DEUXIEME PARTIE : UNE RESPONSABILITE DU BANQUIER
EMPRUNTANT AU DROIT COMMUN DE LA RESPONSABILITE CIVILE AU NIVEAU DE LA
SANCTION
La responsabilité du banquier dispensateur de
crédit n'est pas une responsabilité ex nihilo,
c'est-à-dire, néée de nulle part. Elle part du droit
commun pour y revenir. La responsabilité civile est l'obligation de
réparer le dommage causé à autrui par un acte contraire
à l'ordre juridique. Son auteur doit y répondre. Sa principale
fonction est réparatrice. Elle remplit aussi une autre fonction,
préventive. La responsabilité civile permet, dans la mesure du
possible, de prévenir la réalisation des dommages par crainte
légitime de la sanction pécuniaire qu'elle engendre, à
laquelle peuvent se grever d'autres sanctions101.
S'agissant particulièrement du banquier, sa
responsabilité remplit le même rôle. Mais la nature
particulière de sa profession déteint considérablement sur
le régime (Chapitre 1) et la mise en oeuvre
(chapitre2) de la sanction sans toutefois les muter. Chapitre
1 : la mise en oeuvre de la sanction
Chapitre 2 : le régime de la sanction
101 Cf. CADIET (L.), le TOURNNEAU (Ph.), ouvrage
précité, p. 1.
CHAPITRE 1 : LA MISE EN OEUVRE DE LA SANCTION
Mettre en oeuvre une sanction signifie la mettre en marche ou
en mouvement. Pour mettre en oeuvre l'action qui aboutira à la
condamnation du banquier, convient-il de déterminer les personnes
susceptibles d'intenter l'action (section2). Ces personnes
comme en droit commun, doivent en plus démontrer l'existence d'une
faute, établir un préjudice et un lien de causalité
(section1).
Section 1 : Le préjudice et le lien de
causalité
La responsabilité du banquier à raison de
l'octroi de concours, est fondée sur la faute de celui-ci. Il s'agit
d'une responsabilité pour faute. Elle doit être accompagnée
d'un préjudice et d'un lien de causalité102. Le
préjudice et le lien de causalité sont nécessaires
à la reconnaissance de la responsabilité du banquier. En effet,
même si dans le cadre du droit commun on a l'impression qu'ils sont
parfois placés en second rang, dans le cadre de la responsabilité
pour faute, le lien de causalité et le préjudice restent des
conditions indispensables. La responsabilité civile a un objet
principalement indemnitaire ; la reconnaissance de la responsabilité
permet de réparer un dommage, dans son intégralité. Or, la
réparation ne saurait être intégrale, si le
préjudice subi n'a pas été déterminé au
préalable (paragraphe1). De même, on ne saurait
condamner le banquier, à la réparation de ce préjudice, si
aucun lien n'a été établi entre son comportement et le
dommage subi (paragraphe2).
Paragraphe1 : Le préjudice
Le préjudice subi par les victimes du comportement
fautif du banquier est fixé par le premier alinéa de l'article
118 de l'AUPCAP : « les tiers, créancières ou non ...ont
contribué à retarder la cessation paiements ou à diminuer
l'actif ou à aggraver le passif du débiteur peuvent être
condamnés à réparer le préjudice... ». La
détermination du préjudice est assez importante en ce sens que
c'est lui qui fixera les
102 Le dommage et le lien de causalité constituent ce que
le TOURNEAU (Ph.) et CADIET (L.), dans leur ouvrage, Droit de la
responsabilité. 1996, nomment les constantes de la responsabilité
civile.
personnes titulaires de l'action en responsabilité
contre le banquier. Mais la formulation de cet article n'est pas aussi claire
comme on pourrait le penser. Par conséquent, il convient de
préciser le contenu réel du préjudice (A)
et bien entendu délimiter son étendue (B).
A- Le contenu du préjudice
Le préjudice subi par les créanciers (autres que
le banquier) tient à ce que le concours bancaire a accentué le
passif de l'entreprise soumise à la procédure collective,
diminuant ainsi leurs chances de remboursement.
Ces créanciers peuvent aussi bien être des
personnes de droit public comme le fisc, ou les fournisseurs disposant de
sûretés moins solides que celles du banquier. Les fournisseurs
sont le plus souvent des créanciers chirographaires. Ils sont donc les
premiers à subir la cascade des difficultés.
