2.L'introduction de la mesure dans le système
français
La directive du 29 avril 2004 dispose dans son article 13 a)
que lorsque les autorités judiciaires fixent les dommages et
intérêts, elles « prennent en considération tous
les aspects appropriés tels que les conséquences
économiques négatives, notamment le manque à gagner,
subies par la partie lésée, les bénéfices
injustement réalisés par le contrevenant et (...) le
préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de
l'atteinte ».
La loi française a été fidèle
à la directive, disposant que « la juridiction prend en
considération les conséquences économiques
négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie
lésée, les bénéfices réalisés par le
contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire du droit
du fait de l'atteinte ». D'emblée l'on remarque que cette
nouvelle mesure est d'un genre différent de celles
étudiées ci-avant pour les législations américaine
et allemande. En effet, il n'est pas question ici d'attribuer les
bénéfices réalisés par le contrefacteur au
titulaire de droits victime123. Ces sommes seront simplement
considérées pour calculer le montant des indemnités. Cette
nouvelle donnée pose toutefois problème dans son
interprétation. En effet, l'on peut se demander quel emploi les juges
feront de cette
121 P. Meier-Beck, préc. p. 13.
122 Décision publiée sous le titre «
Attribution des coûts fixes » (Gemeinkostenanteil), 145
BGHZ 366, 2001 GRUR 329, 33IIC 900 (2002).
123 Ce que l'on peut regretter, avec un auteur qui proposait,
en matière de brevet, d'ajouter au livre VI du CPI un article disposant
« Le propriétaire d'un brevet victime d'un acte de
contrefaçon est en droit d'obtenir, à titre de réparation
complémentaire de son préjudice, le bénéfice
intégral réalisé par le contrefacteur ». G. Triet,
«Indemnisation des préjudices en matière de
contrefaçon: les entreprises françaises sont insatisfaites»,
RIPIA, 2000, p. 94.
disposition. Dans la circonstance où le titulaire ne
parvient pas à prouver un préjudice élevé, les
juges s'en serviront probablement pour augmenter quand même
l'indemnisation. Cette solution serait donc contraire au principe de
réparation intégrale, principe phare du droit français de
la responsabilité civile qui, comme il a déjà
été signalé, pourrait donc être abandonné
dans une certaine mesure. Un auteur considère à ce sujet que
« La rupture est, en apparence, franche avec le droit commun. Il ne
s'agit plus de réparer le préjudice subi par la victime mais
d'accabler le contrefacteur »124 mais ajoute que «
la rupture pourrait bien être, cependant, plus apparente que
réelle. Il est vraisemblable que les juges du fond intégraient
cet élément dans la fixation des dommages et
intérêts qu'ils opéraient, assurés d'une relative
impunité compte tenu du contrôle classiquement discret de la Cour
de cassation ».
Pour d'autres auteurs « sans obligatoirement
l'égaler, l'évaluation des dommages et intérêts
devra désormais tendre vers l'addition du manque à gagner, des
bénéfices réalisés par le contrefacteur, du
préjudice moral125 et d'autres préjudices que le
demandeur aura pris soin de soulever »126. Cependant, l'on
peut douter que le système français devienne véritablement
« un Eldorado à l'américaine »127
grâce à la transposition de la directive. Ce texte, dans son
considérant 26 dispose que le but n'est pas d'introduire une obligation
de prévoir des dommages et intérêts punitifs. Surtout, le
rapporteur de la loi au Sénat s'est défendu d'introduire en droit
français de tels dommages et intérêts128.
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