d) Les conduites d'exposition
au risque
En ce qui concerne la question du devenir du corps à la
puberté, il importe de l'envisager en considérant le fait que les
enfants de la rue ont un rapport au corps clivé :
· Un corps « hyper compétent »
c'est-à-dire sur entraîné à l'exercice de leurs
stratégies économiques de survie (mendier, travailler, voler, se
prostituer) ;
· Un corps totalement ignoré en termes de savoir
relatif au fonctionnement du corps.
Si les enfants de la rue savent ce dont le corps est capable,
ils ne connaissent pas leur corps. Plus exactement, c'est exactement, parce
qu'ils ignorent tout savoir sur le fonctionnement du corps qu'ils
développent les compétences de leur corps. En particulier, un
enfant qui a été maltraité devient un adolescent qui lutte
contre des angoisses de mort s'exprimant notamment, au moment des changements
pubertaires, par la peur que son corps ne fonctionne plus. Cet adolescent va
ainsi vérifier que son corps fonctionne.
A cet égard, une distinction de genre
apparaît : si les garçons vérifient que leur corps
fonctionne dans le social, notamment par l'exercice de compétences
délinquantes (le vol), les filles vérifient que le corps
fonctionne dans la sexualité, en particulier la prostitution. En
d'autres termes, moins un (ou une) adolescent(e) connaît son corps, plus
il ou elle expérimente son fonctionnement par des conduites d'exposition
au risque : la délinquance sociale des garçons, la
délinquance sexuelle des filles.
e) L'accrochage à un protecteur
En ce qui concerne la spécificité de la
stratégie de rupture familiale des adolescents de la rue, celle-ci peut
schématiquement se présenter de la façon suivante :
une rupture avec la famille, mais accompagnée de retrouvaille, celle du
groupe d'enfants de la rue dans lequel le sujet s'intègre et qui devient
« sa famille ». Plus précisément, l'enfant ne
s'intègre pas à un groupe mais « s'accroche »
à un protecteur qui généralement est le leader dudit
groupe. Cet « accrochage » confère à l'enfant
non seulement un repère sécuritaire mais également un
repère identitaire : il devient le membre de tel groupe et exerce
telle fonction (mendiant, cireur, etc.). Dans cette perspective, la logique de
groupe apporte une réponse à la question identitaire de
l'adolescent et « l'accrochage » au leader, une
réponse à sa recherche d'une personne ressource, celle
auprès de laquelle il peut formuler ses demandes.
Cette stratégie « d'accrochage » a
toutefois un prix pour l'adolescent : en contrepartie de la protection, de
l'identité et de l'identification d'une personne ressource, celui-ci
accepte de se soumettre à la tyrannie affective du leader.
Dans son groupe d'enfants de la rue, en effet, le leader
exerce son autorité par un diktat des émotions : il leur
interdit de donner de l'attention ou du temps aux personnes extérieures
au groupe, évoquant ainsi une tyrannie affective qui relève d'une
logique sectaire. La famille retrouvée par l'adolescent de la rue est
donc de nature tyrannique, despotique, et l'intégration dans un groupe
relève davantage de la servitude volontaire que d'une liberté de
choix. La personnalité du leader peut, dans cette perspective, aider au
repérage des adolescents en danger ; plus un leader est tyrannique
plus l'adolescent « accroché » à ce leader
doit être considéré en grand danger dans le sens où
ce lien despotique manifeste l'incapacité de l'adolescent à
envisager une relation à l'autre qui soit exclusive d'exploitation et de
maltraitance.
La problématique de l'enfant des rues appelle des
notions issues de plusieurs champs d'étude : la sociologie,
l'anthropologie, la psychologie. Cette première partie a posé les
bases théoriques autour desquels les analyses des données de
cette recherche devront s'agencer.
CONCLUSION
L'enfant au Mali est traditionnellement
considérée comme une richesse pour la communauté. Aucun
espace ne lui est réservé ou défendu. L'enfant est
intégré au monde adulte. Dans ce cas, la rue est un espace que
l'enfant peut fréquenter librement, surtout qu'elle fait partie
intégrante de l'espace communautaire. Les couches les plus
marginalisées de la société survivent grâce à
des réseaux d'entraides et la rue, qui font partie de leur quotidien
d'autant plus, si ces personnes ne peuvent pas se permettre le luxe
d'entretenir des espaces privés.
La société traditionnelle avait réussi
par référence constante à l'histoire de la
communauté, à créer une conscience d'appartenance commune,
un enracinement dans les valeurs permanentes et l'acceptation des buts de la
société. La jeunesse africaine moderne est souvent privée
d'une dimension importante dans la formation de sa personnalité sociale
et culturelle : la possibilité d'identification au groupe et
à ses valeurs communes.
L'enfant réduit à la survie dans la rue est une
conséquence de la modernité au Mali. L'enfant est victime de
l'exclusion sociale.
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