Paragraphe 2 : La prise en compte de la personnalité
du débiteur
Le droit de la responsabilité bancaire dans le cadre du
crédit inopportun s'articule désormais autour d'une distinction
entre emprunteur averti et emprunteur profane, deux notions qu'il convient de
cerner (A). Cette distinction à des incidences sur les
obligations mises à la charge du banquier (B).
54 Cf. MAZEAUD (D), cité par NETTER (E.) et
RAVEL d'ESCLAPON (Th.), « la responsabilité du banquier
dispensateur de crédit », Séminaire de droit bancaire,
Université Robert Schuman Strasbourg, 2006, p. 06.
55 Cf. GOURIO (A.), art. préc. p. 53.
56 Cf. GOURIO (A.), art. préc. p. 53.
A- Les notions d'emprunteurs avertis et
d'emprunteurs
profanes
La distinction emprunteur averti et emprunteur profane
constitue désormais la summa divisio, et détermine le
régime de responsabilité applicable. Cette distinction n'est
apparue que très récemment dans la jurisprudence57.
Mais, la principale difficulté réside dans le contenu à
donner à chaque notion, étant entendu que la Cour de cassation
qui introduit cette distinction ne se préoccupe pas à les
définir. La principale difficulté sera de trouver un contenu
valable à ces concepts. Dès lors, ainsi que le préconise
le professeur LEGEAIS, on aurait pu espérer de la Cour de cassation
qu'elle pose une présomption de sorte que les choses en auraient
été considérablement facilitées58.
Elle aurait ainsi pu considérer qu'est
présumé emprunteur non averti, c'est-àdire comme
emprunteur profane, tout particulier n'agissant pas dans le cadre de son
activité professionnelle. Rien n'a été effectué en
ce sens et bien au contraire, la Cour ne s'est pas livrée à un
tel exercice, probablement dans l'idée de laisser aux juges la
possibilité de tenir compte des circonstances.
Certains auteurs59 font un rapprochement entre
cette distinction ou cette opposition entre emprunteur averti et emprunteur
profane et celle qui est faite dans le droit des marchés financiers,
à propos d'une autre source de responsabilité à laquelle
peut être soumise le banquier, quand il a agi en qualité de
prestataire de services d'investissement entre investisseur néophyte et
investisseur qualifié. Ici on cherche à savoir si le client a une
certaine maîtrise ou est rompu aux techniques des marchés
financiers. En la matière, la complexité des techniques
combinées est considérable. Le même rapprochement est fait
en ce qui concerne la caution avertie et la caution non avertie.
57 Cf. DELPECH (X.), note sous les arrêts de la
Première chambre civile de la cour de Cassation du 12 juillet 2005,
Dalloz 2005, Dalloz 2005 n°33 p. 2278.
58 Cf. LEGEAIS (D.), obs. sous Cass. Civ.
1ere, 12 juillet 2005.
59 Cf. NETTER (E.), RAVEL d'ESCLAPON (Th.), article
précité ; BONNEAU (Th.) et DRUMMOND (F.), Droit des
marchés financiers, ed., Economica, Paris, 2005,
2ème ed., n°63, p. 381et 469.
Que recouvre la notion d'emprunteur averti ? Que recouvre la
notion d'emprunteur profane ? La question est difficile à
résoudre et à cet égard, les arrêts du 12 juillet
2005 apportent quelques éléments de réponse.
La profession ou plus généralement la
catégorie socio professionnelle et l'assise
financière60 sont les critères importants de
définition. Cette solution se justifie par le fait qu'une personne haut
placée dans une société ou ayant des revenus
conséquents, sera plus facilement perçu comme habituée
à effectuer des opérations bancaires et, plus
particulièrement, des opérations de crédit. Elle sera, par
conséquent, présumée plus apte à juger du bien
fondé des opérations économiques financées par le
prêt litigieux. Cependant, il ne s'agit que de simples
présomptions qui pourront être renversées à la vue
des circonstances de fait. D'autres éléments devront donc
être pris en considération par les magistrats, tel que la bonne
foi des parties, la fréquence des opérations, l'âge de
l'emprunteur ou encore le montant des prêts61. Il appartiendra
alors aux banques, dans chaque affaire, de veiller à rassembler un
faisceau d'indices permettant par la suite aux juges du fond d'apprécier
le bien fondé de la qualification retenue. Cette solution a
néanmoins pour intérêt de permettre au juge de tenir compte
des circonstances de fait de chaque espèce.
Il en résulte en particulier, qu'il n'existe aucune
corrélation nécessaire entre la qualité de professionnel
et celle d'emprunteur averti ; un emprunteur averti peut n'être qu'un
simple consommateur, tandis qu'un emprunteur agissant à titre
professionnel peut être considéré comme un emprunteur non
averti62. Il importe par ailleurs de relever que la jurisprudence
considère comme averti l'époux qui est assisté par l'autre
époux, dès lors que ce dernier est considéré comme
lui-même averti63 .
Selon François BOUCARD64, « le
profane est celui qui n'est pas en mesure d'apprécier lui-même les
risques de l'opération pour laquelle il envisage de souscrire
60 Dans le même sens, Cass. Civ. 1ere, 2
novembre 2005, Juris-Data, n°2005-030521, D. 2005, Aff., p. 3084, obs.,
AVENA-ROBARDET. Le caractère profane des époux emprunteurs
semblaient découler de leur faible assise financière, leur avis
d'imposition pour l'année 1995 ne mentionnant aucune ressource
imposable.
61 Cf. LEGEAIS (D.), JCP E, 2005, 1359, PIEDELIEVRE
(S.), Revue Lamy droit civil, 2005, n°21, p. 17 ; GOURIO (A.), JCP., 2005,
II, 10140.
62 Cf. Cass. Chambre Mixte 29 juin 2007,
n°05-21104.
63 Cf.
Cass. Com. 3 mai 2006, n°02-11211.
64 Cf. BOUCARD (F.), Revue de droit bancaire et
financier n°5, sept. 2007, étude 17 ; GUYADER (H.), Contrats
Concurrence, Consommation n°4, avril 2008, étude 5.
un emprunt ou de donner sa caution »,
c'est-à-dire celui dont la qualité (statut et capacité)
permet de considérer qu'il n'est pas en mesure de saisir
l'entière portée de ses engagements d'emprunt.
Cependant, les juges doivent tenir compte de l'ensemble de la
situation et se livrer à une analyse empirique des espèces
soumises à leur examen. Le degré de connaissance des
mécanismes du crédit qui joue un rôle fondamental dans la
distinction entre emprunteur averti et emprunteur non averti. Il revient au
juge de fond d'apprécier cette qualité.
Cette différenciation emprunteur averti et emprunteur
non averti introduit par la jurisprudence, a pour principale conséquence
l'application d'un régime de responsabilité propre à
chacun.
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