B - LES DECHEANCES ET LE COMMERCE INFORMEL
L'idée que le commerce suppose une bonne
moralité fut très développée dans le passé.
Elle a toutefois subit un recul avec l'économie libérale qui
estimait que le seul jeu de la concurrence devait suffire à
éliminer les mauvais commerçants. Par prévention, le
législateur anticipe en fermant l'accès à l'exercice du
commerce à ceux qui ont déjà fait la preuve de leur
indignité. Il s'agit de la déchéance comprise comme la
perte d'un droit infligée soit à titre de sanction, soit en
raison du non respect des conditions de l'exercice de ce droit. Les
déchéances sont inspirées par un souci
général d'assainir les professions commerciales et beaucoup plus
par la sauvegarde des droits du public qui doit être
protégé contre les personnes d'une moralité douteuse.
S'il est vrai que les déchéances apparaissent
comme une sanction fermant l'accès à l'exercice du commerce, il
est également constaté que les commerçants du secteur
informel sont parfois des personnes qui ont déjà fait l'objet
d'un défaut d'honorabilité et qui, dès lors, exercent une
activité commerciale en violation de ces déchéances. En
effet, par sa caractéristique dissimulatrice, l'informel offre souvent
un moyen aux personnes déchues d'exercice du commerce de contourner cet
empêchement en continuant leurs activités commerciales. Ces
derniers qui ne peuvent en principe avoir la qualité de
commerçant, subiront toutefois les obligations de cette qualité
sans oublier les sanctions qui jalonnent l'exercice du commerce au
mépris de telles déchéances. Avant de s'intéresser
à de telles sanctions, (2) il serait ordonné d'observer au
préalable les cas de déchéance. (1)
1° Les cas de
déchéance
L'AU.DCG en son article 10 énumère trois (3)
séries de cas dans lesquels le commerçant est déchu du
droit de faire le commerce. L'origine de la
déchéance peut être soit une
décision d'une juridiction étatique, soit celle d'une juridiction
professionnelle. L'Acte Uniforme emploie de façon impropre le terme
d'interdiction69 pour designer ces déchéances qui
frappent la personne exerçant le commerce par elle-même ou par
personne interposée.
La déchéance d'origine judiciaire consiste soit
en une interdiction générale, définitive ou temporaire
prononcée par une juridiction de l'un des Etats parties, que cette
interdiction ait été prononcée comme peine principale ou
comme peine complémentaire, soit en une condamnation définitive
ou en une peine privative de liberté pour crime ou délit de droit
commun, ou à une peine d'au moins trois mois d'emprisonnement non
assortie de sursis pour un délit contre les biens ou une infraction en
matière économique et financière. La
déchéance peut être de droit, il en est ainsi lorsque
qu'une décision prononce la faillite personnelle d'un commerçant
; cette faillite emporte de plein droit l'interdiction générale
de faire le commerce70. Il en est de même en cas de
condamnation d'une personne à une peine perpétuelle ou de
condamnation pour tout autre crime71. La déchéance
peut également être facultative et laissée à
l'appréciation souveraine des juges. Il en sera ainsi en cas de
condamnation d'une personne pour délit contre les biens ou toute autre
infraction en matière économique et
financière72.
Quant à la déchéance d'origine
professionnelle, elle est édictée dans chaque cas lorsque le
statut professionnel concerné le prévoit. La
déchéance
69 Le lexique des termes juridiques dans sa
treizième édition définit l'interdiction comme la
situation juridique d'une personne privée de la jouissance et de
l'exercice de ses droits en totalité ou en partie en vertu de la loi ou
d'une décision judiciaire. Nul doute qu'à la lecture de cette
définition, l'on se rende compte que l'interdiction intègre
à la fois les incompatibilités qui sont établies par la
loi et les déchéances qui découlent d'une décision
judiciaire. Toutefois, le législateur Ohada en usant l'interdiction dans
l'Art 10 de L'AU.DCG, voulait sans doute parler de la déchéance
puisqu'il est question ici des interdictions d'exercer une activité
commerciale issue d'une décision soit d'une juridiction étatique,
soit d'une juridiction professionnelle.
