B.L'allocation d'une redevance indemnitaire au minimum
Comme il a été vu plus avant, les tribunaux
français allouaient fréquemment à la victime de
contrefaçon n'exploitant pas son titre, ou ne l'exploitant pas
personnellement l'équivalent des redevances indemnitaires auxquelles il
pouvait prétendre. En revanche, le droit français, limité
par le principe de la réparation intégrale, ignorait la
possibilité d'allouer l'équivalent
124 H. Lécuyer, « L'indemnisation du préjudice
en matière de contrefaçon », Gaz. Pal., du 23 au 27
mars 2008, p. 13.
125 La directive et la loi française font en effet
mention du « préjudice moral causé au titulaire des droits
du fait de l'atteinte » qui doit être pris en compte pour le calcul
des dommages et intérêts. Cependant, un tel préjudice
entrait classiquement dans le calcul des dommages et intérêts au
titre de la perte subie, par exemple du fait des atteintes au droit moral en
droit d'auteur ou de la banalisation d'un produit ou d'une marque en
propriété industrielle... Pour un auteur « en le
mentionnant, la loi nouvelle se veut peut être pédagogue. Beaucoup
déploraient, en effet, que le préjudice moral fût trop
souvent oublié ou négligé. La référence
explicite qui y est faite dans le texte peut être vue comme constituant
une piqûre de rappel », H. Lécuyer, préc.
126 M. Cousté et F. Guilbot, « Réforme de
l'indemnisation du préjudice de contrefaçon en France : du jardin
à la française à l'Eldorado américain » ?
Propriété Industrielle, décembre 2007,
étude n° 26.
127 Selon l'expression de M. Cousté et F. Guilbot,
préc. en référence aux dommages et intérêts
punitifs (punitive damages) parfois pharaoniques alloués par les
tribunaux américains.
« Quelques réflexions sur les dommages et
intérêts punitifs en matière de contrefaçon »,
Cah. dr.
128 P. Kamina,
entr. 2007, n° 4, p. 35.
d'une telle redevance au titulaire qui exploitait son titre
mais qui ne pouvait démontrer le préjudice allégué.
Cette solution pouvait apparaître sévère pour le titulaire
qui, pour certaines raisons ne pouvait rapporter l'entière preuve de son
préjudice ou bien seulement pour un faible montant.
1.les modèles étrangers
Aux Etats-Unis, le titulaire d'un brevet victime de
contrefaçon peut naturellement tenter de prouver quel a
été son gain manqué. Cependant, s'il échoue dans
cette tâche, ou s'il prouve peu de pertes, la section 284 du Titre 35 du
USC129 lui octroie au minimum la redevance qu'il aurait pu
espérer si elle avait été normalement
négociée avec un licencié (reasonable
royalty)130. Son montant pourra être établi
à l'aide d'experts. Les Etats-Unis connaissent aussi les dommages et
intérêts forfaitaires (statutory damages), non
basés sur le prix d'une redevance, dans leur législation sur le
droit d'auteur et sur le droit des marques.
En effet, la loi sur le copyright de 1976 dispose que
pour chaque oeuvre contrefaite, le titulaire du droit recevra,
indépendamment de la quantité, une indemnisation allant de 500
à 20 000 dollars. Ce plafond peut s'élever à 100 000
dollars si le demandeur démontre une contrefaçon
délibérée (willfull violation) et le montant
plancher peut descendre à 200 dollars si le contrefacteur prouve au
contraire sa bonne foi (fair use)131. De plus, le demandeur
peut, à tout moment132, avant que le jugement ne soit
prononcé, choisir entre les dommages et intérêts
calculés sur une base réelle ou les dommages et
intérêts forfaitaires. En droit des marques, il en va de
même pour cette option depuis 1996 et le Lanham Act, la loi sur
les marques, énonce un barème prévoyant une somme minimum
de 500 dollars pour chaque marque contrefaite et un plafond de 100 000 dollars.
La bonne foi avérée du contrefacteur pourra ici aussi
réduire le montant plancher à 200 dollars.
L'Allemagne est aussi familiarisée depuis longtemps avec
la pratique des dommages et intérêts forfaitaires basés
sur le prix d'une licence, notamment pour la sanction de contrefaçons
de brevets. L'évaluation du profit manqué par le titulaire du
fait des actes de
129 Les initiales « USC » signifient « United
States Code » : code regroupant toutes les lois fédérales en
vigueur aux Etats-Unis. Les droits de propriété intellectuelle et
donc les dispositions concernant la contrefaçon sont
réglementés par des lois fédérales et figurent
ainsi dans ce code.
130 S. Roux-Vaillard, « Réparation et punition
sanction de la contrefaçon de brevet aux Etats-Unis et en France »,
Propriété Industrielle janvier 2004, p. 9
131 A-J. Kevrokian, « Réparation monétaire des
contrefaçons », USA, RIPIA 2000, p. 83.
132 Selon J.M Baudel, La législation des Etats-Unis
en matière sur le droit d'auteur, Frison-Roche, 1990, la loi de
1909 prévoyait que le juge choisissait lui-même d'accorder au
demandeur des dommages et intérêts calculés soit en
fonction du préjudice réel ou bien forfaitairement. Ce
système a été critiqué, la loi de 1976
réserve désormais ce choix au demandeur.
contrefaçon étant particulièrement
complexe, le droit allemand offre plusieurs alternatives, notamment la
possibilité pour le breveté de demander une redevance
adéquate plutôt que la détermination de son profit
manqué. Cette possibilité a été imposée par
la jurisprudence : reconnue dès le début du XXe siècle par
le Reichsgericht, la Cour suprême impériale allemande et
reprise par les décisions du
Bundesgerichtshof133.
Ce procédé demeurait donc inconnu du droit
français alors qu'il était pratiqué depuis longtemps dans
d'autres systèmes, ainsi un auteur écrivait dans un article paru
en janvier 2004 « un tel minimum légal n'existe pas en droit
français qui prévoit que tout le dommage mais rien que le dommage
doive être réparé »134.
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