L'hypothèque maritime dans le code CEMAC de la Marine marchande( Télécharger le fichier original )par Marie Duvale KODJO GNINTEDEM Université de Yaoundé II - DEA 2008 |
SECTION II : LA CONVENTION, SOURCE UNIQUE DE L'HYPOTHEQUE MARITIME46. La véritable caractéristique, mais aussi la plus grande manifestation de la flexibilité du régime de l'hypothèque maritime est qu'elle ne peut résulter que d'une convention, à l'exclusion d'une décision de justice ou par l'effet de la loi77(*). C'est un contrat qui permettra aux parties d'aménager la portée de leur sûreté, de s'imposer des obligations mais aussi des limites, dans le respect du CCMM. Il est soumis à la théorie générale des obligations. S'agissant de ses conditions de validité, le CCMM traite des conditions relatives aux parties et à l'objet du contrat. L'objet ayant été étudié plus haut, nous nous limiterons aux parties (paragraphe 1). Le législateur est quasiment muet en ce qui concerne la cause du contrat d'hypothèque, qui n'est autre que la créance garantie. Pourtant le rapport entre l'hypothèque maritime et la créance garantie paraît beaucoup plus complexe qu'on ne se l'imagine et suscite des interrogations qui ne peuvent être éclaircies qu'en référence au droit commun des hypothèques immobilières78(*). L'accent est seulement mis sur la forme de l'acte d'hypothèque (paragraphe2). Paragraphe 1 : Les parties à la convention d'hypothèque maritime47. L'hypothèque maritime est un contrat de garantie, puisqu'elle est destinée à garantir une créance. Parfois, elle naît en même temps que le contrat principal, c'est-à-dire le contrat constitutif de la créance ; on parle d'obligation hypothécaire. Il n'est pas rare que l'hypothèque maritime soit constituée indépendamment de la dette. L'analyse du rapport entre le contrat principal et la sûreté peut laisser entrevoir plusieurs personnes79(*). Au-delà de cette réalité, seuls le constituant (A) et le bénéficiaire (B) revêtent de l'intérêt dans la constitution de la sûreté.
48. Généralement, les qualités de constituant et de débiteur sont confondues en la même personne. Il peut arriver que le constituant ne soit pas débiteur principal - c'est l'hypothèse du cautionnement réel. Quelque soit le cas, l'acte d'hypothèque est envisagé pour celui qui le consent comme un acte de disposition, en ce sens qu'il transfert à un tiers un droit réel. C'est un acte grave, dont les résultats pernicieux n'apparaissent pas au moment de la conclusion, mais lors de l'exécution. C'est pourquoi, il est exigé du constituant qu'il soit propriétaire (1). Ayant seul pouvoir de disposition sur son patrimoine, il faut qu'il soit à même d'apprécier la gravité de l'acte, d'où l'exigence de capacité. Il peut aussi donner mandat à quelqu'un qui pourra hypothéquer le navire, dans la limite du pouvoir reçu (2). KODJO GNINTEDEM Marie Duvale, L'hypothèque maritime dans le Code CEMAC de la Marine Marchande 1. Obligation pour le constituant d'être propriétaire 49. L'hypothèque ne peut être consentie que par celui qui est propriétaire du bâtiment de mer80(*), ce qui invalide l'hypothèque du bâtiment d'autrui81(*). Cette exigence de propriété justifie que l'hypothèque ne puisse s'étendre aux matériels vendus avec une clause de réserve de propriété, si le bien protégé par la réserve est matériellement séparable des autres parties du navire82(*). 50. La propriété ne doit pas s'entendre au sens large de l'article 100 du CCMM, qui considère comme propriétaire aussi bien celui qui dispose de tous les pouvoirs découlant de la propriété83(*), que l'affréteur, l'armateur, et l'armateur- gérant du navire, qui n'ont pas de droit de disposition. Par contre, le constructeur qui est propriétaire présumé du navire en construction peut en principe hypothéquer celui-ci84(*). 