs historiques
La première école a été
implantée au Cameroun en 1844, à Bimbia, une région
voisine de Limbé, dans le Sud-ouest. C'était sous l'initiative du
pasteur Merrich, de la Baptist Missionary Society car, rappelons-le, l'auvre
scolaire au Cameroun est liée à celle des missionnaires
(protestants et catholiques). Au Nord-Cameroun, l'école fut
implantée en 1905, soit 61 ans après la toute première
école. « En effet, écrit DONGMO, l'enseignement
formel a été introduit au Cameroun du Sud vers le Nord et cette
région a été atteinte tardivement
»77.
La présence des missionnaires au Cameroun est
le fait de la colonisation. En dehors même de cette difficulté
pour l'école d'atteindre le Nord, la colonisation du Nord-Cameroun a eu
lieu bien après celle des autres régions ; compte tenu des
contacts plus faciles que les colons ont pu établir avec les populations
de la zone côtière. Une fois le contact établi avec le
Nord, le pouvoir colonial s'est appuyé sur les autorités
traditionnelles : celles-ci représentaient pour les colons le moyen
d'atteindre la population, la « courroie de transmission »
entre administration et population, et outil de diffusion de leur
politique. Mais ces chefs musulmans étaient pour la plupart hostiles
à l'école. Pour BOUTRAIS,
« la lenteur de la pénétration
de la scolarisation au Nord, élément majeur de toute
évolution sociale, est bien sûr l'effet de distance, mais elle a
été fortement aggravée par un fait historique : les
administrations coloniales allemandes puis françaises cherchent à
appuyer leur autorité sur les structures politiques musulmanes,
censées contrôler les masses païennes. Pour ne pas choquer
les convictions religieuses de ces précieux auxiliares, la province fut
donc pratiquement fermée aux missions chrétiennes jusqu'à
la deuxième guerre mondiale. Or, ce sont celles-ci qui ont, ailleurs
diffusé massivement l'instruction »78.
Peu ouvertes aux missionnaires, les autorités
traditionnelles musulmanes le furent aussi à l'égard de
l'école, ce qui occasionna une forte résistance face à
l'entreprise d'intégration du Nord-Cameroun au milieu éducatif
(scolaire) en y bâtissant des écoles. Ces résistances
prirent plusieurs formes : interdiction aux enfants et surtout aux jeunes
filles de se rendre dans les écoles, rejet de ceux et celles qui s'y
rendaient, rupture des contacts avec les responsables chargés d'encadrer
les enfants. Certains allaient jusqu'à cacher leurs enfants dans les
maisons ou
77 DONGMO, Evolution
récente de la scolarisation des jeunes dans l'Adamaoua ,
Ngaoundéré, Anthropos, revue des sciences sociales,
1996.
78 Jean BOUTRAIS,
op.cit., p.46.
les villages alentours puisque, faute d'effectif
élevé, les colons étaient obligés d'aller
eux-mêmes chercher les enfants dans leurs domiciles.
A ces facteurs historiques, viennent se greffer des
facteurs relevant du milieu social et culturel.
> Les facteurs socio-culturels
De nombreuses études on eu pour centre
d'intérêt la scolarisation au Nord-Cameroun. Et toutes s'accordent
sur un fait : les populations du Nord-Cameroun et particulièrement
celles qui sont d'obédience musulmane sont réfractaires à
la culture occidentale. Elles le sont encore plus en ce qui concerne
l'école. Cette position hostile est étroitement liée
à l'idée que ces populations se faisaient du milieu scolaire,
donc, à leur mentalité, leur façon de vivre, et leur
façon de voir les choses.
C'est ainsi que les habitants du Nord
développèrent des stéréotypes réfractaires
à la (( culture des blancs », la culture occidentale.
L'école fut perçue de façon péjorative, voire
négative par les chefs et les parents. Pour FOGUI, les autorités
traditionnelles (( ont ostensiblement tourné le dos à
l'école occidentale »79. L'école
était perçue par les peuples musulmans du Nord comme une
entreprise de déstructuration des valeurs essentielles d'une
société ; le vecteur d'une contre-culture. Envoyer son enfant
à l'école revenait donc à tourner le dos à la
tradition, aussi bien qu'à la religion.
Compte tenu de cet esprit qui sévissait
à cette époque, les milieux musulmans du Nord-Cameroun ont
longtemps été réfractaires à l'école
française, surtout les foulbés. Des pesanteurs au niveau des
mentalités ont considérablement retardé et obstrué
le processus de l'implantation de l'école occidentale dans ladite
région.
Astadjam YAOUBA affirme dans son mémoire que
:
(( Cette hostilité est encore plus grande
en ce qui concerne la jeune fille (cf. tableau ci-dessus). Rappelons
que la religion musulmane est fondée sur un certain nombre de principes,
qui vont du mode de conduite au mode vestimentaire. Les filles en effet,
doivent être voilées, ce qui n'est pas toujours pris en compte par
les responsables qui fournissent les tenues scolaires. Mais les arguments des
chefs et parents du Nord ne se limitent pas à la tenue que doit mettre
la jeune fille pour se rendre à l'école. C'est le système
scolaire tout entier qui est rejeté, car pour eux, il inculque des
façons de faire qui ne sont pas bonnes pour un enfant encore moins pour
une fille »80
79 J.P. LOGUI, op. cit.,
p.159.
80 Astadjam YAOUBA,
Enjeux et contraintes du développement local au Nord-Cameroun : le
cas des groupes d'initiative commune (GIC) dans la localité de Pitoa
, Université de Yaoundé I, 2007, p.43.
Cette vision négative de la culture occidentale
développée au Nord-Cameroun ne signifie nullement que l'Islam est
contre la science. Elle relevait de jugements hâtifs, de
préjugés à l'égard de l'école. C'est
pourquoi, après de nombreuses années, qui ont
nécessité beaucoup de tolérance, car rappellons-le, les
racines des préjugés sont profondes une certaine ouverture
d'esprit et de frontière, la situation commença à changer.
Un progrès dans les mentalités amena les parents à envoyer
leurs enfants s'instruire, sans pour autant que cette recherche de
l'instruction n'empiète sur les valeurs que prône leur
religion.
Le statut socio-professionnel des parents est aussi un
facteur déterminant de la scolarisation des enfants. Les enfants issus
de parents analphabètes ont tendance à fréquenter
davantage les milieux scolaires. Les parents en contact avec le milieu
professionnel sont également plus aptes à envoyer leurs enfants
à l'école, et les encourager dans leurs études puisque il
existe une corrélation entre d'une part l'analphabétisme ou non
des parents et la scolarisation des enfants et d'autre part, entre la
profession des parents et la scolarité des enfants.
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