PARA II : L'APPLICATION DU DROIT DES PROCEDURES COLLECTIVES
AUX COMMERÇANTS INFORMELS.
L'Acte Uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des
procédures collectives d'apurement du passif, publié au journal
officiel de l'OHADA le 1er juillet 1988150 et entré en
vigueur le 1er janvier 1999, vient reformer l'état du droit
des procédures collectives dans les pays de la zone franc en substituant
un droit uniforme aux législations nationales antérieures,
généralement vétustes,
149 Voir supra, p. 52
150 Voir J.O., OHADA, N°7, 1er juillet 1998, p.
13.
incertaines et disparates151. Comme tous
les autres actes uniformes de l'entreprise OHADA, celui sur les
procédures collectives d'apurement du passif a été
salué par les praticiens du droit, acclamé par les entreprises et
félicité par toutes les parties prenantes à des
opérations commerciales, en raison du compromis qu'il réalise
entre le paiement des créanciers, le paiement des salariés et le
sauvetage de l'entreprise. C'est sans doute dans la mêlée de cette
appréciation positive que certains auteurs ont avancé que l'Acte
Uniforme organisant les procédures collectives a été
rédigé de telle sorte qu'il puisse « régler le
maximum de questions ».152 Toutefois, cette exaltation de
l'AU.PCAP ne doit en rien occulter les quelques critiques qui peuvent
être dirigées à l'endroit des experts de l'oeuvre OHADA. En
effet, l'Acte Uniforme est muet sur l'épineuse question du secteur
informel si important en Afrique mais qui, pour l'essentiel, n'est pas à
mesure de supporter le coup et la complexité de la
procédure153. On est tenté d'objecter au
législateur OHADA d'avoir manqué d'originalité et de
réalisme sur cette question de l'informel, ou tout simplement de n'avoir
pas saisi l'occasion pour manifester avec force détails, le
caractère adapté du droit OHADA aux réalités
africaines, comme le rappellent les juristes africains dans une formule aux
allures génériques tirées de l'article 1er du
traité OHADA154.
La question de l'application des procédures collectives
aux opérateurs du secteur informel présente une complexité
particulière, car dans les précédents cas, (concernant la
perte des privilèges des procédures), il apparaissait
nettement
151 SAWADOGO (F.M.) Présentation du Droit des
procédures collectives, in " OHADA-Traité et Actes Uniformes
commentés et annotés", juriscope, 2002, p. 811.
152 SAWADOGO (F.M), Présentation du Droit des
procédures collectives, in " OHADA-Traité et Actes Uniformes
commentés et annotés", juriscope, 1999, p. 877: Dans l'ensemble,
on peut l'apprécier (l'Acte Uniforme) positivement du fait de l'effort
fait pour résoudre le maximum de questions comme celles ayant trait aux
procédures collectives internationales ou à l'ouverture d'une
seconde procédure. ».
153 SAWADOGO (F.M), Présentation du Droit des
procédures collectives, in " OHADA-Traité et Actes Uniformes
commentés et annotés", juriscope, 2002, P. 818.
154 C'est à la lumière de l'article
1er du Traité que l'on peut observer chez la
quasi-totalité des juristes africains l'affirmation selon laquelle,
l'harmonisation du droit des affaires OHADA se traduit principalement par
l'adoption des règles simples, modernes et adaptées aux
économies nationales.
que la norme était éditée en faveur du
commerçant. Il était dès lors évident que ces
règles ne devaient pas bénéficier aux commerçants
qui ne sont pas immatriculés au RCCM. En matière de
procédures collectives, rien n'est aussi simple et clair car la
jurisprudence en la matière fait état d'une application
distributive des procédures collectives aux opérateurs de
l'informel (A) ; ce qui peut conduire à discuter des incertitudes
liées à cette application des procédures collectives au
secteur informel, en raison de l'esprit général qui gouverne de
telles procédures. (B).