51. Dans l'hypothèse de copropriété, le copropriétaire85(*) ne peut hypothéquer que sa part86(*). En cas de réalisation de l'hypothèque, la saisie des parts, et la vente par autorité de justice qui s'en suit ont pour effet de procéder au transfert de la propriété des parts saisies, sans modifier la répartition des parts entre les copropriétaires. Si la saisie porte sur plus de 50% du navire et que les oppositions ont été rejetées, la saisie des parts est transformée en saisie du navire87(*). KODJO GNINTEDEM Marie Duvale, L'hypothèque maritime dans le Code CEMAC de la Marine Marchande Le propriétaire ou le copropriétaire peut conclure directement le contrat ou se faire représenter. Dans ce cas, la représentation doit être valable. 2. Pouvoir et capacité 52. Dans la pratique, le bâtiment de mer est rarement la propriété d'un particulier. Lorsque tel est le cas, la validité de l'hypothèque est subordonnée à la capacité d'aliénation. Ainsi, le mineur non émancipé ou le majeur sous tutelle ne peuvent valablement consentir seuls d'hypothèques sur leurs biens ; ces actes sont accomplis par leurs représentants dans les conditions fixées par la loi88(*). 53. Un mandataire peut hypothéquer un navire pour le compte de son mandant, c'est-à-dire du propriétaire, à condition d'être muni d'un mandat spécial à cet effet89(*), puisque le mandat conçu en termes généraux n'embrasse que les actes d'administration. Conformément au droit commun, un tel mandat doit être écrit. Le gérant d'une copropriété peut hypothéquer le navire avec le consentement d'une majorité des intérêts représentant les trois quarts de la valeur du navire90(*). L'exigence d'un « mandat spécial » interdit à l'agent commercial ou au consignataire91(*) en leur seule qualité, d'hypothéquer le navire de leur mandant (lorsque celui-ci est le propriétaire du navire). La représentation des personnes morales, notamment des sociétés commerciales dont l'existence ne doit pas être contestée92(*), est soumise à des règles restrictives ou prohibitives. Selon la forme de la société, les sûretés sont soumises à autorisation de l'assemblée générale, des statuts ou justifiées par l'objet social93(*). Insistance est faite sur la qualité du constituant à cause de la gravité même de l'acte. Comme on l'a relevé, l'acte d'hypothèque est envisagé du côté du constituant comme un acte de disposition. C'est pourquoi la capacité d'en donner est beaucoup moins large que celle d'en recevoir. B. KODJO GNINTEDEM Marie Duvale, L'hypothèque maritime dans le Code CEMAC de la Marine Marchande
54. Le bénéficiaire est la personne à qui profite la sûreté. Il n'est pas exclu que le bénéficiaire puisse être une personne autre que celle qui a participé à la formation du contrat, par l'effet d'une transmission entre vifs ou pour cause de mort. Dans tous les cas, le bénéficiaire doit avoir la qualité de créancier. Si l'origine de la créance est indifférente94(*) - à condition qu'elle ne soit pas une créance contre le navire, pour les services rendus ou pour les biens fournis, support des privilèges maritimes95(*), on peut néanmoins s'interroger sur la qualification du créancier hypothécaire et sur sa nationalité96(*). 55. S'agissant de la qualification, le droit maritime de la CEMAC opère une distinction entre les créanciers maritimes et les créanciers terrestres. Les créanciers maritimes sont les bénéficiaires de créances maritimes énumérées à l'article 119 du CCMM97(*), conformément aux dispositions de la Convention internationale du 12 mars 1999 sur la saisie conservatoire des navires signée à Genève. A contrario, la créance terrestre est celle qui n'est pas comprise dans cette liste. L'énumération de l'article 119 a priori limitative, est importante à plus d'un titre. En effet, ce ne sont que les créances maritimes qui donnent lieu à saisie conservatoire du navire, à l'exclusion des créances terrestres98(*).on peut regretter que malgré la référence du législateur communautaire à la Convention de 1999, celui-ci ait exclu de sa liste les créances hypothécaires. La conséquence directe de cette omission est que le créancier hypothécaire ne peut saisir conservatoirement le navire. 