L'hypothèque maritime dans le code CEMAC de la Marine marchande( Télécharger le fichier original )par Marie Duvale KODJO GNINTEDEM Université de Yaoundé II - DEA 2008 |
2. Les autres bâtiments de mer22. Pendant longtemps, la notion de bâtiment de mer était reçue comme synonyme de celle de navire, au point où parce que le droit maritime était fait pour les navires, il ne pouvait s'appliquer qu'aux navires, à l'exclusion de tout autre engin45(*). Il est vrai que c'était l'époque où on ne trouvait guère autre chose en mer que des engins qui y naviguaient. Avec l'évolution de la technologie, sont apparus des engins nouveaux, utilisés en mer, mais dont la fonction n'est pas de naviguer. La plupart du temps, ces engins sont utilisés au service du navire, lequel voit de ce fait sa souveraineté conservée. C'est peut-être ce qui justifie l'absence de définition légale du bâtiment de mer autre que le navire46(*). La doctrine heureusement n'affiche pas la même indifférence à leur égard, et essaie de leur trouver une définition précise, même si les idées restent encore assez éparses. 23. Selon Du PONTAVICE, le bâtiment de mer est tout objet bâti par l'homme pour aller en mer et pour en exploiter les potentialités47(*), et au sein de cette grande catégorie, il convient de distinguer les navires « parfaits » et les navires « imparfaits » ; ces derniers renvoient à la « notion nouvelle » de bâtiment de mer différent du navire48(*). En dehors de cette approche, la plupart des auteurs optent pour une énumération. Ainsi, il faut entendre par « autres bâtiments de mer » les « chalands, les dragues, les grues flottantes, les pontons, les docks flottants, les plates-formes et autres engins d'exploration ou d'exploitation du milieu marin »49(*). 24. Il existe par ailleurs une catégorie d'engins qui, bien qu'étant acquis qu'il ne s'agit pas de bâtiment de mer, suscite quelques réflexions au sein de la doctrine en ce qui concerne la possibilité d'y consentir des hypothèques maritimes ; il s'agit des engins de servitudes portuaires. VIALARD propose de distinguer deux hypothèses50(*). Si le droit maritime est bien l'organisation des activités de l'homme en mer, il ne serait pas interdit d'y soumettre toutes les activités qui contribuent immédiatement à rendre possible cette présence de l'homme en mer. Dans une pareille optique, le droit portuaire serait un droit maritime par connexité et le statut des engins portuaires en relèverait. Par conséquent, ces engins pourraient faire l'objet d'hypothèque maritime. Telle est la conception de « l'excroissance portuaire du droit maritime ». KODJO GNINTEDEM Marie Duvale, L'hypothèque maritime dans le Code CEMAC de la Marine Marchande Par contre, si l'on s'en tient au domaine initial du droit maritime tel qu'adopté par le législateur, les engins de servitude portuaire n'étant pas des bâtiments de mer, ils ne peuvent faire l'objet d'hypothèque maritime. Ainsi, la théorie de l'excroissance portuaire n'existe qu'en doctrine, le seul objet de l'hypothèque maritime restant le bâtiment de mer immatriculé avec, lorsque les parties n'ont pas décidé autrement, tous ses accessoires. B. Les éléments contenus dans l'assiette de l'hypothèque maritime 25. En général, l'étude des éléments affectés par l'assiette d'une sûreté se fait dans le cadre de l'étude des effets de cette sûreté. Mais une raison assez importante nous pousse à aborder cette étude dans le cadre de la constitution de l'hypothèque maritime. C'est que, lors de cette constitution, les parties disposent d'un pouvoir dans la détermination de la portée de leur sûreté (2). Mais ce choix ne peut excéder les éléments prévus par la loi comme pouvant constituer l'assiette de l'hypothèque maritime (1). 