c) La spécificité de la question
adolescente
La terminologie classique « enfants de la
rue » manifeste, en soi, le peu de place accordée, au
phénomène de l'adolescence dans cette population
particulière, comme si un enfant de la rue devenait un adulte à
18 ans, sans jamais avoir été considéré comme un
adolescent. Pourtant, généralement la tranche d'âge
dominante chez les enfants de la rue est celle des 11- 16 ans, ce qui signifie
que, majoritairement, les enfants de la rue sont des adolescents de la rue.
ü Questions d'adolescence
L'adolescence se définit au regard d'une triple
acception :
· Une définition physiologique : la
puberté
· Une définition anthropologique et sociale :
la relation aux autres
· Une définition psychologique :
l'identité
Ces définitions cumulatives renvoient respectivement
aux questions suivantes que se pose l'adolescent :
· Que se passe-t-il dans mon corps ?
· A qui puis-je désormais en parler, en qui
puis-je désormais avoir confiance ?
· Que suis-je devenu ?
La caractéristique majeure et commune à ces
trois questions réside, pour le sujet qu'est l'adolescent, dans
l'ignorance des réponses et dans la nécessité de les
trouver ou de les inventer. En d'autres termes, l'adolescence est le moment
où le sujet essaie de conférer un sens au changement qu'est la
puberté.
L'adolescence est également un moment de rupture avec
la famille dans le sens d'une stratégie de rupture de l'enfant avec le
maternage. Toutefois, il ne s'agit pas, dans un contexte normal, d'une rupture
absolue mais d'une rupture pour une relance, pour une retrouvaille :
l'adolescent doit quitter la mère et le père tels qu'ils
étaient pour l'enfant et les retrouver tels qu'ils sont pour la
communauté, pour la société. En revanche, certaines
circonstances peuvent induire un caractère absolu à la
stratégie de rupture familiale de l'adolescence : ainsi la
maltraitance, par excès (violence physique) ou par défaut
(absence de soins, d'attention) constitue un facteur de risque certain au
regard d'une rupture sans relance, sans retrouvaille.
Cette quête de sens et cette stratégie de rupture
familiale peuvent être socialement encadrées, à l'instar
des rituels initiatiques qui marquent le passage de l'enfance à
l'adolescence : d'un produit familial, l'adolescent devient un sujet
social auquel sont conférés des droits liés à son
nouveau statut (notamment, écouter les ancêtres, se confronter aux
textes religieux, exercer une sexualité). Ces rites de passage
permettent à l'adolescent de répondre à sa question
identitaire et de faire la preuve de son droit à l'existence dans une
société donnée. En effet, à la différence de
l'enfant qui est théoriquement dans une situation de dû (il a le
droit à la sécurité, aux soins et à
l'éducation), l'adolescent doit désormais prouver ce qu'il est et
ce qu'il vaut, et ce, vis-à-vis des autres, c'est à dire en
dehors du groupe familial.
En l'absence de passage socialement organisé, la
question centrale de l'adolescence devient la suivante : à qui
l'adolescent doit il s'adresser pour comprendre les changements liés
à la puberté et faire preuve de son droit à l'existence en
tant que sujet social ? Une question qui revêt naturellement une
importance accrue lorsqu'il s'agit d'un adolescent de la rue.
Les trois questions fondamentales de l'adolescence (le corps,
la relation aux autres, l'identité) ont une résonance
particulière pour les adolescents de la rue, compte tenu de leur
histoire familiale, de leur situation et de leurs stratégies de
survie.
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