La responsabilité du banquier dispensateur de crédit( Télécharger le fichier original )par Aristide CHACGOM FOKAM Université de Dschang - Master 2 en droit des affaires et de l'entreprise 2011 |
B- Le fondement juridiqueUn constat d'évidence se dégage : un emprunteur ne peut engager la responsabilité du banquier du seul fait que le prêt sollicité a été accordé et qu'il se soit retrouvé ultérieurement dans l'impossibilité de le rembourser. S'il lui est permis de le faire c'est parce qu'il fonde son action sur un élément essentiel du droit des contrats : le devoir de conseil. Le fondement de la responsabilité pourrait alors être le manquement du banquier à un devoir de conseil qui lui incomberait. L'existence d'un tel devoir a été reconnue par la cour de cassation elle-même dans un arrêt de sa Première chambre civile en 199545 (1). Mais les arrêts postérieurs n'y font plus référence, et l'existence d'un tel devoir est très critiquée en doctrine, à tel point qu'il faille peut être trouver ailleurs un autre fondement de cette responsabilité (2). 1- L'apparition d'un devoir de conseil dans l'octroi du crédit « Il y a quelque chose de choquant à voir une entreprise chercher à faire supporter à sa banque les conséquences de ses propres erreurs de gestion »46. Cette précision d'un auteur est également valable pour un crédit consenti à un particulier. Que l'emprunteur lui-même se plaigne d'avoir obtenu ce qu'il demandait, semble à 44 Il s'agit de la délivrance de formule de chèque, mais la solution vaut, par analogie, pour l'ouverture de crédit 45 Cf. Civ. 1ère, 27 juin 1995 ; D. 1995, 621, note PIEDELIEVRE ; DEFRENOIS 1996 P. 689 note SCHOLASTIQUE (E.). Dans cet arrêt, la première chambre civile affirme : « la présentation d'une offre préalable conforme aux exigences de l'article 5 de la loi du 13 juillet 1979 ne dispense pas l'établissement de crédit de son devoir de conseil à l'égard de l'emprunteur, en particulier lorsqu'il apparaît à ce professionnel que les charges du prêt sont excessives par rapport à la modicité des ressources du consommateur ». Selon certains auteurs, la cour de cassation avait déjà reconnu ce devoir implicitement, sans le nommer comme c'est le cas dans l'arrêt : Civ. 1ère, 8 juin 1994 : JCP E, 1995, II, 652, note LEGEAIS. 46 Cf. STOUFFLET (J.), « Retour sur la responsabilité du banquier donneur de crédit » in Mélanges Cabrillac, Dalloz-Litec 1999, n° 17. première vue déconcertant. S'il lui est tout de même permis de le faire, c'est parce qu'il se situe sur un terrain bien connu du droit des contrats en général : le devoir de conseil. Le même auteur rappelle que « le conseil est une obligation que la jurisprudence moderne considère comme inhérente à tout contrat bancaire avec bien entendu, un contenu variable selon la nature et le degré de complexité de l'opération et le niveau d'expérience du client. Aucune raison ne justifie que les opérations de crédit échappent à ce devoir de conseil dont peuvent se prévaloir le client lui-même et ses cautions... »47. Autrement-dit, lors de l'octroi du crédit, le banquier doit fournir à son client toutes les informations possibles, afin que les actes qu'il passe se fassent sans incident. La banque se doit non seulement de rechercher toutes les informations nécessaires à la réalisation des opérations projetées et de les communiquer à son client, mais aussi, elle doit lui fournir les moyens d'échapper aux risques qu'il court. Cela ne peut être fait que par le conseil. Cette obligation de conseil s'accompagne toujours de l'obligation d'information, car on ne peut conseiller sans informer. L'obligation de conseil repose sur l'obligation d'information qui lui sert de base et elle lui donne son plein effet. Si une telle obligation pèse sur le banquier, il est logique que son manquement soit une source de responsabilité. Les avis, conseils, informations, du banquier dispensateur de crédit doivent être donnés avec tout le sérieux nécessaire et la pertinence dont il est capable. Il doit procéder aux études indispensables, en s'entourant de collaborateurs qualifiés et compétents. Sauf à le répéter, l'obligation consiste pour le banquier à faire ce qu'il peut, le mieux qu'il peut : « La banque se tient à la disposition de son client pour luifournir de son mieux...tout conseil bancaire », « de son mieux », c'est-à-dire du mieux qu'elle peut, sans qu'on puisse attendre d'elle ni lui réclamer l'impossible ou plus qu'elle ne peut raisonnablement.48 47 Ibid. 48 Cf. JAMES (J-C.), « Le secret bancaire en droit gabonais », in Afrique Juridique et Politique, revue du CERDIP, Vol. N°1, 2002, N°2, p. 29. La responsabilité du banquier pour défaut de conseil ne pourra être engagée que dans l'hypothèse où le manquement porte sur des informations utiles pour le client. Toutes les informations qui peuvent présenter un intérêt direct pour le client et dont la connaissance conditionne la réussite de l'opération doivent être communiquées.49 Cependant, force est de reconnaître que ce critère laisse planer un certain nombre de doutes. En effet, si certaines données présentent un caractère évident, comme par exemple les informations sur le « surendettement » du client de la banque, d'autres ne sont pas aussi évidemment utiles. La question cruciale à examiner porte sur l'objet du conseil. Ne s'agit-il que de la pertinence financière du crédit consenti? C'est à dire surtout de son adéquation aux