Section 2 : Les conditions subjectives du soutien
abusif: La connaissance de la situation de l'entreprise
La situation sans issue de l'emprunteur et le maintien du
crédit ne suffisent pas à mettre en jeu la responsabilité
de la banque ; encore faut-il qu'elle soit au courant de cette situation et
qu'elle ait manqué d'informer le débiteur.
En effet, lorsque le banquier disposait d'informations qui
auraient dû alerter sa vigilance et renforcer ses contrôles, il a
maintenu, voire augmenté les crédits accordés, la faute ne
fait aucun doute. Il est reproché en réalité au banquier
de n'avoir pas su apercevoir les signes clairs des difficultés graves
dans lesquelles l'entreprise se trouve.
Or, il n'est pas simple de prouver que le banquier connaissait
la situation de l'entreprise. C'est au demandeur qu'il appartient d'en apporter
la preuve. C'est pourquoi, la jurisprudence, pour condamner le manque de
vigilance, procède par présomption. Elle affirme, que le banquier
« aurait pu connaître93 » ou « ne
pouvait ignorer94 »la situation du débiteur. Elle a
par conséquent crée, à la charge du prêteur, une
obligation de se renseigner. L'obligation d'information met à la charge
du banquier celle de s'informer, de se renseigner. Le donneur de crédit
doit par conséquent se renseigner sur la situation financière de
son débiteur. Il faut donc, pour la Cour de Cassation, que la situation
de l'entreprise « ait été connue du banquier au moment
de l'octroi du crédit ou du moins qu'il n'ait pu ignorer celle-ci en
fonction des éléments qu'il connaissait ou devait
connaître ».
Il existe certaines circonstances dans lesquelles la situation
de son client ne peut être légitimement ignorée du
banquier, notamment, lorsque ce dernier détient une participation au
capital de la société bénéficiaire. Ainsi, on
présume que le banquier a toute la latitude pour accéder aux
informations.
Pour autant, même si le plus souvent la banque est
extérieure à l'entreprise, elle ne peut soutenir qu'elle ignorait
la situation réelle. Tenue d'une obligation de vigilance, elle doit
s'informer sur la situation du client en prenant divers types de renseignements
sur ses capacités financières ou l'évolution des ses
affaires. La
93
Cass. Com., 7 October 1997,
n°95-17.065, RJDA 1998, n°, n°90.
94
Cass. Com., 12 Juillet 1980,
n°78-16.088, Bull. civ. IV, n°317, p. 256.
jurisprudence ne se contente pas d'apprécier la
responsabilité du banquier en fonction des informations dont il dispose
concrètement dans chaque espèce, elle fait peser sur le
fournisseur de crédit un devoir général de s'informer sur
la situation du client. La banque devra donc se livrer, en bon professionnel,
à l'analyse des documents comptables de l'entreprise financée,
auxquels elle ne pourra se fier que dans la mesure où ceux-ci ne
présentent pas d'irrégularités évidentes. Dans
cette perspective, le banquier doit exiger que son client lui communique les
documents comptables prévisionnels intermédiaires au même
titre que le bilan annuel. Il doit par ailleurs s'assurer de la
régularité et de la sincérité des documents qu'il
reçoit.
Mais seulement, l'investissement du banquier dans la recherche
de l'information ne doit pas dépasser la limite du raisonnable pour se
trouver sur le terrain de l'immixtion dans les affaires de son client. En
effet, le banquier n'est pas « un policier » devant mener
ses investigations sans limites, il est tenu d'un devoir de non immixtion ou de
non ingérence dans les affaires de son client.
Pour que la responsabilité du banquier soit retenue, il
faut que le débiteur soit dans une situation
irrémédiablement compromise ou encore en situation
désespérée. Cependant, la doctrine a
révélé que la situation irrémédiablement
compromise n'est pas la condition sine qua non de la responsabilité de
la banque. Celui-ci doit encore être au courant de cette situation et
avoir continué à soutenir son client au lieu de rompre le
crédit. Toutefois, la décision n'est pas facile à prendre
et peut même constituer un dilemme. La question étant de savoir
s'il convient de renouveler le crédit ou l'interrompre au moment
où l'entreprise est en difficulté, « le banquier est
contraint de fonctionner en permanence entre le soutien abusif et la rupture
abusive »95.
95 Cf. LIPZER (M.), Directeur à la Banque
Populaire, cité par Amel GUAAYBESS, mémoire
pré-cité, p. 52.
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
Le caractère particulier de l'activité de la
banque a conduit la jurisprudence à déterminer l'étendue
des obligations des établissements de crédit. Préteur par
profession, le banquier est tenu d'obligations qui dépassent celles d'un
simple préteur96. Il doit non seulement mettre à la
disposition du débiteur les fonds promis, mais aussi s'assurer que
ceux-ci ne sont pas source de préjudice pour le client. En effet, le
crédit qu'il octroie doit être digne97. Cette notion de
dignité du crédit se réfère davantage à
l'opportunité financière du crédit mais aussi au regard de
la situation générale de l'entreprise.
La jurisprudence distingue le devoir de discernement, le
devoir de s'informer et le devoir de surveillance des fonds
prêtés98et très récemment le devoir de
mise en garde. Le banquier doit s'assurer au moment où il accorde un
crédit, que celui-ci ne soit pas la cause de la chute du
débiteur. Il doit éviter que son crédit ne vienne pas
plutôt enfoncer le débiteur dans les profondeurs des
procédures collectives en augmentant son passif. Le banquier est devenu
une sorte de « conscience individuelle » de ses
débiteurs, sans doute soutenu par l'idée que la banque accomplit
une mission de « service public99 ». En effet, la
moindre faute, fût-elle légère est de nature à
engager la responsabilité du banquier.
Au total, l'appréciation de la responsabilité du
banquier s'accompagne d'une extension de la notion de faute. C'est finalement
la spécificité du contenu des obligations qui donne une
coloration particulière à la faute commise par le
banquier100. Cependant, la faute seule ne suffit pas ; d'autres
éléments puisés dans le droit commun de la
responsabilité doivent être associés pour
véritablement mettre le banquier en cause
96 Cf. MILOGA (M.), « La responsabilité du
banquier dispensateur de crédit », Séminaire AJBEF, Douala
05 au 09 novembre 2001, www.ajbef.info, p. 4.
97 Il est vrai qu'il est souvent dit que le client
cesse d'être digne lorsqu'il a un comportement gravement
répréhensible.
98 Cf. RIVES-LANGE (J-L.) et RAYNAUD (C.), Droit
bancaire, D. 1986, n°546, p. 678
99 L'idée de service public ne doit pas
être prise au sens technique et il ne faut pas lui attacher toutes les
conséquences qu'elle emporte en droit public. Elle justifie seulement un
renforcement des différentes obligations mises à la charge du
banquier.
100 Cf. LOKO-BALOSSA (E-J.), « La responsabilité du
banquier dispensateur de crédit », Annales de l'Université
Marien NGOUABI Brazzaville - Congo, 2007, p. 2.
|