1. La détermination par la loi des éléments contenus dans l'assiette de l'hypothèque maritime 26. Le CCMM a déterminé les éléments du navire affectés par l'hypothèque maritime. Ainsi, « l'hypothèque consentie sur un navire ou sur une part indivise de celui-ci s'étend, sauf convention contraire, au corps du navire et à tous ses accessoires, machines, agrès et apparaux. Elle ne s'étend pas au fret »51(*), qu'il soit entendu comme prix de la location du navire, ou comme cargaison du navire52(*). 27. L'extension de l'hypothèque maritime évoquée par le Code revêt en réalité deux aspects. D'abord, L'hypothèque maritime porte sur le corps du navire ou du bâtiment de mer concerné, comme sur tous ses accessoires, machines, agrès, apparaux. Contrairement aux privilèges maritimes, il n'existe aucune définition des accessoires du navire affectés par l'hypothèque maritime53(*). Paradoxalement, ce sont ces mêmes éléments définis comme accessoires du navire et constituant l'assiette du privilège qui, dans le cadre de l'hypothèque maritime, sont considérés comme substituts du navire et de ses accessoires en cas de perte ou d'avarie (en plus des indemnités d'assurance sur le corps du navire), pour le montant d'une créance hypothécaire54(*). Les agrès et apparaux quant à eux sont, de l'avis général, partie intégrante du navire55(*). Il s'agit « des aussières et filins de toute sorte, voiles, ancres, guindeaux, treuils, etc. »56(*) ; bref tout ce qui permet de manoeuvrer le navire. C'est pour cela qu'en droit maritime, contrairement au droit civil, on peut parler de meuble par destination57(*). KODJO GNINTEDEM Marie Duvale, L'hypothèque maritime dans le Code CEMAC de la Marine Marchande En droit suisse, tous les matériaux et équipements destinés à la construction du navire font partie de l'assiette de l'hypothèque maritime lorsqu'ils sont facilement identifiables, par marquage ou par tout autre moyen ; à la condition qu'ils se trouvent dans les locaux du chantier naval en question58(*). Pareille extension n'existe pas dans le CCMM. 28. Ensuite, l'hypothèque maritime s'étend aux améliorations futures du navire, à condition que ces améliorations ne transforment pas totalement le navire, auquel cas on serait en présente soit d'un navire nouveau, soit d'un bâtiment qui n'est plus un bâtiment de mer. Cette règle de l'extension aux améliorations futures a soulevé en droit français un conflit entre le créancier hypothécaire et le créancier muni d'une autre sûreté spéciale qu'est le nantissement du matériel d'équipement. Le problème était relatif au rang que devait occuper chacun de ces créanciers. Bien que la Cour de Cassation statue sur la question dans un arrêt du 1er juin 1970, en donnant la préférence au créancier hypothécaire59(*), les auteurs font néanmoins remarquer qu'un tel conflit peut être évité par les parties qui ont le pouvoir de décider dès la constitution de l'hypothèque de l'étendue de l'assiette de leur sûreté. 2. KODJO GNINTEDEM Marie Duvale, L'hypothèque maritime dans le Code CEMAC de la Marine Marchande Le pouvoir des parties dans la fixation de l'assiette de l'hypothèque maritime 29. Aux termes de l'article 92 CCMM, l'hypothèque maritime consentie sur un navire ou une part indivise de celui-ci s'étend, sauf convention contraire, au corps du navire et à tous les accessoires, machines agrès et apparaux. Le pouvoir des parties est un pouvoir négatif. En effet, elles peuvent limiter l'assiette de l'hypothèque maritime, mais elles ne peuvent en aucun cas l'étendre au-delà des éléments énumérés par l'article 92. Les parties ne peuvent par exemple décider de l'introduction du fret dans l'assiette de leur sûreté ou encore décider que celle-ci s'étendra à tous les navires appartenant