Le préjudice des salariés est d'autant plus
grave qu'ils sont subordonnés à l'entreprise. Leur emploi
dépend de la survie de l'exploitation. Or l'aggravation du passif
diminue les chances de redressement de l'entreprise. Sont aussi
concernées les personnes directement liées à l'entreprise,
tels que les actionnaires ou associés.
Certains auteurs103 ont à juste titre
relevé l'existence d'une dualité des conséquences du
crédit fautif. Ils distinguent le préjudice né de la
création d'une fausse apparence de solvabilité ou de
prospérité104 du préjudice né de la
poursuite d'une activité génératrice d'un passif
supplémentaire.
Un autre auteur105 reprend cette distinction pour
la mettre en parallèle avec deux catégories de créanciers,
ceux dont la créance est née antérieurement à la
procédure collective et ceux dont la créance est née
postérieurement. Cette distinction correspond respectivement aux
créanciers dans la masse, et aux créanciers de la masse. La masse
est constituée des créanciers dont la créance est
antérieure à la décision d'ouverture et ce, même si
leur créance est antérieure à la décision
d'ouverture106. On y trouve aussi
103 Cf. GAVALDA (Ch.) et STOUFFLET (J.), Droit bancaire,
Litec, 1999, p. 195, n°400.
104 Celle-ci étant susceptible de tromper les tiers qui
vont continuer de contracter avec le crédité.
105 Cf. PIEDELIEVRE (S.), cité par Amel GUAAYBESS «
la responsabilité civile du banquier d'une entreprise en
difficultés » mémoire pré cité.
106 Article 72 de l'AUPCAP.
bien les créanciers chirographaires, que les
créanciers titulaires de privilèges généraux, sauf
ceux titulaires de sûretés spéciaux.
Par contre les créanciers de la masse sont les
créanciers dont la créance est née après le
jugement d'ouverture de la procédure, suite à la
continuité de l'exploitation de l'entreprise.
Les créanciers dans la masse subissent
généralement un préjudice égal à la
différence entre ce qu'ils auraient touché et ce qu'ils auraient
dû toucher si le crédit n'avait pas été consenti et
donc si la procédure avait été ouverte plus
tôt107. Alors que les créanciers de la masse subissent
la fausse apparence de solvabilité qui les a amenés à
contracter avec l'entreprise soumise à la procédure.
Mais la distinction semble se situer à un autre niveau,
car il ne faut pas perdre de vue que c'est la faute du banquier (octroi de
crédit) qui fait naître le préjudice, et non l'ouverture de
la procédure ; si bien que c'est par rapport à la faute qu'il
faut se situer pour établir la distinction.
Le préjudice subi par les créanciers
antérieurs à la faute de la banque consiste en l'atteinte
portée à leur droit de gage général sur le
patrimoine du débiteur ; le crédit augmente le passif et permet
une continuation de l'exploitation qui ne fait que creuser le déficit.
Le préjudice est égal non pas à l'insuffisance
d'actif108, mais à la différence entre ce qui est
perçu dans la procédure et ce qui l'aurait été si
elle avait été mise en oeuvre plus tôt109. De
même, la caution doit prouver que la faute de la banque a aggravé
son risque par rapport à ce qu'il était. Dans le cas contraire,
la jurisprudence estime que le préjudice fait défaut
malgré l'augmentation des concours financiers.110
Les créanciers postérieurs à la faute
font valoir que sans elle, il n'y aurait pas eu ouverture d'une
procédure et qu'ils ne seraient donc pas devenus créanciers de la
faillite. Leur préjudice peut donc correspondre à la
différence entre le montant de leur créance et le dividende
perçu.
107 Aux créanciers dans la masse s'applique la discipline
collective : arrêt du cours des intérêts, suspension des
poursuites individuelles...
108 Cf.
Cass. Com, 24 mars 1992, Bull.civ, IV,
n°125, RD bancaire et bourse, 1992, p. 163, obs. CREDOT (F.) et. GERARD
(Y.).
109Cf. Cass. Com,
11 octobre 1994 RD bancaire et bourse, 1995, p. 16, obs. CREDOT (F.) et. GERARD
(Y.). 110 Cf.
Cass. Com, 4 octobre 1994, RD bancaire et
bourse, 1995, p. 15, obs. CREDOT (F.) et. GERARD (Y.).
Encore faut-il naturellement que la preuve de ce
préjudice soit rapportée. La détermination du
préjudice pose le problème de la délimitation des domaines
respectifs entre le préjudice collectif et le préjudice
individuel.
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