A- UNE APPLICATION DISTRIBUTIVE DES PROCEDURES
COLLECTIVES AUX OPERATEURS DE L'INFORMEL
Il s'agit de l'application sélective du droit des
procédures collectives aux commerçants informels. A
l'époque où la faillite était jugée
infamante155, les tribunaux n'hésitaient pas à la
prononcer à l'égard des commerçants de fait156.
Il aurait été injuste que la personne négligente soit
mieux traitée que le commerçant immatriculé, la logique de
la théorie du commerçant de fait était fort
respectée157. Actuellement cette raison n'est plus
pertinente, le redressement n'est pas une sanction; il permet de
bénéficier des reports d'échéance accordés
par les créanciers et autorisés par le tribunal. Son application
aux commerçants de fait ou de l'informel peut donc être tout
autant un avantage qu'une contrainte.158 En France, cette position
jurisprudentielle a été implicitement consacrée par la loi
n°85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la
liquidation judiciaire des biens. L'article 189 de cette loi accorde en effet
au tribunal la faculté de prononcer la faillite personnelle de
« toute personne ayant exercé une activité commerciale
contrairement à une interdiction prévue par la
155 CHAPUT (Y.), La faillite, PUF, 1981, p.
9.
156 Com, 2 février. 1970, op.cit.
157 ELHOUEISS (J.L), op.cit., p. 6.
158 GUYON (Y.), Droit des Affaires, T 2,
economica, 6e éd, 1997, N° 1097.
loi » 159, or puisque ce texte
renvoie expressément à l'article 185160 de la
même loi, son application suppose que l'intéressé ait
préalablement été l'objet d'un redressement judiciaire. La
position du législateur OHADA sur le sujet est bien semblable. En effet,
l'article 196 de l'AU. PCAP accorde à la juridiction compétente
de prononcer à toute époque de la procédure, la faillite
personnelle des personnes qui ont commis des actes de mauvaise foi ou des
imprudences inexcusables, ou qui ont enfreint gravement les règles et
usages du commerce tels que définis par l'article 197. Il faut
préciser que ce dernier article dispose que sont présumés
actes de mauvaise foi, imprudences inexcusables ou infractions graves aux
règles et usages du commerce, l'exercice d'une activité
commerciale contrairement à une interdiction prévue par les actes
uniformes ou par la loi de chaque Etat partie161.
Le problème est qu'une faillite ne concerne pas
seulement le failli, il faut également tenir compte des
intérêts d'autres parties principalement les créanciers et
même les salariés. En effet l'exclusion du commerçant
informel ou illicite du champ des procédures collectives priverait les
premiers des procédures de concours et les seconds des dispositions des
articles 95et 96
159 Cet Art 189 de la loi du 25 jan 1985 disposait en
substance que: « A toute époque de la procédure, le tribunal
peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée
à l'article 185 contre laquelle a été relevé l'un
des faits ci-après :
1. Avoir exercé une activité commerciale,
artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une
personne morale contrairement à une interdiction prévue par la
loi :
2. Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder
l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation
judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou
employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
3. Avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contre-partie,
des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu
égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale
;
4. Avoir payé ou fait payer, après cessation des
paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au
préjudice des autres créanciers ;
5. Avoir omis de faire, dans le délai de quinze jours la
déclaration de cessation de paiement. ».
160 Cet Art dispose en effet que: « Lorsqu'une
procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est
ouverte, les dispositions du présent titre sont applicables:
1° Aux personnes physiques exerçant la profession de
commerçant, d'artisan ou d'agriculteur ;
2° Aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait
de personnes morales ayant une activité économique ;
3° Aux personnes physiques, représentants permanents
de personnes morales, dirigeants des personnes morales définies au
2° ci-dessus. ».
