Paragraphe 2 : Le banquier, dirigeant de fait de
l'entreprise
cliente
Le point de départ de cette responsabilité se
trouve dans l'article 180 de l'Acte Uniforme sur les Procédures
Collectives d'Apurement du Passif80. C'est une règle
classique selon laquelle, en cas d'insuffisance d'actifs et de fautes de
gestion, le tribunal peut mettre cette insuffisance à la charge des
dirigeants de droit ou de fait.
Sont dirigeants de fait, les personnes qui, n'ayant pas la
qualité de dirigeant, accomplissent des actes positifs de gestion et de
direction en toute souveraineté81. Les personnes qui prennent
en fait des décisions réservées aux organes de gestion,
qui exercent un véritable pouvoir de gestion et qui influencent ainsi de
manière notable la formation de la volonté sociale. Il ressort de
cette définition un critère fondamental de la
caractérisation de la banque comme dirigeant de fait ; il faut que la
banque ait accompli des actes positifs de gestion en toute
souveraineté.
L'activité positive est nécessaire à la
reconnaissance de la qualité de dirigent de fait. En effet, les
abstentions ne peuvent conférer cette qualité. Il doit s'agir
d'une participation effective. Ceci doit se faire en toute indépendance
traduisant ainsi l'idée selon laquelle la personne en question n'est pas
liée à la société par un lien de
79 Compte tenu de la jeunesse de nos Etats et de la
sous scolarisation, nombreux sont les entrepreneurs qui n'ont aucune ou du
moins des connaissances minimes en matière de gestion. Cependant la
tendance progressive tend à démontrer le contraire, avec
l'entrée dans le monde des affaires des entrepreneurs sortis de grandes
écoles de gestion.
80 Cet article stipule que: «les dispositions
du présent chapitre sont applicables, en cas de cessation des paiements
d'une personne morale, aux dirigeants personnes physiques ou morales, de droit
ou de fait, apparents ou occultes, rémunérés ou non et aux
personnes physiques représentants permanents des personnes morales
dirigeantes »
81 Cf. COUDERT (J-C.) et MIGEOT (P.), «
L'appréciation par l'expert du comportement dans la distribution du
crédit », in Les Petites Affiches, mai 1993, p. 9, cité par
MAGUEU Les banques et les entreprises en difficultés, mémoire
DEA, Université de Dschang 2005.
subordination, de sorte que son activité soit
exercée en liberté. C'est d'ailleurs l'exigence d'actes positifs
qui différencient le dirigeant de fait du dirigeant de droit. Si le
dirigeant de droit engage sa responsabilité pour les fautes d'omission,
le dirigeant de fait se révèle par son action82.
Par ailleurs, les actes en question doivent porter, soit sur
la gestion, soit sur la direction de la société. Ce
critère est sans cesse exigé par la jurisprudence et elle retient
par exemple comme actes positifs de gestion : les décisions prises en
matière d'investissement, la signature au nom de la
société, de contrat, déclarations fiscales et sociales,
comptes annuels, chèques ou traites, la passation de marchés, la
fixation des prix, ou enfin l'exercice de pouvoirs en matière de gestion
du personnel (recrutement, plan de carrière). Il peut aussi s'agir de
pressions (menace, chantage, ultimatum) sur les organes de direction, afin de
diriger leurs actions. Il faut par ailleurs une multiplicité d'actes de
façon à démontrer que les fonctions exercées ne
sont pas limitées à des opérations ponctuelles. Autrement,
il faut une répétition dans l'accomplissement des actes par le
dirigent de fait. Le simple conseil ou la surveillance des fonds ne peut
être source de responsabilité, à moins que
l'établissement de crédit soit très proche de l'entreprise
pour devenir une direction occulte.
La banque est un partenaire incontournable qui ne doit pas se
mêler des problèmes de gestion interne de l'entreprise cliente.
Un adage populaire dit souvent que « l'argent c'est
le diable ». Cet adage peut bien se vérifier dans le domaine
bancaire. En effet, si le crédit du banquier peut faire un très
grand bien à une entreprise, il peut aussi en être son pire poison
et être la cause de son déclin. Il en va ainsi lorsque, le
banquier accorde son soutien à une personne qui, en principe, n'en avait
pas besoin : c'est l'inopportunité du crédit ; ou que le
crédit ayant été accordé, il ne s'assure pas que la
destination du crédit est celle préalablement établie ; ou
encore surveille le crédit au point de s'ingérer dans la gestion
de son débiteur et devenir dirigeant de fait. La jurisprudence, de plus
en plus, pour alléger la responsabilité du banquier, tient compte
de la compétence du débiteur en faisant la distinction selon
qu'il est averti ou non averti. Toujours est-il que c'est le crédit
du
82 Cf. TRICOT (D.), « les critères de la
gestion de fait », Dr. et Patrim. Janvier 1996, p. 24et s, spéc. p.
24, cité par CAPOEN (A-L.) thèse précitée,
p.139.
banquier qui doit conduire à la décadence des
affaires du débiteur. Ce cas se distingue nettement du cas où le
crédit est accordé à une entreprise vouée à
l'échec.
CHAPITRE 2 : LES OBLIGATIONS DU BANQUIER A
L'EGARD DES TIERS
L'entreprise, comme une personne humaine, connaît au
cours de sa vie d'importants problèmes qui, souvent, peuvent la
conduire, s'ils ne sont pas résolus, à la cessation des
paiements, puis à la liquidation des biens. Ces difficultés sont
souvent à l'origine de l'intervention des tiers et notamment des banques
pour sauver et empêcher la mort de la société. Mais cette
intervention de la banque peut l'amener à engager sa
responsabilité. Cette responsabilité peut découler de la
rupture brutale des concours à un moment important pour la
société. Elle peut aussi engager sa responsabilité pour
avoir accordé un prêt à une entreprise qui visiblement
était vouée à la perte : c'est le soutien abusif.
Le soutien abusif n'est pas directement visé par le
législateur. C'est dans l'analyse et l'interprétation de
l'article 118 de l'AUPCAP qu'il faut aller pour le trouver. Il peut être
défini comme la faute du banquier qui, en continuant d'octroyer du
crédit, permet la prolongation artificielle d'une activité dont
la continuité était déjà compromise et contribue
ainsi à l'augmentation du passif ou à la diminution de l'actif,
tout en laissant paraître une fausse apparence de
solvabilité83. A cet égard, la banque peut être
condamnée à réparer les préjudices subis par les
tiers.
A l'examen, plusieurs conditions sont nécessaires pour
l'existence de la faute de soutient abusif. Il s'agit de : la situation
irrémédiablement compromise de l'entreprise, le maintien ou
l'octroi du crédit pendant cette période et la connaissance par
la banque de cette situation. Les deux premières conditions constituent
les conditions objectives (section1) et la dernière, la
condition subjective (section 2) du soutien abusif.
83 La situation irrémédiablement
compromise est une cause de rupture légitime du contrat bancaire. Car,
comme le précise l'article 22 alinéa 2 et 3 de l'ordonnance de 85
précité, commet un faute le banquier qui ne rompt pas son
concours à une entreprise dont la situation est
irrémédiablement compromise.
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