II.Nouvelles mesures d'indemnisation introduites dans
le système français
La transposition de la directive du 29 avril 2004 a eu pour
conséquence d'introduire des mesures inconnues jusque là en
France mais déjà pratiquées à l'étranger. Il
sera question ici des deux principales innovations en cette matière, une
appréciation du préjudice prenant en compte notamment les
bénéfices réalisés par le contrefacteur (A)
alternant avec une évaluation forfaitaire imposant a minima le
prix d'une redevance indemnitaire (B).
117 B. May, « Améliorer l'indemnisation de la
contrefaçon : la loi ne suffira pas », préc, p. 9.
A.La prise en compte des bénéfices du
contrefacteur
1.Les modèles étrangers
Un certaine nombre de législations permettent à
la victime de contrefaçons de se faire attribuer les
bénéfices réalisés par le
contrefacteur118.
Aux Etats Unis, la loi de 1909 énonçait que
toute personne reconnue responsable d'une infraction à un
copyright devrait rembourser à son propriétaire les
dommages que celui-ci pouvait avoir subi du fait de cette atteinte, ainsi que
les bénéfices retirés de cette exploitation illicite. La
loi semblait donc permettre un cumul de ces modes d'indemnisation alors que
l'intention du Congrès était d'accorder alternativement l'un ou
l'autre type de dommages et intérêts. La jurisprudence fut
contradictoire sur ce point jusqu' à la loi de 1976. Ce texte vint
préciser que « l'allocation des bénéfices du
contrefacteur à la victime s'ajoute au remboursement du préjudice
subi par celle-ci, si ces profits ne sont pas pris en compte dans le calcul du
préjudice »119. De plus, cette loi a
précisé que le titulaire du copyright était tenu
de présenter des preuves relatives uniquement au revenu brut du
contrevenant, et que ce dernier devait apporter la preuve de ses frais
déductibles et des éléments de bénéfices
imputables à des facteurs autres que l'oeuvre protégée.
Un système similaire s'applique en droit des marques.
Le demandeur pourra démontrer quel a été le chiffre
d'affaires réalisé par le contrefacteur, notamment grâce
à la mesure de la discovery qui lui permet d'obliger le
contrefacteur à lui soumettre certains documents. Ce dernier aura alors
la charge de démontrer l'étendue des frais qu'il a engagé.
Les juges pourront ainsi apprécier dans une certaine mesure les
bénéfices effectivement réalisé par le
contrefacteur et en attribuer le montant au demandeur.
En revanche, le droit des brevets américains
n'indemnise pas la victime de la contrefaçon par la remise des
bénéfices du contrefacteur mais connaît une
possibilité pour le juge d'augmenter les dommages et
intérêts jusqu' à trois fois leur montant120.
En Allemagne le titulaire de droit de propriété
intellectuelle victime de contrefaçons, au lieu de tenter de
démontrer son gain manqué, pourra demander une redevance
raisonnable ou bien l'attribution des profits réalisés par le
contrefacteur. Cette possibilité est expressément prévue
dans les lois sur le droit d'auteur et sur les dessins et modèles. En
revanche, en droit des
118 Selon M. Véron, la France a également connu
un tel système en matière de brevets d'invention, jusqu'à
un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation intervenu en 1963. M.
Béhar-Touchais, « Comment indemniser la victime de la
contrefaçon de façon satisfaisante » ?, préc.
119 A-J. Kevorkian, préc. p. 83.
120 Paragraphe 2 de la section 284 du Titre 35 du USC.
brevets, cette solution est jurisprudentielle depuis une
décision de la Cour d'appel commerciale impériale allemande de
1874, régulièrement reprise par les juridictions depuis. Un
auteur explique à ce propos que « le contrefacteur est
assimilé à une personne qui aurait agi pour le compte du
breveté »121. Opter pour la remise des
bénéfices réalisés par le contrefacteur
n'était pas nécessairement la solution la plus
intéressante pour le titulaire de droits. En effet, d'une part la loi
allemande ne connaissait pas de mesure pour obliger le contrefacteur à
remettre certains documents au demandeur et d'autre part les tribunaux
permettaient au contrefacteur de déduire une large part de ses frais :
coûts fixes et coûts variables, réduisant souvent les
bénéfices à un chiffre dérisoire. Mais depuis une
décision du Bundesgerichtshof de 2001122 interdisant
au contrefacteur la déduction de ses coûts fixes, l'attribution
des bénéfices est devenue une option financièrement
intéressante pour la victime de la contrefaçon.
|