ressources de l'emprunteur ? Où s'agit-il, aussi de l'opportunité économique de l'opération financée? C'est-à-dire d'une appréciation des risques liés à l'investissement ? Après avoir hésité, la jurisprudence libère le préteur de tout contrôle d'opportunité économique qui l'amènerait, sous couvert de conseil, à juger des affaires et des décisions de l'emprunteur. Aussi réitère-t-elle, depuis peu mais avec constance, que « le banquier n'a pas à s'immiscer dans la gestion des affaires de son client », pour en déduire qu'il incombe au seul emprunteur d'apprécier « l'inopportunité du crédit.»50 Ce parti est sage et rétablit une juste distribution des rôles. Ainsi, il appartient au professionnel ayant recours au crédit pour les besoins de son activité de s'assurer que « les conditions du succès de l'opération sont réunies » et que « le banquier n'a pas à se substituer à son client pour apprécier la rentabilité de l'usage auquel ce dernier destine les fonds qu'il met à sa disposition.»51 Toutefois, la Cour de cassation a tempéré l'ardeur de l'obligation de conseil. Le banquier a vu sa responsabilité allégée notamment par la Cour de Cassation en introduisant un certain équilibre, car la responsabilité professionnelle du pourvoyeur 49 Cf. CLEMENT (J-F.), Le banquier vecteur d'information, RTD com. 1997, p. 216, cité par LOKO-BALOSSA (E J.), « La responsabilité du banquier dispensateur de crédit », in Annales de la Faculté des Sciences Juridique et Politiques de l'Université Marien NGOUABI (Brazzaville-Congo), 2007,p. 10. 50 Cass. Com. 11 mai 1999, D. 1999, IR p. 155 ; Petites affiches 1999, N° 118, obs. L.C ; 22 mai 2001, arrêt N° 990. 51 CA Paris 8 mars 2002, D. 2002, AJ p. 2049. de fonds tient désormais compte de la personnalité ou des compétences personnelles du débiteur ou du client. Le fondement de l'opportunité ou de l'inopportunité du crédit sur le devoir de conseil n'a pas reçu l'unanimité de la doctrine, puisqu'il a fait l'objet de nombreux critiques. 2- Un fondement critiqué Dès les premiers commentaires de l'arrêt de la Cour de cassation de 1995, des voix se sont élevées pour critiquer le devoir de conseil tel qu'il semblait peser sur le banquier d'après la Cour de cassation. On lui reprochait, d'abord, de permettre une critique artificielle du comportement du banquier dans les cas où un formalisme légal est prévu et a été parfaitement respecté par l'établissement de crédit : « l'arrêt du 27 juin 1995 paraît bien subtil, sinon spécieux. La Cour de cassation, sous le couvert de distinguer des obligations assurément distinctes, y autorise en fait l'ouverture d'un débat sur le fond - à savoir la vérification de la qualité du consentement de l'emprunteur - alors même que le formalisme légal a été entièrement respecté...52 ». Le même auteur formule une critique encore plus fondamentale à l'encontre du raisonnement de la Cour : « on discerne difficilement la cohérence du fondement invoqué, le prétendu devoir de conseil ou de mise en garde de la banque : un crédit pourrait-il être légitime, tout en étant insupportable pour l'emprunteur, du seul fait que la banque a attiré l'attention de ce dernier sur ce point ? » Un autre auteur53 affirme même que « l'admission d'un devoir de conseil conduit à une impasse ». Le Pr. MAZEAUD souligne qu' «on voit mal la cohérence qui pourrait animer le comportement d'un établissement de crédit qui après avoir constaté l'incapacité pour le candidat emprunteur de supporter la charge de l'endettement envisagé et dissuadé, dans cette mesure, ce dernier de conclure le prêt, 52 Cf. PIEDELIEVRE (S), note sous Civ. 1er du 27 juin 1995, précité. 53 Cf. GOURIO (A.), dossier « la responsabilité civile du préteur au titre de l'octroi d'un crédit à un particulier, le prêteur est-il réellement tenu d'une obligation de conseil envers le particulier emprunteur », Rev. De Droit bancaire et financier jan. /fév. 2001, p. 50 et s. émettrait néanmoins une offre de prêt, alors qu'il est évident que, si celle-ci est acceptée, les échéances ne pourront pas être respectées54 ». Autant de critiques qui mettent en doute la cohérence de la Première chambre civile de la Cour de cassation lorsqu'elle sanctionne un banquier octroyant un crédit excessif sur le fondement d'un devoir de conseil. Faut-il en déduire, comme le Pr GOURIO, que « l'obligation de conseil, n'est pas véritablement mise en oeuvre en tant que telle, même lorsqu'elle est visée formellement55 ? » La doctrine a donc recherché de nouveaux fondements. On a ainsi proposé de rattacher cette question au « principe de proportionnalité » ou même du devoir de vigilance incombant au banquier56. Autrement-dit, le banquier doit tout simplement vérifier si le crédit sollicité par le client est proportionnel à ses ressources. Ainsi, le crédit ne doit pas être considérablement supérieur aux revenus du client. Par conséquent la banque doit se renseigner sur les capacités financières de son client avant de procéder à toute opération de crédit. Toutefois, le banquier ne saurait échapper à la règle que la jurisprudence a posée depuis longtemps, à savoir que les professionnels ont un devoir de conseil à l'égard de leur client. Cependant, ce devoir est à géométrie variable et s'applique avec moins de force voire disparaît vis-à-vis des clients expérimentés ; elle est par conséquent exercée avec plus de rigueur à l'égard des clients moins au fait des opérations de crédit. |
|