au même propriétaire, constituant ainsi « une hypothèque de flotte »60(*). De même, les parties ne peuvent décider d'hypothéquer un navire non immatriculé, puisque l'immatriculation est le critère déterminant de l'hypothèque du navire. * 45 VIALARD rapporte d'ailleurs que «chaque fois que l'on s'est interrogé sur l'application du droit maritime à tel ou tel engin, on s'est évertué à lui découvrir ou à lui dénier les caractéristiques d'un navire, par une comparaison systématique de ses aptitudes avec celles d'un navire traditionnel ». VIALARD (Antoine) : La qualification juridique des engins de servitude portuaire, Etudes remises en l'honneur de Michel De JUGLART (Aspects actuels du droit privé en fin du 20e siècle), Paris, éd LGDJ, éd Montchrestien, éd Litec, 1986, n°16. * 46 On ne peut même pas se référer aux jurisprudences françaises notamment anciennes, qui, lorsqu'elles parlent de bâtiment de mer, nomment en réalité le navire. * 47 VIALARD, op. cit. n°18, p. 350. * 48 VIALARD, op. cit. n°16, p. 349. * 49 BONASSIES (Pierre), SCAPEL (Christian) : Traité de droit maritime, Paris, LGDJ, 2006, n° 548, p.365. * 50 VIALARD, op. cit. n°19, p. 351. * 51 Art. 92 CCMM. * 52 Le législateur n'ayant pas précisé, dans le cadre de l'hypothèque maritime, dans quel sens il fallait entendre le terme fret, l'on suppose qu'il exclu le fret pris dans ses deux sens. * 53 L'article 75 CCMM définit les accessoires du navire et du fret visés à l'article 73 comme les indemnités dues au propriétaire à raison des dommages matériels subis par le navire et non réparés, ou pour perte du fret ; les indemnités dues au propriétaire pour avaries communes en tant que celles-ci constituent, soit des dommages matériels subis par le navire et non réparés, soit des pertes de fret ; les rémunérations dues au propriétaire pour assistance prêtée ou sauvetage effectué jusqu'à la fin du voyage, déduction faite des sommes allouées au capitaine et autres personnes au service du navire. * 54 Art. 93 CCMM. * 55 Certains sont liés matériellement au navire, mais pourraient en être facilement détachés ; d'autres ne sont pas liés matériellement, mais sont imposés par les nécessités de la navigation (chaloupes, canots de sauvetage,...) * 56 JAMBU-MERLIN (Roger) op. cit, p. 311. * 57 V. RODIERE (René), Du PONTAVICE (Emmanuel) : Droit maritime, Paris, Dalloz, 10e éd, 1986, n° 34 : « quand on observe sa structure extérieure, on remarque qu'il y a sur le navire des objets mobiliers, qui ne sont unis au navire que par la destination qu'ils reçoivent. En droit civil, on connaît des immeubles par destination, meubles affectés au service d'un immeuble, mais il n'y a pas de meubles par destination affectés au service d'un autre meuble. En droit maritime, au contraire, on trouve des meubles qui sont affectés au navire. Certains de ces accessoires sont liés au navire, mais pourraient en être facilement détachés : ancres, chaînes, palans, compas, appareils de radio. D'autres ne sont pas liés matériellement au navire, mais sont imposés par les nécessités de la navigation, ainsi les chaloupes et les canots. Ces accessoires indispensables à la navigation sont dits agrès ou selon une vielle expression, apparaux ». * 58 TOPORKOVA (Anastasia) : Les sûretés maritimes et la saisie conservatoire du navire en droit russe. Mémoire pour le Master 2 droit maritime et des transports, Université de droit, d'économie et des sciences d'Aix-Marseille, 2006, p. 22. * 59 Cass. com. 1er juin 1970, navire l'Heureux, DMF 1970.587, D. 681 note RODIERE ; Gaz. Pal. 1970.2.310. Sur la question, voir infra, le rang du créancier hypothécaire. * 60 BONASSIES (Pierre), SCAPEL (Christian) op. cit. |
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