56. KODJO GNINTEDEM Marie Duvale, L'hypothèque maritime dans le Code CEMAC de la Marine Marchande Les dispositions consacrées à l'hypothèque maritime ne font pas état de la nationalité du créancier. Ce qui laisse a priori penser que tout créancier, quelque soit sa nationalité peut bénéficier d'une hypothèque99(*). Toutefois, l'article 49 précise de façon générale que tout acte constitutif, translatif ou extinctif de la propriété ou de tout autre droit réel au profit d'un étranger sur un navire immatriculé dans un Etat membre de la CEMAC doit être visé par l'autorité maritime compétente. La qualité d'étranger ici ne s'applique pas aux nationaux ou assimilés des Etats membres de la CEMAC. Cette disposition à l'aspect anodin porte un véritable coup au crédit maritime. En effet, elle complique la procédure d'obtention du crédit moyennant hypothèque auprès des établissements étrangers surtout si l'on envisage l'hypothèse d'un refus de l'autorité maritime. A notre avis, celle-ci doit avoir de bonnes raisons pour s'opposer à l'établissement du contrat d'hypothèque. Mais tel que l'article 49 est formulé, l'on doute fort qu'en cas d'opposition, cette autorité puisse être contrainte par le juge. On peut aussi logiquement penser que l'absence de visa ne donne lieu qu'à nullité relative, susceptible de régularisation. * 77 « Comme le disait GRIVARD, l'hypothèque maritime n'est pas créée pour que les navires servent à la dot des femmes et aux deniers pupillaires », RODIERE (René), Du PONTAVICE (Emmanuel), op. cit, n° 100, p.119. * 78 v. infra, titre 2. * 79 Sans compter les parties qui intègrent le champ contractuel lors de son exécution, comme les ayants droit ou les cessionnaires, on peut imaginer, par exemple dans le cadre d'une stipulation pour autrui, que le créancier consente au débiteur une remise de dette, pourvu qu'il donne une garantie à un tiers, créancier du créancier. v. MESTRE (Jacques), PUTMAN (Emmanuel), BILLIAU (Marc) : Traité de droit civil, droit commun des sûretés réelles, Paris, LGDJ, 1996, pp. 249 et suivantes. Pour une étude sur les parties au contrat, lire GUELFUCCI-THIBIERGE (Catherine) : De l'élargissement de la notion de partie au contrat... à l'élargissement de la portée du principe de l'effet relatif, RTDC, 2, 1994. * 80 Art. 90 CCMM. * 81 Traitant de l'hypothèque immobilière, MESTRE et autres affirment qu' « il peut apparaître oiseux d'énoncer que la sûreté est un droit qui porte sur un droit qui porte sur une chose. L'affirmation n'est pourtant pas gratuite. D'abord parce qu'elle signifie que la sûreté ne peut valablement être donnée que par celui qui est titulaire de droits sur la chose, ce qui revient à invalider la sûreté de la chose d'autrui ». v. MESTRE (Jacques), PUTMAN (Emmanuel), BILLIAU (Marc) : Traité de droit civil, Droit commun des sûretés réelles, op. cit. n° 310, p. 287. Dès lors, l'hypothèque de la chose d'autrui est nulle et de nullité absolue. Cette sanction pourrait être retenue dans le cadre de l'hypothèque maritime. * 82 Cass. Com., 15 mars 1994, Navire La Granvillaise, La Semaine Juridique (JCP), Ed. G. no. 24, pp. 246-247 * 83 Pour une étude sur le droit de propriété, lire BERGEL (Jean-Louis) : Le droit des biens, Paris, PUF, Coll Que sais-je ?, 2ème éd, 1990. * 84 L'article 44 dispose en effet que « sauf convention contraire, le constructeur est propriétaire du navire en construction jusqu'au transfert de propriété au client ». * 85 Pour une étude approfondie sur la copropriété des navires, lire DAHAN (Ariel) : La copropriété des navires, a. 11& s. L 3 janvier 1967 a. 7 à 9; 88 & s. D 27 octobre 1967, www.ddbd.com , octobre 2002. * 86 Art. 66 CCMM. * 87 Art. 71 CCMM. * 88 Les règles en matière de représentation relèvent du droit civil de chaque Etat partie. * 89 Art. 90 CCMM. * 90 Art. 67 CCMM. * 91 L'agent commercial est au sens du CCMM, toute personne physique ou morale chargée par un mandant de représenter, au sens le plus large, les intérêts du navire ou de l'armateur. Le consignataire quant à lui est le mandataire, selon le cas, de l'armateur du navire ou des ayant droit à la marchandise transportée. (Art. 2(4) et (23) CCMM). * 92 