70 Art 203 AU.PCAP.
71 Art 31 du Code Pénal Camerounais.
72 Il s'agit pour l'essentiel de toutes les
infractions qui sont courantes dans les milieux d'affaires (chèques sans
provision, usure, fraudes) et des délits classiques contre les biens
(vol, recel, abus de confiance, escroquerie...).
prononcée par une juridiction professionnelle ne
s'applique qu'à l'activité commerciale
concernée73, une déchéance
générale d'exercer le commerce ne pouvant être prise que
par les juridictions étatiques. Dans tous les cas, qu'elle soit
d'origine étatique ou professionnelle, de nature temporaire ou
définitive, la déchéance peut être couverte et la
personne frappée pourra en être relevée sur sa
requête cinq (5) années au moins après sa condamnation, par
la juridiction qui a prononcée ladite déchéance. Le failli
pourra aussi être relevé de sa déchéance
conformément aux conditions et à la procédure
prévue par les articles 204 et ss de l'AU.PCAP.74
Lorsque la personne déchue exerce une activité
commerciale sans être relevée de sa déchéance, il en
ressort qualifié de commerçant de l'informel pour subir la
rigueur du droit des affaires comme le témoignent d'ailleurs les
sanctions aménagées en pareille hypothèse par le
législateur Ohada.
2° Les sanctions de l'exercice du commerce par
un déchu
La violation des déchéances entraîne des
sanctions prévues par l'AU.DCG en son Art 12. En effet, ces sanctions
concernent d'une part l'inopposabilité aux tiers de bonne foi des actes
accomplis en violation de la déchéance, et d'autre part
l'opposabilité de ces actes à l'interdit lui-même. La bonne
foi des tiers est toujours présumée ; elle suppose que le tiers
croyait en la validité de l'acte qu'il a passé avec l'interdit.
Il appartiendra par conséquent à celui qui invoque
l'irrégularité d'un acte passé de démontrer que le
tiers avait connaissance de l'irrégularité au moment ou il
contractait. L'on peut s'interroger sur l'option du législateur OHADA en
ce qui concerne le choix de l'inopposabilité comme sanction de
l'exercice du commerce par un déchu. N'est-elle pas moins rigoureuse que
la nullité, et donc plus indulgente à l'égard
73 PEDAMON (M.), op.cit., N° 134 , p 113.
74 Ces articles aménagent la
réhabilitation du déchu qui peut être soit de plein droit,
soit facultative, ceci en cas de clôture d'une procédure
collective pour extinction du passif ou lorsque le déchu
bénéficie du consentement unanime de ses créanciers pour
sa réhabilitation après remise entière de ses dettes par
ces créanciers.
du déchu ? On pourrait répondre par la
négative car en réalité, le droit des affaires, ne
souhaitant pardonner aucun forfait à la personne qui fait le commerce
malgré une mesure de déchéance, ne s'appliquera pas en sa
faveur mais bien plus contre lui et ceci sans ménagement. Ainsi, il est
normal que l'acte de commerce accompli par un déchu ou un
indésirable en violation de sa situation, soit néanmoins
considéré comme un acte de commerce valable, lui privant la
possibilité de se rétracter car, comme le dit l'adage "nul ne
peut se prévaloir de sa propre turpitude."75
Au delà de ce que l'on pourrait qualifier des
critères personnels de la commercialité informelle,
marquée en général par l'irrespect des conditions
classiques tenant à la personne pour exercer le commerce, il existe
d'autres critères qu'on pourrait qualifier de réels et qui
concernent l'exercice d'actes de commerce ou tout simplement l'activité
commerciale dans le secteur informel.
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