161 Art 197 al 1er AU.PCAP.
AU.PCAP qui aménagent le privilège des
salariés162. Comment donc protéger les
intérêts de ces personnes sans que le commerçant informel
n'en tire avantage? Le problème est complexifié par le fait que
le commerçant informel ne bénéficie pas des règles
relatives aux baux commerciaux, plus que tout autre, il est donc exposé
au risque de la perte de clientèle et par voie de conséquence
à la faillite. Pour dissiper cette difficulté il faudrait sans
doute prendre en renfort la solution jurisprudentielle française
affirmée dans un arrêt de la chambre commerciale du 25 mai
1997163. Cet arrêt prend en compte le fait que l'ouverture
d'une procédure peut être requise par quatre intervenants: le
débiteur commerçant de fait, les créanciers, le procureur
de la république ou le tribunal qui dispose en la matière d'une
très rare capacité d'auto saisine164. Selon cet
arrêt, seuls les trois derniers peuvent demander le redressement de fait,
le débiteur ne pouvant plus selon la cour, réclamer
lui-même le bénéfice du redressement
judiciaire165. Il s'agit donc ici de ménager
créanciers et salariés sans conférer d'avantages aux
commerçants de fait. Ainsi, le débiteur commerçant
informel ne pourra pas bénéficier du règlement
préventif qui est une procédure destinée à
éviter la cessation d'activité et à permettre l'apurement
de son passif au moyen d'un concordat préventif166. Il ne se
verra pas non plus appliquer les dispositions qui aménagent le
redressement judiciaire car ce dernier à pour but principal de
restructurer l'activité du commerçant, de le
162 En effet, les Articles 95 et 96 AU.PCAP précisent
respectivement que: « Les créances résultant du contrat de
travail ou du contrat d'apprentissage sont garanties, en cas de redressement
judiciaire ou de liquidation des biens par le privilège des salaires
établi pour les causes et le montant définis par la
législation du Travail et les dispositions relatives aux
sûretés. »
« Au plus tard, dans les dix jours qui suivent la
décision d'ouverture et sur simple décision du Jugecommissaire,
le syndic paie toutes les créances super privilégiées des
travailleurs sous déduction des acomptes déjà
perçus.
Au cas où il n'aurait pas les fonds nécessaires,
ces créances doivent être acquittées sur les
premières rentrées de fonds avant toute autre créance.
Au cas où lesdites créances sont payées
grâce à une avance faite par le syndic ou toute autre personne, le
prêteur est, par la même, subrogé dans les droits des
travailleurs et doit être remboursé dès la rentrée
des fonds nécessaires sans qu'aucune autre créance puisse y faire
obstacle. ».
163 Rev. Soc., 1997, p. 601.
164 Ibid.
165 ELOUIESS (J.L), op.cit., p. 7.
166 Art 2 al 1 AU.PCAP.
sauver de ses difficultés afin qu'il retrouve meilleure
fortune. Puisqu'il n'est pas question d'aider un commerçant informel
à bénéficier des avantages d'une telle procédure,
le droit des procédures collectives fera abstraction de ses dispositions
pour lui appliquer uniquement celles qui s'apparentent comme des sanctions. A
la fin, c'est la liquidation des biens qui est appliquée à de
tels commerçants car cette procédure à pour seul objectif
le désintéressement du ou des créanciers. Cette solution
logique peut bien être exploitée dans le cadre de l'OHADA en ce
qui concerne l'applicabilité des procédures collectives au
secteur informel.
Toutefois une difficulté pourra se faire ressentir car
l'article 26 AU. PCAP dans la continuité de l'article 25 AU.PCAP,
dispose que le débiteur doit déposer le bilan dans les trente
jours suivant la cessation des paiements. L'arrêt précité
posera problème car il interdira au débiteur ce que la loi lui
impose. En toute clarté, il s'agira de l'application des
procédures collectives aux opérateurs informels à titre de
sanction. D'où l'inquiétude de savoir si l'application de ces
procédures à titre répressif ne serait pas incertaine
parce que difficilement compatible avec l'esprit général des
procédures collectives167.
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