Cass. Com., 22 juin 1999, pourvoi n° 98-13, 611 ; Bull Civ. Note CUTAJAR Chantal, JCP Semaine juridique n°5, 03 février 2000, pp. 181-185. Le juge se prononce dans cet arrêt sur la validité des inscriptions hypothécaires effectuées par un créancier à qui a été consentie une hypothèque sur un navire appartenant à son débiteur. Mais ce dernier s'avère être une société fictive. Heureusement pour le créancier, la CC reconnaît son droit en ces termes : « une société fictive est une société nulle et non existante...et la nullité opère sans rétroactivité, de sorte que la sûreté réelle consentie par la société Baltcy avant que sa fictivité ne fût déclarée demeure valable et opposable aux créanciers hypothécaires, en l'absence de fraude ». * 93 Art. 356, 506, 507 AUSCGIE. * 94 L'hypothèque maritime vise à garantir l'exécution de toute prestation (donner, faire ou ne pas faire). * 95 L'une des particularités du droit maritime est que le navire est personnellement tenu de ses dettes. Ainsi, une distinction est faite entre les dettes du navire et celles de son propriétaire. v. BONASSIES (Pierre), SCAPEL (Christian) : Traité de droit maritime, Paris, LGDJ, 2006, n°546. * 96 La nationalité du bénéficiaire attire notre attention à cause de l'importance que joue la nationalité du propriétaire du navire. A la lecture de l'article 23 CCMM, cette dernière est prise en compte dans l'attribution de la nationalité au navire. * 97 L'article 119 dispose en effet que : « Les créances maritimes pouvant donner lieu à la saisie d'un navire sont celles qui, conformément aux dispositions de la Convention internationale du 12 mars 1999 sur la saisie conservatoire des navires, résultent de l'une des causes ci-après: 1) dommages matériels ou corporels, y compris perte de vies humaines sur terre ou sur mer, causés par un navire ou provenant de son exploitation, 2) assistance et sauvetage, 3) contrats relatifs à l'affrètement ou à l'utilisation d'un navire, 4) contrats relatifs au transport des marchandises par un navire, 5)- pertes ou dommages aux marchandises et bagages transportés par un navire, 6) avarie commune, 7) remorquage ou pilotage d'un navire, 8) fournitures de produits, de matériels ou de services à un navire en vue de son exploitation ou de son entretien, 9) construction, réparation, équipement d'un navire ou frais de cale, 10) salaires du capitaine et de l'équipage, 11) débours du capitaine, des affréteurs, des chargeurs ou des agents maritimes, effectués pour le compte du navire ou de son propriétaire, 12) commissions des agents du navire, 13) propriété contestée du navire, 14) droits de copropriété d'un navire ou droits à l'exploitation d'un navire, ou aux produits d'exploitation d'un navire en copropriété, 15) indemnité ou autre rémunération due au titre de toute mesure ou tentative visant à prévenir, écarter ou limiter un dommage imputable au navire y compris un dommage de pollution - en vertu ou non d'une Convention internationale, d'un texte législatif ou réglementaire, ou d'un contrat, 16) frais et dépenses relatifs à l'enlèvement de l'épave du navire ou de sa cargaison, 17 toutes primes d'assurances relatives au navire, 18) tout litige découlant d'un contrat de vente du navire ». * 98 Tel n'est pas le cas en droit français où toutes les créances donnent lieu à saisie conservatoire du navire. v. ZANETOS (Irène) : L'hypothèque maritime en France et aux Etats-Unis, mémoire pour le D.E.S.S. de transports maritimes et aériens option droit maritime & droit des transports, Université de droit, d'économie et des sciences d'Aix-Marseille, 1999, p.17. * 99 Aux Etats-Unis, on refuse toujours aux étrangers le droit de prendre un mortgage (ou hypothèque) sur un navire américain. Le droit britannique ne l'interdit pas expressément, mais l'on doute qu'un non britannique puisse devenir créancier hypothécaire d'un navire battant pavillon britannique. v. BEURIER (Jean-Pierre) : Traité de droit maritime, Paris, Dalloz, n°334.11, p.280. |
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